Le 2ème pilier n'aime pas les femmes

L’émission de télévision alémanique « Kassensturz » a levé un joli lièvre il y a une année en révélant que plusieurs caisses de pensions — et non des moindres — avaient d’autorité fait passer l’âge
de la retraite des cotisantes à 65 ans.
Tout un symbole de la manière dont cette assurance traite les femmes.

Pour comprendre comment la caisse de pensions des CFF, celle du canton d’Argovie et bientôt celle du canton de Bâle-Campagne peuvent légalement appliquer un âge de la retraite à 65 ans pour les femmes, il faut se rappeler que la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) ne concerne qu’une partie du salaire, appelée salaire coordonné. Ce qui est inférieur ou supérieur entre dans la partie dite « surobligatoire » de l’assurance, qui n’est pas réglée par la LPP, mais par le règlement de chaque caisse. Pour la partie encadrée par la loi, les caisses ne peuvent déroger à l’âge légal de départ à la retraite de 64 ans pour les femmes. En revanche, elles peuvent le faire pour la partie surobligatoire. Si donc une femme réclame de partir à la retraite à 64 ans, elle touchera la rente complète pour la partie LPP de son revenu et une rente réduite pour la partie qui dépend exclusivement du règlement de la caisse. Cela peut entraîner une diminution sensible de cette rente. L’émission « Kassensturz » exposait le cas d’une secrétaire d’un institut universitaire de Bâle dont la rente serait ainsi réduite de 8 %.

 

Une discrimination amplifiée

Sous prétexte de coordonner l’AVS et le 2e pilier, la LPP calcule le revenu déterminant la rente en ôtant du revenu annuel brut la « déduction de coordination ». Du coup, les bas salaires et les revenus intermittents se trouvent exclus de la prévoyance professionnelle. Or les femmes sont bien plus touchées par les bas salaires que les hommes. La structure même du 2e pilier vient ici renforcer une discrimination salariale. Même le parlement s’en est aperçu, procédant laborieusement, lors de la révision de la LPP en 2005, à l’introduction d’un seuil d’entrée de la LPP plus bas (aujourd’hui 21 060 francs de salaire annuel) que la déduction de coordination (24 570 francs). Pour, dixit Pascal Couchepin, «améliorer la prévoyance des bas revenus». Le résultat de la mesure n’a pas franchement cassé des briques. Pas sûr que l’ancien conseiller fédéral et actuel chroniqueur à la radio, un mardi sur deux, lui consacre un de ses billets d’humeur. Une enquête menée à la demande de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) sur les effets de l’abaissement de ce seuil constate qu’«après la première révision LPP, la part des femmes exerçant une activité dépendante non assurée à la LPP reste nettement plus élevée que celle des hommes dans la même situation (26,3% contre 10,8%) » (Sécurité sociale no 4/2011). En plus, même lorsqu’il y a un effet positif (lorsque le revenu est proche de l’ancien et du nouveau seuil durant plusieurs années), «la rente augmente en moyenne de 35 francs par an (soit 3 francs par mois) pour chaque année où le revenu se situe entre les deux niveaux du seuil. S’il se situe entre les deux niveaux du seuil durant 40 ans, la rente LPP supplémentaire se monte à 1500 francs par année, soit 125 francs par mois». Mirobolant, non ? Et ce n’est pas tout. Il y a des effets pervers : dans certains cas de très bas salaire permanent, les cotisations au deuxième pilier représenteront une diminution du revenu réel qui ne sera pas compensée par une retraite améliorée, puisque la petite rente LPP sera alors déduite des prestations complémentaires auxquelles la personne a droit.

Les auteurs de l’étude concluent que « les modélisations montrent que l’abaissement du seuil d’accès n’améliore guère le niveau de prévoyance vieillesse des personnes qui en bénéficient. […] Pour les nouveaux assurés, les plus pauvres, l’abaissement du seuil d’accès et même désavantageux s’agissant de la prévoyance vieillesse, si l’on considère l’ensemble de la vie active.»

 

Répartir et non capitaliser

Si l’on jette un œil aux rentes de vieillesse actuellement versées par les caisses de pensions (statistique 2011), on constate que la rente moyenne annuelle versée aux femmes représente 50,6 % de celle versée aux hommes (chiffres absolus : 18 333 francs et 36 531 francs). Si nous voulons réduire cette inégalité – qui renvoie à la division sexuelle du travail et à la prise en charge du travail éducatif et ménager par les femmes –, il n’y a pas d’autre méthode que de recourir d’une part à la garantie d’une rente minimale et d’autre part à l’extension du principe de répartition avec fonds de réserve, qui est grosso modo celui de l’AVS. L’idée étant que toute la population active cotise pour la génération à la retraite et que les revenus du fonds de réserve constitué par les avoirs du 2e pilier viennent nourrir cette répartition, assurant à toutes et à tous une rente permettant de vivre dignement. Lors du débat en 2004 sur la première révision de la LPP, Marianne Huguenin, alors conseillère nationale POP/A Gauche toute !, avait souligné que l’AVS «était une assurance sociale beaucoup plus égalitaire pour les femmes et qui leur est beaucoup plus favorable», demandant une revalorisation du premier pilier vis-à-vis du deuxième. Pascal Couchepin avait alors ironisé sur une idée «généreuse sans solution pratique». La fusion du 1er et du 2e pilier sera sans aucun doute cette solution pratique.

 

Daniel Süri