La droite divisée sur la libre circulation, mais unie contre les migrants
Avant comme après le vote du 9 février, la focalisation du débat public sur la « prospérité de la Suisse »
a largement occulté les conséquences de l’initiative UDC pour les migrants.
Avec l’acceptation de l’initiative, de nouvelles règles fondamentales – constitutionnelles – encadrent la gestion de l’immigration par les autorités. Ces règles visent en particulier à réduire le solde migratoire, c’est-à-dire le total des personnes arrivant en Suisse moins le nombre des départs. Selon les chiffres articulés par les dirigeants de l’UDC, il s’agirait de passer d’un solde migratoire de 81 000 personnes en 2013 à 50 000 ou 60 000 par an dans les années à venir, via l’instauration de plafonds et de contingents. Le nouvel article 121 de la Constitution fixe des critères d’application. En particulier, « le droit au séjour durable, au regroupement familial et aux prestations sociales peut être limité.?» Le droit au séjour dépend de « la demande d’un employeur, de la capacité d’intégration et d’une source de revenus suffisante et autonome. »
Cela signifie concrètement que le solde migratoire sera réduit par la mise en cause du droit au séjour des jeunes en formation ou encore des mères ou pères au foyer, car ils ne « répondent pas à la demande d’un employeur.?» Parmi eux, en particulier, les travailleuses et travailleurs pauvres ou en recherche d’emploi, qui plus est avec charge de famille, verront leur droit au séjour limité parce qu’ils ne « disposent pas d’une source de revenus suffisante.?» Quant au troisième critère, « la capacité d’intégration », elle stigmatise en particulier les « ressortissants de pays qui n’ont pas les idées européennes (au sens large) », selon les termes utilisés par le Conseil fédéral en 1991 déjà pour définir une politique d’immigration choisie, visant à restreindre au maximum l’arrivée de personnes d’origine extra-européenne.
Selon que vous serez médecin ou nettoyeuse…
Pour résumer de manière schématique, avec trois exemples : un médecin autrichien et sa famille répondent aux critères fixés ; une nettoyeuse portugaise et ses enfants y répondent de manière partielle, car il n’est pas certain qu’ils disposent d’une « source de revenu suffisante » ; quant à une requérante d’asile érythréenne, elle n’y répond pas ; même si sa demande d’asile est acceptée, le droit au regroupement familial pourra donc être limité. Certes, ce droit est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et par la Convention de Genève sur les réfugiés. Mais le nouvel article constitutionnel prévoit que « les traités internationaux contraires à l’art. 121 doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois ans ». L’UDC fait donc campagne pour une révision de ces traités, avec une légitimité renouvelée.
L’UDC a en outre annoncé 35 amendements à la Loi sur les étrangers (LEtr) destinés à mettre en œuvre le nouvel article constitutionnel. Ces propositions exigent notamment que les personnes au bénéfice d’une autorisation de courte durée n’aient pas droit au regroupement familial et que celui-ci ne soit plus accordé aux bénéficiaires de l’aide sociale (y compris les travailleurs pauvres) ou ceux touchant une assurance sociale (personnes invalides, accidentés du travail, chômeurs, etc.) Ces amendements demandent encore que les expulsions soient automatiques pour les immigrés ayant commis des délits. Cette dernière revendication fait écho à la deuxième initiative pour l’expulsion des « criminels étrangers », dite de « mise en œuvre », que l’UDC a déposée en décembre 2012, parce qu’elle considérait que le Conseil fédéral avait appliqué sa première initiative de manière trop « laxiste ». L’enjeu porte à nouveau sur le respect des règles du droit international, qui limitent par exemple l’automaticité des expulsions au nom du droit au regroupement familial.
Complicités
Si le gouvernement a combattu la mise en cause de la libre circulation par l’UDC, il a devancé les exigences de cette dernière concernant la restriction des droits des migrants. Ainsi, le 10 janvier dernier, l’UDC publiait un communiqué de presse dénonçant l’augmentation du nombre de ressortissants de l’UE touchant le chômage en Suisse, stigmatisant en particulier « les Bulgares, Roumains et Portugais ». Comme souvent, il s’agissait d’une grossière manipulation des chiffres, l’UDC s’appuyant sur les statistiques des mois de novembre et décembre, selon lesquelles la hausse du chômage s’explique essentiellement par des facteurs saisonniers, en particulier le ralentissement hivernal de l’activité sur les chantiers. Bien loin de dénoncer cette propagande mensongère, quatre jours plus tard, le Conseil fédéral lui apporte son blanc-seing en annonçant des « mesures supplémentaires pour lutter contre les abus », parmi lesquelles : « les citoyens de l’UE qui viennent en Suisse pour y chercher du travail n’auront pas droit à l’aide sociale » et « les ressortissants de l’UE au chômage se voient désormais refuser une autorisation de séjour après cinq ans s’ils sont au chômage depuis 12 mois.?» A trois semaines du vote, cette annonce du Conseil fédéral, largement reprise par les médias, a été une aubaine pour l’UDC, qui a pu terminer sa campagne sur le thème des « abus à l’aide sociale et aux assurances ».
Aujourd’hui, le Parti libéral-radical articule des revendications concernant la limitation du droit au regroupement familial et à l’aide sociale qui n’ont pas grand-chose à envier à celles de l’UDC, notamment un délai de cinq ans avant qu’un immigré extra-européen bénéficiant du regroupement familial puisse toucher l’aide sociale et une accélération des procédures d’asile, c’est-à-dire le plus souvent des expulsions (NZZ am Sonntag, 23 février).
Hadrien Buclin