Problèmes de construction de la gauche anticapitaliste en Europe

Problèmes de construction de la gauche anticapitaliste en Europe

Nous traversons actuellement une
période difficile à l’échelle
européenne, où l’offensive sociale et politique de
la droite et des milieux patronaux ne rencontre aucune
résistance sérieuse de la part des grandes organisations
syndicales et de la gauche traditionnelle.
Les Verts aussi ont
entamé un recentrage qui les place souvent dans la roue (voire
à la droite) de la social-démocratie. En même
temps, les espoirs soulevés par l’altermondialisme ne se
sont pas encore traduits par des mobilisations sociales, capables
d’opposer une résistance de grande envergure, sur le
terrain (à l’exception peut-être, en 2006, des
mobilisations de la jeunesse contre le CPE en France et contre la
marchandisation de l’éducation au Chili et en
Grèce). Ces évolutions se déroulent sur le fond
d’une offensive idéologique permanente des grands
médias en faveur d’un pilotage quasi-exclusif des choix de
société par les marchés. Ainsi, en particulier en
Suisse, les rares luttes sociales sont totalement isolées (par
ex., La Boillat).

De surcroît, le caractère
large et unitaire des mobilisations anti-guerre a été
récemment mis en cause. En effet, le retour des secteurs
dominants de l’establishment politique US à une certaine
dose de multilatéralisme, qui présente
l’implication du Conseil de sécurité de
l’ONU, des puissances européennes, voire de l’Otan,
dans la gestion des «crises internationales» comme gages
d’une approche pacifique et équitable, dissimule le
caractère fondamentalement impérialiste de ce nouvel arc
de forces.
Le vote de Refondation Communiste pour le maintien
des troupes italiennes en Afghanistan a représenté le
symbole de cette fracture et de cet affaiblissement (aujourd’hui,
le cabinet Prodi vient d’accepter l’extension de la base
militaire US de Vicence, malgré une forte opposition
populaire!). Raison pour laquelle, nous devons nous employer à
développer la conscience anti-impérialiste de la gauche
sociale et politique européenne (cf. éditorial de
solidaritéS n° 96, du 1er nov. 2006:
«L’impérialisme est-il soluble dans le
multilatéralisme?»)

Dans de telles conditions, nous sommes
constamment sollicités pour la défense des
intérêts les plus élémentaires des
salarié-e-s, des bénéficiaires des prestations
sociales et des usager-e-s des services publics
(par ex. pour
refuser la 5e révision de l’Assurance Invalidité),
notamment pour combattre les privatisations-libéralisations
(marché de l’électricité, hôpitaux,
transports, etc.). Il en va de même de batailles
démocratiques élémentaires, contre le
démantèlement du droit d’asile ou le renforcement
d’une législation d’exception visant les
étranger-e-s non Européens. A Genève, même
une forte restriction du droit d’affichage fait aujourd’hui
l’objet d’une bataille, où solidaritéS
s’est retrouvé longtemps seul comme force politique.

En même temps, du moins en
Suisse, cette résistance se réduit le plus souvent au
lancement de référendums, qui contribuent à faire
émerger des enjeux importants sur le plan politique. Elle se
traduit aussi par le besoin – perçu au sein de secteurs
significatifs de la population – de construire des fronts
politiques antilibéraux sur le plan électoral, afin de
conjuguer ces batailles référendaires avec une
résistance pied à pied au niveau parlementaire
.
C’est la raison pour laquelle, même si les règles de
quorum (pourcentage minimum de suffrages pour avoir des élu-e-s)
n’existaient pas, la constitution de listes unitaires serait sans
doute toujours ressentie largement comme une nécessité,
afin d’opposer un front antilibéral à
l’offensive des milieux dominant-e-s. C’est dans ce sens
que la constitution du pôle «A Gauche Toute!» nous
semble aujourd’hui incontournable.

