Les élections présidentielles égyptiennes et la poursuite du coup d'état militaire
Le second tour des élections présidentielles s’est déroulé dans une atmosphère tendue à la suite de plusieurs mesures contre-révolutionnaires pour tenter de mettre fin au processus débuté il y a plus d’un an maintenant. Il a vu s’affronter l’homme des militaires et de l’ancien régime, Ahmed Shafiq, et Mohammad Morsi, représentant des Frères Musulmans.
Le 14 juin 2012, la Cour Suprême Constitutionnelle, composée de juges appointés par le dictateur déchu Moubarak, a statué sur l’inconstitutionnalité de la loi interdisant la participation politique de certains représentants du régime de Moubarak et l’a annulée. Ahmed Shafiq a pu dès lors se présenter en toute légitimité. La Cour a en outre dissout le parlement dominé par les islamistes ; de nouvelles élections législatives doivent maintenant avoir lieu. De nombreux Egyptien·nes ont manifesté le jour même contre les décisions de la Cour. |
L’ombre d’un coup d’Etat militaire ?
Le jour précédent, le régime militaire a annoncé le retour à la loi martiale. Quelques semaines auparavant, le juge Rifaat avait débouté les deux fils Moubarak et acquitté les assistants de l’ancien ministre de l’Intérieur Habib el-Adly, qui étaient responsables de la mort et des blessures de milliers d’Egyptien·nes. Le peuple égyptien vote ainsi pour un président dont les fonctions n’ont pas encore été définies, alors qu’il n’y a plus de parlement, pas de constitution, et que le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) contrôle tous les pouvoirs.
Certes l’Egypte était gouvernée par des militaires et non des civils depuis la chute de Moubarak. Il s’agit néanmoins de mesures fortes et agressives du CSFA. Ce dernier a en effet utilisé tous les moyens à sa disposition (politiques, légaux et répressifs) pour limiter le processus révolutionnaire et maintenir ses privilèges politiques et économiques. La dernière tentative est de pousser Ahmed Shafiq à la présidence pour permettre de restaurer l’ancien régime ou tout du moins de stopper le processus révolutionnaire. C’est pourquoi, durant ces dernières semaines et jusqu’au dernier jour des élections, le CSFA a encouragé le peuple à voter en remettant des appels à se rendre aux urnes.
Lors du premier tour des élections, de nombreuses irrégularités (achat de voix, par exemple) ont été signalées aux institutions internationales en charge de vérifier le bon déroulement du processus électoral. L’ancien président US, Jimmy Carter, en charge des organisations de contrôle, a répondu à ces allégations de fraudes en disant qu’il ne s’agissait pas d’irrégularités mais simplement de moyens d’aider les pauvres et que cela se passe dans d’autres pays également. Cela démontre la volonté des pays occidentaux de simplement légitimer ces élections, malgré les limites de celles-ci.
Le boycott sur toutes les lèvres
Ce contexte a poussé de nombreuses sections du mouvement populaire, ainsi que plusieurs partis politiques, à appeler au boycott des élections présidentielles.
Le mouvement des Frères Musulmans (FM) et leur candidat Morsi, ont dénoncé les décisions de la Cour, mais ont néanmoins déclaré qu’ils les acceptaient et les respectaient. Morsi a cependant soutenu que le seul moyen de lutter dorénavant pour la continuation de la révolution était de voter pour lui. Des centaines de jeunes membres du mouvement des FM ont néanmoins manifesté devant les bureaux du parti le soir du jeudi 14 juin pour dénoncer la décision du parti et en ont appelé au boycott.
En Europe, certains courants de gauche en ont appelé au vote du moindre mal, Morsi contre Shafiq. Le mouvement des Frères musulmans n’est certes pas similaire à l’ancien régime de Moubarak ou au candidat Shafiq, responsables des politiques anti-démocratiques et néo-libérales des 30 dernières années. Les FM ont, de leur côté, également des contradictions internes comprenant en leur sein des courants parfois en opposition avec le leadership conservateur du mouvement, particulièrement chez les jeunes qui veulent continuer la révolution.
Nous pensons néanmoins que l’appel au boycott de la très grande majorité des révolutionnaires égyptiens est la bonne décision pour différentes raisons. La plus importante est de savoir où se situe la dynamique révolutionnaire en Egypte, et aujourd’hui elle est clairement dans le camp du boycott qui a mobilisé une grand majorité d’activistes et de révolutionnaires. Le boycott vise également à dénoncer la mascarade soi disant démocratique des élections organisées sous le pouvoir des militaires et donc de refuser toute légitimité à des postes ou institutions qui n’ont en réalité pas de pouvoir. La participation à ces élections signifierait alors d’octroyer une légitimité à un processus qui n’en a pas.
La participation du mouvement des FM est guidée par leurs objectifs égoïstes et leur volonté de se présenter comme l’unique acteur capable de sauver la révolution. Les FM ont en effet à plusieurs reprises depuis la chute de Moubarak collaboré ostensiblement avec le CSFA contre le mouvement populaire et limité la poursuite de la révolution (voir « Les Frères Musulmans, ennemis des intérêts de l’Occident impérialiste ? », solidaritéS n°203). Pourquoi dès lors appeler à un vote pour un candidat dont nous savons pertinemment qu’il ne délivrera aucune des demandes des révolutionnaires.
De plus la stratégie de front uni martelé par certains pour justifier un appel à voter pour le candidat des FM, n’est pas une recette que l’on utiliserait partout et dans toutes conditions de façon mécanique sans réflexion profonde et dialectique.
La bataille pour la continuation du processus révolutionnaire ne se terminera pas avec les élections présidentielles, mais la lutte se fera dans tous les secteurs et régions de la société égyptienne.
La mobilisation permanente est le moyen pour défendre le processus révolutionnaire ; elle doit s’appuyer sur le mouvement populaire qui désire un changement radical et la poursuite de la lutte.
Joseph Daher