France
France : Compétivité, nous voilà!
Les rugissements d’une droite se déchirant à pleines dents ont médiatiquement remplacé les criailleries du paon de gauche faisant la roue pour séduire le patronat. Rien à dire pourtant sur la splendeur des plumes ni sur la valeur des cadeaux. Quand le tandem Ayrault-Hollande drague Mme Parisot, patronne des patrons, il y met le prix. Un léger désagrément subsiste, toutefois : la note, qui sera réglée par la population laborieuse.
La présentation, à la France éblouie, des cadeaux faits au patronat avait commencé, comme tout bon spectacle, par une première partie dans laquelle le rapporteur Louis Gallois avait remis son rapport sur la compétitivité en France. Les commentateurs des médias, à qui on ne la fait pas, applaudirent en se gaussant : voilà un rapport qui allait finir sinon aux oubliettes, du moins au plus profond du plus poussiéreux des tiroirs. Le président et son premier ministre n’étaient-ils pas des hommes de gauche aux convictions bien ancrées ? Le premier n’avait-il pas désigné la finance comme son ennemie ?
Ce que l’on vit et entendit lors de la conférence de presse présidentielle du 13 novembre laissa pourtant admiratif le quotidien économique et financier Les Echos : « La conférence de presse de François Hollande avait un objectif politique est un seul : montrer que le président de la République tient les commandes. De ce point de vue, l’exercice d’hier a été réussi.?» Et d’évoquer ailleurs l’ombre tutélaire et inspiratrice de Pierre Mendès-France, le réaliste, opposé au lyrique François Mitterrand… Cette conférence avait suivi de quelques jours l’annonce du plan Ayrault, qui explique à lui seul déjà ces bonnes dispositions du journal économique et du patronat dans son ensemble. Le plan Ayrault, c’est :
— 20 milliards d’euros d’exemptions fiscales diverses pour les entreprises en trois ans, qui viennent s’ajouter aux 30 milliards d’exonération des cotisations sociales pour les employeurs déjà en vigueur.
— Un remplacement des trois taux actuels de TVA (5,5 %, 7 % et 19,6 %) par trois nouveaux (5 %, 10 % et 20 %). Au total, la petite baisse sur les produits de première nécessité coûtera 900 millions d’euros à l’Etat, qui encaissera en contrepartie 7 milliards de recettes supplémentaires. Hollande avait critiqué la « TVA sociale » sarkozyste, il l’applique. Et la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité ne fera pas illusion : elle est si faible à l’unité qu’elle risque fort de ne pas être reportée sur les prix !
— Une baisse supplémentaire de la dépense publique de 10 milliards d’euros, qui viendront s’ajouter à la réduction massive prévue en 2017 pour respecter le Traité européen de « Merkozy », qui n’a nullement été renégocié comme annoncé. Ces baisses seront autant de prestations publiques en moins, dans les assurances, l’éducation et la santé.
Pour faire bon poids, une réforme du marché du travail est prévue, afin d’apporter plus de flexibilité – lisez de précarité – et syndicats et patronat sont appelés à conclure un « compromis historique ». Tout à fait dans le sens du rapport Gallois qui affirmait qu’un « nouveau pacte social, plus dynamique, adapté aux révolutions que nous traversons, est une clé incontournable de la compétitivité ». Et si tout se passe bien, dès la fin 2013, il y aura un redressement de la croissance et une diminution du chômage. Vous n’y croyez pas ? C’est pourtant François Hollande qui l’a dit. Le président dont Les Echos attendent suffisamment de courage pour passer du statut de caméléon à celui de papillon, achevant sa mue sociale-libérale et laissant derrière lui le cocon du secrétaire du PS. Pour le patronat, ce conte de Noël-là a toutes les chances de se réaliser.
Daniel Süri
L’Ayraultport, comme un symbole
On l’appelle l’Ayraultport, parce qu’il est l’enfant chéri du premier ministre Jean-Marc Ayrault, longtemps maire de Nantes. Et parce que c’est plus court que son nom d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), la région proche de Nantes où 1650 hectares devraient être sacrifiés à ce nouveau culte de l’avion-cargo.
Ce projet antédiluvien (le site a été choisi en 1967 et l’idée réactivée en 2000) a réussi à fédérer une opposition allant des paysans de la région à la base des écologistes en passant par un bon millier d’élus locaux doutant de la pertinence de l’entreprise, sans oublier les occupant·e·s des cabanons forestiers, plus radicaux dans leur méthode et fustigés comme « anarcho-autonomes » par le premier ministre. Et, évidemment, la gauche de la gauche, voire même des membres du PS. Ce qui explique le succès de la manifestation du 17 novembre, lorsque 40 000 manifestant·e·s se sont rendus sur les lieux, alors que les organisateurs en attendaient quatre fois moins.
L’Ayraultport a, il est vrai, tout pour plaire. Il prévoit le développement d’un nouvel aéroport alors que la France en est surdotée (153, contre 44 en Allemagne et 43 en Grande-Bretagne). Il reprend la fable du développement par la création de telles infrastructures, alors que de sérieux bouillons ont été pris par les aéroports de Lorraine, de Rennes, d’Angers, etc. Sans parler des installations madrilènes de Ciudad Real aussi désertes que leur environnement.
Sa construction viole non seulement une série de lois environnementales, mais elle est au service prioritaire de la multi-nationale de la construction Vinci, qui a réussi à s’assurer de cautions publiques pour le financement du projet, y compris un rendement annuel fixe pour ses actionnaires.
Cette caricature mégalomaniaque reste difficile à faire passer dans l’opinion publique et rend ridicules tous les discours gouvernementaux sur la transition écologique. Devant la mobilisation populaire, il a donc été décidé de mettre en place une « commission du dialogue », qui remettra dans trois ou quatre mois un rapport au premier ministre. Visiblement, Matignon cherche à jouer la montre. DS