Rompre avec le capitalisme: utopie ou nécessité?
Rompre avec le capitalisme: utopie ou nécessité?
Notre camarade Michel Ducommun vient
de publier un livre sur la problématique croissance
décroissance dégâts écologiques,
dans une vision écosocialiste.
Il commence par une partie constat qui synthétise les
données en termes de limites de la croissance
disparition ce siècle encore de la plupart des ressources
fournies par la Terre (énergies fossiles sauf le charbon,
métaux tels le fer, luranium, le zinc, etc.) et
les dégâts infligés à
lenvironnement (réchauffement climatique,
biodiversité, agriculture intensive qui détruit les
biosystèmes, pollutions). Dans cette partie, il
sen prend en particulier aux sceptiques dont la fonction est
toujours de protéger les intérêts des grandes
firmes : aujourdhui les climato-sceptiques
défendant les firmes pétrolières, hier les
amianto-sceptiques : en 1996, Claude Allègre
dénonçait un « phénomène de
psychose collective » concernant les risques liés
à lamiante, avant-hier cétait la cigarette
qui ne présentait pas de danger. Il cite le think tank Heartland
Institute, à la tête des combats des sceptiques aux
Etats-Unis, et qui définit sa mission :
« promouvoir léconomie de marché, la
privatisation des services publics, la dérégulation et
combattre des solutions limitant les lois du marché sur les
questions déducation, de santé et
denvironnement ».
Une croissance suicidaire
Pour Michel Ducommun, comme pour un certain nombre dautres
auteurs, la conclusion est claire : avec ce type de croissance
et de société, lhumanité court vers un
dramatique écosuicide. Sur ce point, il se démarque
nettement de la majorité des écologistes
réformistes qui ne remettent pas en cause le capitalisme et
croient que tout ira bien grâce au développement durable,
ou au capitalisme vert, ou par la découverte de nouvelles
techniques ou encore la modification du comportement des individus, la
frugalité volontaire. Notre camarade estime que le
développement durable est un oxymore, développement est
contradictoire avec durable. Et cela est prouvé par
léchec des deux objectifs principaux définis en
1987 : il fallait « répondre aux besoins des
plus démunis », et la faim et la misère ont
augmenté dans le monde, comme les inégalités. Il
fallait « un développement qui répond aux
besoins des générations du présent sans
compromettre la capacité des générations futures
à répondre aux leurs », et les gaz à
effet de serre et les dégâts écologiques
nont fait quaugmenter depuis.
A partir de ce constat, Michel Ducommun pose une
question fondamentale : la croissance que nous connaissons
mène au désastre, mais peut-on parler de
décroissance quand 24 000 êtres humains meurent
chaque jour ? La réponse est donnée par un autre
constat : « Il arrive un moment où
lévolution de lhumanité permet le passage
du manque à la suffisance. Et bien des indicateurs nous
permettent de penser que cest ce moment historique auquel nous
sommes en train dassister. Si cest bien le cas,
cest la possibilité dautres rapports sociaux,
dautres manières de vivre qui souvre devant nous.
Cest le bond de lhumanité du règne de la
nécessité dans le règne de la liberté comme
la écrit Engels » (p. 67).
Une possible suffisance en contradiction avec le capitalisme
La satisfaction des besoins fondamentaux permettant une existence digne
et heureuse de chaque être humain sur Terre est aujourdhui
possible, mais pas sous le capitalisme. Il sagit de comprendre
pourquoi. Cest lanalyse marxiste qui le permet :
le processus daccumulation et la loi de la baisse tendancielle
du taux de profit contraignent le capitalisme à une croissance
continue. « La croissance est vitale pour le capitalisme,
mais fatale pour lhumanité » (p. 85).
La suite est donc logique : il faut rompre
avec le capitalisme, et donc donner les axes dun projet
postcapitaliste, écosocialiste. Pour rendre crédible un
tel projet, Michel Ducommun estime que trois aspects sont
essentiels :
Lassimilation du mot socialiste
avec des sociétés qui se sont autoproclamées
socialistes tout en nayant rien de socialiste comme lURSS
stalinienne. Ces échecs des révolutions socialistes du
XXe siècle ont donné une force à
lidéologie bourgeoise du TINA de Thatcher : There
Is No Alternative, il ny a pas dalternative au
capitalisme. Une analyse de ces échecs est indispensable
à la fois pour ne pas répéter ces échecs et
pour rendre crédible un projet anticapitaliste. Pour
lauteur, les deux raisons essentielles de ces échecs sont
labandon de la démocratie et le maintien de la division
sociale et technique du travail, du maintien du mode de production
capitaliste.
Le projet doit mettre en avant le plaisir de vivre mieux et
autrement, que lobjectif nest pas la privation pour
stopper une consommation imbécile, mais une libération
par une importante diminution du temps de travail et une transformation
de ce quest le travail, une convivialité plutôt que
la solitude de lindividualisme.
Lanalyse des forces sociales porteuses de cette
rupture. Cette partie montre la difficulté actuelle de la
bataille. Si une des priorités est la démocratie et son
extension, la rupture doit être portée par une large
majorité de la population, en particulier par ce que Michel
Ducommun appelle le peuple de gauche et le peuple écologique,
tout en sachant que les dirigeants des partis socialistes et verts sont
très loin dune orientation anticapitaliste. De plus, et
ceci est peu analysé dans le livre, les questions
écologiques ne divisent pas clairement la société
en classes, et ne peuvent pas trouver une solution globale au niveau
local. Une conséquence en est une plus grande difficulté
à lier dialectiquement lanalyse théorique et les
mobilisations concrètes qui sont un peu limitées à
des luttes partielles.
Pour conclure, le livre de Michel Ducommun
nest pas le programme de solidaritéS, mais devrait
permettre de développer le débat sur ces questions dans
notre mouvement.
Pierre Vanek