Novartis
Novartis : Les employés préservés à l'usine de Prangins
L’accord annoncé le 17 janvier 2012 constitue un immense soulagement pour les travailleurs et travailleuses de l’usine
Novartis à Prangins. Alors que le 25 octobre 2011, la direction du géant pharmaceutique annonçait que la fermeture du site était inéluctable, ce retournement de situation est bien la preuve qu’en dépit d’innombrables obstacles, les choix stratégiques d’une société transnationale peuvent être contestés avec succès. Ce constat doit toutefois être fortement nuancé au vu des concessions injustifiées faites en faveur du groupe pharmaceutique.
Le maintien du site de Prangins avec ces 320 emplois n‘aurait pas été possible sans l’action déterminée des travailleurs et travailleuses de Novartis organisée avec l’aide décisive du syndicat Unia qui les a représentés dans les négociations. L’unité entre toutes les catégories du personnel (y compris les cadres techniques et commerciaux) a également joué un rôle crucial. Pour les employé·e·s, comme pour la population de la région qui les a fortement soutenus, cela représente une énorme victoire qu’il convient de saluer.
Des fermetures d’entreprises, même rentables, vont immanquablement se reproduire dans les mois et années à venir. Aussi, un enthousiasme exagéré concernant le dénouement favorable de ce conflit n’aiderait en rien à préparer de futures luttes du même genre.
Des concessions dangereuses
Les concessions faites par les employé·e·s sont certes ressenties comme mineures en comparaison avec l’événement majeur que représente le maintien de l’usine sans licenciements. Elles ne sont pas pour autant justifiées. L’ensemble du personnel renoncera à une partie de l’augmentation salariale prévue pour 2012. L’horaire du travail en équipe va passer de 37,5 heures hebdomadaires à 40 heures sans augmentation du salaire. Cet accroissement gratuit de la durée du travail correspond exactement à ce que de nombreuses entreprises revendiquent depuis l’année passée sous prétexte de combattre les effets néfastes de la hausse du franc suisse sur leur taux de marge et contre quoi de nombreux travailleurs s’opposent (par exemple chez Tesa à Renens). Le précédent créé est d’autant plus dangereux que Novartis annonçait en octobre dernier un bénéfice de 4,1 milliards de dollars pour le seul troisième trimestre 2011, un cash flow de 3,7 milliards de dollars (témoin de son excellente santé financière) et que l’usine de Prangins est tout à fait rentable.
Cadeaux fiscaux
Plus choquant encore, le Conseil d’Etat vaudois a offert un somptueux cadeau fiscal à Novartis (exonération de l’impôt sur les bénéfices durant 10 ans) dont le montant est étrangement entouré du plus grand secret. En « échange » de quoi, Novartis s’est engagé à investir dans la modernisation de l’usine de production de Prangins et à consentir « une contribution financière substantielle à cet effet ». Selon l’art 91 de la loi sur les impôts directs cantonaux, « le Conseil d’Etat peut accorder des allègements fiscaux aux entreprises nouvellement créées qui servent les intérêts économiques du canton, pour l’année de fondation de l’entreprise et pour les neuf années suivantes. La modification importante de l’activité de l’entreprise peut être assimilée à une fondation nouvelle ». Alors que Novartis ne crée pas un seul nouvel emploi dans le canton, on peine à voir où se trouve la prétendue « modification importante de l’activité » qui justifierait ce traitement de faveur. Même le Centre patronal vaudois ainsi que les gouvernements d’autres cantons comme ceux de Fribourg et de Berne s’interrogent sur ces privilèges fiscaux. Certes le Conseil d’Etat s’est engagé avec résolution dans cette affaire, comprenant à juste titre que sa crédibilité était en jeu auprès d’une bonne partie de la population du canton. Mais, par la manière et l’orientation de cet engagement, le personnel de Novartis a été en partie dépossédé de la possible maîtrise du processus de négociation avec la direction de la transnationale. Les experts et conseillers mandatés pour proposer des solutions industrielles de rechange à la fermeture – avec la participation déterminante du personnel concerné – ont réduit en miette l’argumentation de la direction de Novartis. Pourquoi le Conseil d’Etat a–t-il dès lors fait preuve d’une telle complaisance envers les dirigeants du groupe ? Critique exagérée ? Certainement pas compte tenu de la situation financière extrêmement favorable de Novartis qui n’avait vraiment pas besoin de millions supplémentaires!
Un bonus immobilier
La seconde faveur faite au groupe pharmaceutique est le « dézonement » d’un terrain de 20’000 mètres carrés permettant à Novartis de construire sur une parcelle des appartements haut standing ou de la vendre comme terrain constructible ! Pour Novartis, pas de doute, le dénouement de l’affaire est plus que favorable : aucune concession et des bonus en prime. Seuls les travailleurs et travailleuses, et l’Etat au détriment du reste des contribuables, ont dû faire des concessions. On est loin du scénario « gagnant-gagnant » dont se félicitaient en cœur, le 17 janvier, le directeur de Novartis Suisse Pascal Brenneisen, accompagné du conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba et du conseiller d’Etat bâlois Christoph Brutschin.
A cela, il faut également ajouter que, sur les 1100 licenciements annoncés en Suisse le 25 octobre, environ 200 seront en fin de compte prononcés à Bâle (sur les 770 prévus initialement), ce qui noircit tout de même le tableau. A un autre niveau, Novartis a annoncé 2000 licenciements aux USA. Là aussi, la gigantesque faiblesse de l’organisation et de la coordination syndicales au niveau international laisse le champ libre à une transnationale telle que Novartis. Combler cette faiblesse organisationnelle devrait être une priorité pour les syndicats de travailleur·euse·s salarié·e·s.
Pierre-Yves Oppikofer