Contre la précarité des jeunes, défendons les bourses d'études
Les bourses d’études en Suisse représentent un système très peu développé, un des plus faibles d’Europe, souffrant notamment de l’absence de cadre fédéral, avec de nombreuses disparités en fonction du canton d’origine. C’est cette situation que l’Union Nationale des Etudiant·e·s de Suisse (UNES) entend remettre en question avec son initiative. Actuellement en consultation, cette dernière se verra opposer un contre-projet dont les détails ne sont pas encore connus. Pour rappel, l’initiative de l’UNES demande une harmonisation et l’inscription du fait que les bourses d’études garantissent un niveau de vie minimal.
L’éducation, y compris universitaire, est un droit. Or la Suisse possède un système éducatif extrêmement élitiste. Un nombre limité de personnes peuvent accéder, si elles le souhaitent, aux études supérieures. En plus d’autres modes de sélection du système éducatif, la question financière reste une barrière forte. Comment vivre pendant cinq ans d’études, sans revenu, si l’on ne bénéficie pas d’une aide financière parentale ? Les étudiant·e·s qui doivent travailler à côté de leurs études s’exposent évidemment à un plus fort risque d’échec. Or, ils-elles représentent un pourcentage de plus en plus élevé.
Aujourd’hui, en Suisse, seuls 8 % d’étudiant·e·s bénéficient d’une bourse. Le montant de celle-ci varie et représente souvent une somme insuffisante pour vivre?; il en va de même pour son mode de financement – il s’agit dans bien des cas d’un prêt à rembourser avec des intérêts. Et cette situation inégalitaire ne fait qu’empirer. L’UNES rappelle que, « depuis 1993, le volume des bourses a diminué – hors inflation – de près de 25 % et, pendant cette même période, les subventions fédérales sont passées de 40 % à 9 % ».
Or le manque de formation est l’une des raisons essentielles de la précarité des jeunes. Ainsi, selon l’Office Fédérale de la Statistique, les personnes sans formation tendent à dépendre plus longtemps de l’aide sociale. Plus de la moitié des jeunes adultes bénéficiant de prestations d’aide sociale n’ont pas de diplôme post-obligatoire et ne sont pas en train de suivre une formation. Cette précarisation est de plus en plus préoccupante : les jeunes de 18 à 25 ans représentent une proportion élevée des bénéficiaires de l’aide sociale depuis quelques années.
Les décisions politiques actuelles, plutôt que de chercher à pallier à ces dynamiques, renforcent la précarité et l’inégalité. Les cantons romands sont aujourd’hui à l’avant-garde de cette remise en cause du droit de chacun·e d’accéder aux études. Ainsi, le 5 novembre dernier, le Conseil d’état vaudois, à majorité de gauche rose-verte rappelons-e, a présenté un nouveau projet de loi sur les bourses d’étude. Si on y trouve quelques améliorations, comme la possibilité d’octroi d’une bourse en cas d’études à l’étranger, ou une meilleurs prise en compte des charges fiscales des familles dans le calcul des bourses, cela se fait au prix de régressions importantes. L’accès au statut d’indépendant financier y sera très restreint : il permet aux jeunes qui vivent de façon autonome, sans l’aide de leurs parents, de toucher une bourse pleine. Jusqu’ici, pour obtenir ce type de bourses, il fallait prouver qu’on avait travaillé 12 mois (pour les plus de 25 ans) – ou 18 mois (pour les moins de 25 ans) – avant le début de ses études. Dans le nouveau projet, il faudra avoir fini une formation professionnelle, avoir travaillé 2 ans dans le canton de Vaud, ou sinon, avoir travaillé 6 ans d’affilée, dont 2 dans le canton de Vaud. La loi prévoit également une baisse des forfaits repas journaliers de 11 à 7 francs. Enfin, la durée sera restreinte suivant la formation.
Cette attaque intègre le discours xénophobe et raciste ambiant en interdisant désormais l’accès aux bourses aux étranger·e·s titulaires d’un permis F ou N, excluant ainsi encore plus les personnes ne possédant pas la nationalité suisse. En la matière, le Valais fait également fort. Mené par le nouveau conseiller d’Etat, l’UDC Oskar Freysinger, une coupe claire de 3,5 millions de francs suisses dans le budget alloué aux bourses d’études a été annoncée.
Ces deux exemples cantonaux sont symptomatiques de la volonté de limer un système déjà très lacunaire au niveau fédéral (les cantons de Saint-Gall et Schaffhouse ont également réduit leur engagement en faveur des bourses). Cette politique ne peut mener qu’à un renforcement de la précarité des jeunes en formation, une frange de la population connaissant une situation de plus en plus difficile. De telles mesures privent de formation un nombre croissant de jeunes, renforçant leur exposition à la précarité et à la pauvreté. Cette politique renforce l’inégalité sociale, faisant dépendre l’accès à la formation de l’origine socio-économique des personnes.
Il faut s’opposer à cette orientation et exiger un accès facilité aux bourses. Les montants doivent augmenter afin que chaque bénéficiaire, sans distinction de nationalité, puisse subvenir à ses besoins. L’Etat doit garantir à chacun l’accès aux études, et fournir des bourses qui permettent d’étudier dans des conditions d’autonomie. La précarité des étudiant·e·s ne peut être combattue par de petits jobs qui conduisent à l’augmentation du taux d’échec. Afin de mener une lutte efficace contre ces projets de loi, il faut se mobiliser dans chaque canton (une coordination se met en place dans le canton de Vaud), appeler à des actions concrètes et construire un véritable mouvement national.
Julien Nagel