Sur le plan social, le lancement de
référendums d’opposition – une
spécificité helvétique – peut cependant
devenir un substitut à des mobilisations sociales
quasi-inexistantes
(débrayages, manifestations, etc.). En
effet, si quelques dizaines de militant-e-s très motivés
(parfois même moins sur le plan cantonal) arrivent à faire
aboutir un référendum, ils-elles ne peuvent plus investir
la même énergie (la journée n’a que 24
heures) dans les organisations syndicales et associations capables de
stimuler et d’organiser la mobilisation collective de milliers de
personnes sur le terrain.

Or, le fait de signer un
référendum et de voter ne remplacera jamais les
mobilisations sociales directes, dans la rue et sur les lieux de
travail, seules capables d’opposer une résistance
sérieuse (et de donner à terme les conditions d’une
alternative antisystémique) aux politiques
néolibérales, ainsi qu’aux tendances autoritaires
qui l’accompagnent.
Ceci est d’autant plus vrai, que
la politique institutionnelle exclut par nature les immigré-e-s,
mais aussi, tendanciellement, d’autres catégories (jeunes
de banlieue, chômeurs-euses de longue durée, pauvres,
etc.), parmi les plus durement frappées par les logiques de
développement du capitalisme. Elle discrimine aussi les femmes.

Ainsi, la nécessité de
former des fronts de la gauche antilibérale sur le plan
électoral et, du moins en Suisse, de lancer des
référendums, doit être contrebalancée par un
investissement supérieur de notre part sur les terrains syndical
et associatif afin de contribuer à la relance d’un cycle
de mobilisation-organisation sur le terrain.
Il existe en effet
aujourd’hui un sérieux danger de rupture
générationnelle entre les meilleures traditions de luttes
unitaires des décennies 80-90 – incarnées notamment
par les batailles de la fonction publique en Suisse romande – et
les résistances de ces dernières années,
handicapées par la faiblesse, mais aussi par l’isolement
de certaines équipes syndicales (ce qui les pousse parfois
à des surenchères proclamatoires). En raison de la
limitation de nos forces, l’augmentation de nos investissements
sur ce terrain (en termes d’engagements militants, mais aussi de
réflexion et de débat) ne pourra se faire qu’au
détriment de la politique «institutionnelle».

Enfin, la constitution de fronts
électoraux comme «A Gauche Toute!» ne constitue pas
non plus un substitut à la construction d’organisations
politiques anticapitalistes, socialistes et féministes comme
solidaritéS.
Quelles que soient les formes
d’existence organisationnelles que nous nous donnions à
l’avenir, nous devons maintenir un courant capable d’agir
autour de notre projet politique, qui comprend certes l’absolue
nécessité de résister pied à pied au
quotidien, mais en indiquant constamment les lignes de force d’un
projet alternatif radical au capitalisme patriarcal. Même plus:
dans la période actuelle, si nous voulons vraiment stimuler la
résistance à la déferlante
néolibérale, nous devons nous efforcer de renforcer nos
acquis programmatiques communs par l’enrichissement de notre
plate-forme, ce qui n’exclut pas – bien au contraire
– l’ouverture de chantiers de discussion à plus long
terme.

Dans la phase actuelle, la meilleure
connaissance et la discussion des expériences de nos camarades
de la Gauche anticapitaliste européenne nous paraissent
particulièrement importantes, dans la mesure où ils-elles
rencontrent en grande partie les mêmes problèmes que nous.
C’est la raison pour laquelle nous avons invité trois
d’entre eux-elles, originaires d’Allemagne, d’Italie
et de France. En effet, par-delà les différences de
contexte, ils-elles se confrontent tous à la même
difficulté: comment faire émerger une alternative
anticapitaliste forte, capable de contester
l’hégémonie du social-libéralisme, non
seulement sur le terrain de la protestation sociale, mais aussi dans le
champs électoral et institutionnel?

