Neuchâtel, hôpital de la Providence

Neuchâtel, hôpital de la Providence : Un combat en douze rounds... et contre l'arbitre

Le conflit social n’en finit pas de s’envenimer à l’Hôpital de la Providence, en voie de rachat par le groupe privé Genolier : après une conciliation tripartite (direction, syndicats et Conseil d’Etat), qui s’est conclue par un échec — et dont le seul « mérite » a été d’empêcher et même d’interdire aux employé·e·s d’user de leurs droits légitimes (débrayage, grève, manifestation) pour défendre leurs conditions de travail — le personnel et les syndicats, soutenus par les partis de gauche et diverses associations, ont décidé d’entamer une grève continue pour que leurs revendications soient prises en compte : maintien de la CCT Santé 21, non-externalisation des services, conservation de tous les emplois.

 

Au piquet de grève installé à l’entrée du personnel de la Providence (à l’arrière du bâtiment), l’image du climat délétère régnant dans l’hôpital saute aux yeux. A quinze mètres de la tente installée par le personnel, 5 agents de sécurité dévisagent, quand ils ne cherchent pas à photographier (!), toute personne s’approchant des grévistes se relayant quotidiennement sur place depuis le lundi 26 novembre. Cette image en dit long sur les rapports entretenus par la direction de l’Hôpital et le Conseil d’État, qui ont toujours œuvré en faveur du groupe Genolier, selon une «logique politique et économique en entonnoir» (nous a déclaré un membre du SSP), face à un personnel bien conscient des menaces pesant sur son activité et logiquement engagé pour sa sauvegarde. Nous avions déjà évoqué les conséquences de l’abrogation de la CCT Santé 21 : en bref, une dévaluation salariale, une augmentation du temps de travail, une protection sociale inexistante (assurances réduites à la portion congrue dévolue par le Code des obligations), une facilité de licenciement plus grande et encore plusieurs restructurations technocratiques, toutes au détriment du personnel. C’est là le nœud du problème, car le groupe Genolier (GSMN) ne veut pas de cette CCT (le Conseil d’Etat non plus, du reste), quitte à retirer ses billes et mettre ainsi l’hôpital dans une situation critique : il serait alors contraint à un démantèlement certain dans le réseau des Hôpitaux neuchâtelois (HNe), lui-même en voie de libéralisation. Quant aux emplois, nous avions déjà dit ce qu’il en serait dans le cadre du capitalisme médical pratiqué par GSMN.

 

Méthodes antidémocratiques 

Dans ce contexte d’une libéralisation de l’ensemble du système de santé suisse, le conflit social de la Providence représente un cas d’école quant aux méthodes antidémocratiques appliquées en milieu professionnel : des punitions, à la suite du premier débrayage (voir solidaritéS, nº 214), aux pressions internes (lettres et annonces d’illégalité de la grève, au motif d’une conciliation alors échue et donc au mépris de la loi !), de la surveillance aux intimidations (à ma visite, une aide-soignante arrivait en pleurs), il ne manquait plus qu’un vote «revolver sur la tempe» (courrier du SSP et de Syna), c’est-à-dire totalement biaisé, pour convaincre un personnel désabusé qu’il n’avait pas son mot à dire dans la privatisation forcée de l’institution. Le 29 novembre, la direction de l’hôpital a envoyé une lettre aux grévistes, leur annonçant qu’ils et elles seraient sanctionné·e·s pour «abandon de poste», sans toutefois préciser la nature exacte desdites sanctions (qui pourraient aller jusqu’à des licenciements).

 

Faillite complète

Pour l’un des grévistes, membre du SSP, il s’agit d’une faillite complète sur trois plans : «c’est une faillite médicale, car le serment d’Hippocrate stipule qu’on ne fait pas commerce de la santé?; une faillite institutionnelle, car le médiateur de la conciliation se trouve être également l’avocat de la direction et une faillite structurelle du système ultralibéral, qui vise à la privatisation de tous les services publics».

Mais la lutte s’organise en conséquence. Un comité de soutien au personnel de la Providence (SSP, Syna, PVS, PSN, Attac, MMF, etc.) s’est ainsi créé le 27 novembre pour appuyer le mouvement de grève. Et ce n’est pas tout : une motion populaire, intitulée « Pour le maintien de la convention collective de travail CCT Santé 21 à l’Hôpital de la Providence », déposée le 23 octobre, sera votée par le Grand Conseil mercredi 5 décembre et il y a fort à parier qu’elle va passer puisque les partis de gauche la soutiennent. Cette motion demande en substance que le Conseil d’Etat «oblige» la direction de l’Hôpital «à renoncer à dénoncer la convention collective Santé 21»?; elle «réclame aussi, dans un second temps, que le Conseil d’État empêche toute velléité de la direction de la Providence d’externaliser un quelconque service constitutif de sa structure organisationnelle».

 

Lutter deux fois plus

La journée de mercredi sera cruciale pour l’avenir du personnel. Il est donc de première importance que nous manifestions massivement notre soutien aux grévistes, durant toute la durée du processus, car l’adoption de cette motion va pousser le groupe Genolier à revoir sa position et le CE à faire de nouvelles propositions?; le personnel devra donc lutter deux fois plus pour ses droits légitimes et, cela n’a rien d’accessoire, pour une mission d’intérêt public. La Providence est un centre de dialyse, d’orthopédie et d’ophtalmologie?; il n’est pas normal qu’il passe dans les mains d’une entreprise privée, au détriment du service public jusqu’ici garanti au sein de l’institution. En fin de compte, il s’agit ici du procédé qui s’applique également à l’assurance maladie : une obligation d’intérêt général… aux mains de la concurrence du système des assurances privées.

 

Camille Jean Pellaux