Entre Résistance et guerres civiles, le Liban aux avants-postes de la grande guerre régionale
Entre Résistance et guerres civiles, le Liban aux avants-postes de la grande guerre régionale
La
crise ouverte au Liban, depuis décembre 2006, ne peut se comprendre
quà partir de trois éléments: les conséquences politiques de la guerre
des trente-trois jours entre Israël et la résistance libanaise; la
structure interne du Liban un régime fondé sur le confessionnalisme
politique ; la situation régionale qui prévaut au Moyen-Orient et voit
loffensive impériale sétendre à une multitude de fronts, du Liban à
la Palestine, en passant par lIrak, et sous peu lIran.
Lorsque
le Hezbollah et ses alliés ont décidé de lancer un mouvement massif de
protestation contre le gouvernement de Fouad Siniora, très proche de la
France et des USA, cétait essentiellement pour transformer et
capitaliser les acquis politiques de la guerre de juillet- août: il
sagissait de renforcer le camp de la résistance au sein du
gouvernement, voire, par de nouvelles élections anticipées, de faire
gagner lEtat à la résistance. La situation reste en effet alarmante
pour la résistance libanaise, dans toutes ses composantes: présence de
forces occidentales sous légide de la FINUL au Sud-Liban, préparation
dIsraël à une nouvelle guerre, collaboration dune partie de
lamajorité gouvernementale
avec lambassade américaine, arrivée
massive darmes légères ou lourdes dans les mains de nouvelles
milices opposées au Hezbollah, notamment celles du Parti socialiste
progressiste (druze), du Courant du Futur (sunnite) de Saad Hariri, et
des Forces libanaises de Samir Geagea (chrétien).
Ce sont ces
dernières qui ont provoqué une série dincidents violents, lors de la
grève générale initiée par lopposition, le 23 janvier, et à la sortie
de lUniversité arabe de Beyrouth, le 25 janvier, causant
une
dizaine de morts et une centaine de blessés. Enfin, lopposition
noublie pas quen septembre 2007, les élections présidentielles
nemanqueront pas demettre à la tête de lEtat un président
pro-occidental, si la majorité gouvernementale reste au pouvoir, ce
dernier étant élu par le parlement. Si la situation ne bascule pas
dici quelques semaines, lopposition libanaise pourrait se retrouver
dans une situation disolement international et institutionnel
favorable aux positions militaires
et politiques israéliennes.
Le poids du confessionnalisme politique
La
structure constitutionnelle et sociale du Liban est marquée par le
confessionnalisme politique: le gouvernement ne manque pas de jouer sur
les oppositions entre chiites et sunnites, ou sur les divisions
affectant la communauté chrétienne. Cest ainsi quun conflit de type
politique opposant les forces qui résistent au plan américain de Grand
Moyen- Orient à un gouvernement tourné vers lOccident, est toujours à
deux doigts de basculer vers la guerre civile. Doù la position
cohérente du Parti communiste libanais vis-à-vis du Hezbollah: si
lopposition se contente dun changement de
gouvernement sans abolir
le système confessionnel, alors la possibilité dun conflit guerrier
entre confessions aux intérêts opposés reste possible. Le Parti
communiste soutient donc lopposition,
mais de manière très
critique, lencourageant fermement à adopter un programme social non
confessionnel afin de renforcer le camp de la résistance. Le conflit
politique actuel reste en effet, en
dépit des efforts de
lopposition et du Hezbollah pour fédérer lensemble des confessions
contre le gouvernement, un conflit entre un bloc chiite allié à une
forte majorité de chrétiens et à une minorité
sunnite, et un autre
bloc gouvernemental ralliant la quasi-totalité des Druzes, la majorité
des sunnites et une partie des chrétiens. Force est de constater que
ces logiques confessionnelles sont aujourdhui alimentées par la
situation régionale et par les événements en cours en Irak. Lhorreur y
atteint des sommets inégalés: une véritable guerre civile se développe
sous nos yeux entre sunnites et chiites, encouragée, alimentée et
amplifiée par la politique américaine dans la région. Diviser pour
régner,
tel semble désormais le maître mot dIsraël et des
Etats-Unis. Ces derniers ont favorisé lopposition entre sunnites et
chiites en Irak en théorisant une partition en trois zones, chiite,
sunnite et kurde. En
Palestine, il ne sagit pas dune guerre
confessionnelle, mais dune situation latente de guerre civile entre le
Fatah et le Hamas, le Fatah étant largement encouragé et armé par les
Etats-Unis et les puissances arabes saoudienne, égyptienne ou
jordanienne. Trois espaces moyenorientaux subissent aujourdhui une
occupation directe, partielle ou totale, et des interventions
militaires américaines et israéliennes: le Liban, la Palestine, lIrak.
Cest là où se déploient les logiques de partition et de guerre civile,
et ce nest pas un hasard. Les puissances coloniales ont toujours joué
sur les réalités sociales et historiques des sociétés occupées,
découpant et remodelant les frontières, opposant les confessions: ce
qui aurait pu être une pluralité constituante riche et féconde
lexistence de cultures arabes multiconfessionnelles et diversifiées
sest ainsi transformé en un abîme de divisions et déclatements
sectaires. Avec lesmenaces actuelles des Etats-Unis sur lIran, il y a
désormais la promesse et la certitude dune nouvelle guerre: celle du
Liban, en juillet et août 2006, na été que le prologue dune nouvelle
phase offensive qui se jouera dans les prochains mois, et sur plusieurs
fronts: au Liban, en Iran, en Irak, en Palestine, et dans la Péninsule
arabique. Car il faut comprendre ces guerres locales comme des pièces
conjoncturelles dun moment plus vaste, celui dune grande guerre
régionale, avec à la clé les dessins impériaux états-uniens. Le Liban
sest retrouvé aux avant-postes
de ce conflit. Il lest encore
symboliquement et à double titre, car cest là que se déploient le
mieux les stratégies de résistance: la guerre des trente-trois jours en
a été la preuve. Cest là aussi que la possibilité reste ouverte de
voir se rouvrir et samplifier les spectres de la guerre civile et
confessionnelle.