Afin de baliser la réflexion de notre week-end, nous pourrions tenter de débattre des deux questions suivantes:

  1. Que représentent aujourd’hui les expériences
    de regroupement de la gauche antilibérale en Europe?
    S’agit-il seulement du pendant politique de la construction
    d’un front unique antilibéral (WASG en Allemagne, RESPECT
    en Angleterre, «A Gauche Toute!» en Suisse)?
    S’agit-il aussi de nouvelles organisations de la gauche
    anticapitaliste unifiée (Bloc de Gauche portugais, Alliance
    verte et rouge danoise, SSP écossais)? S’agit-il
    d’un mixte des deux? Comment caractériser le PRC italien?
  2. Comment les militant-e-s anticapitalistes peuvent-ils-elles se
    donner les moyens de résister aux dérives opportunistes
    possibles de ces coalitions antilibérales ou des nouveaux partis
    de la gauche radicale, qui risquent de se muer en caution gauche de
    gouvernements sociaux-libéraux ou pro-impérialistes (la
    majorité de PRC en Italie)? Faut-il poser des conditions
    politiques strictes au point de départ de telles coalitions (ou
    nouveaux partis), notamment l’engagement à refuser toute
    alliance (gouvernementale ou parlementaire) avec les partis
    sociaux-libéraux, au risque de faire échouer la
    constitution de tels fronts (majorité de la LCR)? Ou faut-il au
    contraire préférer une bataille politique au sein de ces
    fronts (ou organisations unifiées) en formation (minorité
    de la LCR) en prenant le risque d’entrer en opposition avec les
    autres composantes en cas de concessions inacceptables (comme le
    courant Sinistra Critica au sein du PRC)?

Le FORUM SOCIALISTE des 3-4
février, organisé par solidaritéS/SoAL au Locle,
devrait permettre de débattre de ces questions à la
lumière de nos différentes expérience.


Forum Socialiste Le Locle, 3-4 févr. 2007

Avec la participation de:

Manuel Kellner, Internationale Sozialistische Linke (ISL)
et WASG, Allemagne,

Franco Turigliatto, sénateur PRC, Sinistra Critica, Italie,

Roseline Vachetta, porte-parole de la LCR, ex-députée
européenne, France.

Date: week-end des 3 et 4 février au Locle, du samedi à 14h. au dimanche à 15h.30.
Hébergement: Prendre un
sac de couchage. Centre d’accueil des Calames. Fam. Devins. Les
Calame 5, CH-2400 Le Locle (tél. +4132 931 25 74; fax. +4132 931
38 42).
E-mail.
<mailto:centre-des-calame@freesurf.ch> – Internet.http://www.lelocle.ch/economie/Calames/centre_des_calame_fr.htm
Transports: organisation collective depuis chaque ville.
Prix: 20 Frs pour les jeunes et
chômeurs-euses, 50 Frs pour les salarié-e-s (repas de
samedi soir et de dimanche midi, petit déjeuner et couchage sur
place compris).
Documentation: Un dossier de
préparation est disponible auprès des responsables des
villes (Marie-Eve Tejedor à Genève, Daniel Süri
à Lausanne, Henri Vuilliomenet à Neuchâtel et
Birgit Althaler pour la Suisse alémanique). Ou sur demande, par
Email, à jbatou@infomaniak.ch

Programme

Samedi

13h.30
Arrivée et installation
des participant-e-s.
14h.00
Introduction au Forum
(Janick Schaufelbuehl)
14h.30
Situation au sein de Rifondazione Comunista en Italie (Franco Turigliatto)
16h.30
Pause
17h.00
Problèmes liés à la création
du Linkspartei en Allemagne (Manuel Kellner)
19h.00
Pause
19h.30
Repas
21h.00
Projection du film de D. Künzi «La Suisse et la Guerre
d’Espagne: la solidarité»

Dimanche

08h.30
Petit déjeuner
09h.30
Situation en France et
perspectives de la gauche
anticapitaliste.
11h.30
Pause
12h.00
Repas
13h.30
Construire solidaritéS et la
Coalition «A Gauche toute!»
en Suisse (Jean Batou)
15h.30
Fin du forum


Inscriptions préalables
En raison des places limitées, ce stage est ouvert prioritairement
aux membres et sympathisant-e-s de solidaritéS/SoAL
Pour s’inscrire
Marie-Eve Tejedor, 022 740 07 40.
Contacts sur place
Pierre Vanek, 079 664 74 44