Egypte

Egypte : Deux ans après la lutte continue

L’anniversaire des deux ans du début de la révolution égyptienne, ce 25 janvier, a cristallisé encore un peu plus l’opposition au gouvernement dirigé par les Frères musulmans (FM). Les mobilisations demandaient la justice pour les familles des martyrs de la révolution, les responsables de ces meurtres n’ayant toujours pas été traduits en justice, et dénonçaient la monopolisation du pouvoir par les FM.

Depuis le début des manifestations, plus de 60 personnes ont été tuées et plusieurs centaines d’autres blessées lors des affrontements avec les forces de sécurité. Le gouvernement a encouragé cette répression féroce contre les manifestant·e·s par des ordres stricts et n’a pas hésité à déclarer l’état d’urgence – un instrument utilisé par le régime Moubarak pour empêcher toute mobilisation pendant son règne – dans plusieurs régions, permettant à l’armée de prendre un contrôle quasi total des villes de Port-Saïd, Ismaïlia et Suez. Cette décision suivait la mobilisation de dizaines de milliers de personnes contre le gouvernement des FM. En réponse, des manifestant·e·s chantaient à Suez «?L’état d’urgence ne sera imposé que sur nos cadavres», tandis que des groupes de jeunes organisaient des compétitions sportives pour violer le couvre-feu.

Le président Morsi a également approuvé une loi, ratifiée par le Sénat dominé par les islamistes, autorisant l’armée à se déployer dans les rues pour participer, avec la police, au maintien de l’ordre. 

Dans un discours télévisé du 27 janvier, considéré comme une déclaration de guerre par beaucoup de révolutionnaires, le président saluait le comportement de la police et de l’armée, dont les «mains étaient toujours trempés du sang de dizaines d’Egyptien·ne·s» comme le déclarait le groupe des Socialistes révolutionnaires.

 

La valse-hésitation du Front de salut national

L’alliance entre les Frères musulmans et l’armée n’a fait que se renforcer depuis la chute de Moubarak, mais surtout depuis l’arrivée du président Morsi au pouvoir. Le sentiment général des mobilisations du 25 janvier, et de celles qui n’ont cessé de suivre depuis lors, était qu’il fallait continuer la révolution, car les objectifs à son origine n’avaient pas été atteints et le gouvernement actuel n’allait pas du tout dans cette direction, bien au contraire. L’opposition dans son ensemble dénonce les dérives autoritaires du FM et l’accuse de plonger le pays dans une crise économique et sociale profonde.

L’opposition a d’abord refusé le dialogue proposé par le gouvernement de Morsi, considéré comme vide de sens sans changement préalable, mais finalement le Front de salut national (FSN), la principale coalition de l’opposition, des indépendants et des représentants des Eglises d’Egypte ont participé, avec les FM, à une réunion au Caire à l’initiative de l’Université Al-Azhar. Les dirigeants de tous les principaux partis politiques ont, à cette occasion, signé un document où ils renoncent à la violence et s’engagent au dialogue. Le FSN prône une sortie de crise passant notamment par la formation d’un « gouvernement de salut national » et des amendements à la Constitution adoptée en décembre.

La gauche radicale quant à elle appelle à poursuivre la révolution pour atteindre ses objectifs : liberté, justice sociale et indépendance. De nouvelles manifestations se sont tenues le vendredi 1er février. La gauche, dans toutes ses composantes, joue un rôle déterminant dans la volonté du peuple égyptien de continuer la révolution et d’aller vers un changement radical.

 

Les Frères musulmans, fidèles à eux-mêmes 

Le gouvernement des FM ne semble pas changer de manière de gouverner et poursuit ses politiques autoritaires et néolibérales.

« Les négociations avec le FMI se poursuivent à tous les niveaux», déclarait le 31 janvier le ministre des Finances, tandis que certains hommes d’affaires de l’époque de Moubarak ont pu rentrer au pays et sécuriser leurs biens grâce un accord avec le gouvernement actuel. Pour rappel : un accord préliminaire a été conclu entre le gouvernement égyptien et le FMI sur la base de l’engagement de l’Egypte à mettre en œuvre un programme de réforme économique visant à réduire le déficit budgétaire du pays de 11 % du PIB cette année à 8,5 % en 2014. Cet objectif doit être atteint par un mélange de hausses des impôts sur les ventes, les revenus et la propriété et de réductions des dépenses. 

Au niveau des droits politiques, le ministère de la Justice vient de publier un projet de loi réglementant, c’est-à-dire limitant, surtout, le droit de manifester. Le projet stipule entre autres que le ministère de l’Intérieur doit être avisé de la date d’une manifestation cinq jours à l’avance, qu’il a les compétences pour l’annuler tout simplement ou la reporter?; la police aurait aussi le droit d’utiliser la force afin de mater la manifestation. Un grand nombre des 26 articles prévus ont été critiqués par des spécialistes des droits humains et par les syndicats de travailleurs et travailleuses. 

De nombreuses organisations des droits humains ont, avec d’autres activistes, condamné l’absence d’amélioration dans ce domaine depuis la prise de fonction de Morsi. Ces derniers mois, une croissance des poursuites contre les journalistes et des atteintes à la liberté d’expression a été enregistrée. Au moins 17 personnes ont été accusées d’avoir diffamé le président et 18 autres d’avoir diffamé le système judiciaire depuis le 30 juin 2012, date de l’arrivée de Morsi à la présidence. Les jugements de civils par des cours militaires continuent, tandis que le Ministère public a été sévèrement critiqué d’une part pour ne pas avoir enquêté sur les accusations de torture portées contre les forces de l’ordre, et d’autre part pour ne pas avoir enquêté sérieusement dans la plupart des cas de violence sectaire.

Le processus révolutionnaire égyptien se poursuit et le peuple égyptien ne cessera pas sa mobilisation tant qu’un changement radical vers la liberté et la dignité ne sera pas engagé.

 

Joseph Daher