Pourquoi la gauche antilibérale est-elle divisée en France?

Pourquoi la gauche antilibérale est-elle divisée en France?

Après le point de vue sur les
enjeux de l’élection présidentielle
française de la majorité de la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR), défendu par François Sabado
et publié dans le no 101, nous nous sommes entretenu avec un
représentant d’une des positionsminoritaires de cette
organisation, Léonce Aguirre.

La victoire du NON à la Constitution européenne
(TCE), la crise des banlieues et le succès de la mobilisation
contre le contrat première embauche (CPE) indiquent un large
rejet des politiques néolibérales. En même temps,
le PS a largement réussi à colmater ses divergences sur
la Constitution européenne autour de la candidature de
Ségolène Royal et la gauche antilibérale
n’est pas parvenue à présenter une candidature
unitaire. Comment expliquer ces contradictions?

Deux raisons majeures expliquent le décalage entre
l’ampleur des mobilisations sociales contre les politiques
libérales et leur traduction sur le plan politique. D’une
part, une chose est de refuser le TCE, autre chose est de se
reconnaître dans une alternative antilibérale,
anticapitaliste d’ensemble au libéralisme et au
social-libéralisme. Il en est de même en ce qui concerne
la légitime révolte des quartiers populaires et des
banlieues ou la mobilisation contre le CPE. D’autre part, il y a
une incapacité de la gauche antilibérale d’offrir
une réelle perspective d’ensemble et de dépasser
ses divisions. Pour le PCF, la raison principale tient au fait
qu’il voudrait unifier la gauche antilibérale autour de
lui et laisser ouverte des possibilités d’alliance avec le
Parti socialiste. D’où l’impossibilité pour
lui d’accepter une candidature autre que celle de Marie-George
Buffet. Quant à la LCR, elle a sous-estimé
l’ampleur dumouvement de fond qui s’est exprimé dans
la campagne du «non» de gauche au travers de la
création de centaines de collectifs, elle a refusé
après le 29 mai toute intervention de ces collectifs sur le
champ politique en la limitant auxmobilisations sociales. Et aumoment
du lancement des collectifs pour des candidatures unitaires, elle a
adopté une posture extérieure qui ne lui a permis de
peser sur les processus en cours et surtout qui l’a coupée
des dizaines
de milliers de militantes et de militants qui se reconnaissent dans les
collectifs et qui aspirent à la création d’une
nouvelle force antilibérale et anticapitaliste.

Comment éviter que la gauche antilibérale ne soit
happée par des logiques strictement électorales, quiprivilégient
la forme sur le contenu? En effet, vues de Suisse, les discussions des
collectifs ont été dominées par le choix
d’un ou d’une candidate, au détriment des
débats de fond?

Il s’agit pour partie d’une illusion d’optique.
Évidemment, dans une élection présidentielle, le
choix du candidat a une certaine importance et a polarisé nombre
de débats et c’est surtout cela qui intéresse la
presse. Mais les débats ont porté aussi, et même
surtout, sur le profil et le contenu de la campagne. Les collectifs ont
adopté un document qui trace les contours d’une
alternative au social-libéralisme, qui défend 125
propositions qui pour être mises en œuvre
nécessitent une rupture avec les institutions de la Ve
République et avec les politiques libéralesmenées
depuis 25 ans par les divers gouvernements qu’ils soient de
droite ou de gauche.

Comment réponds-tu à l’objection de
lamajorité de la LCR, qui refuse de renoncer à la
candidature Besancenot, tant qu’une liste unitaire
antilibérale ne prend pas clairement l’engagement de ne
pas participer à un gouvernement ou à une majorité
parlementaire avec un PS rallié au social-libéralisme?

Pour être brutal, la majorité de la LCR a saisi cette
question comme un prétexte. La meilleure preuve en est la
réponse que la LCR a apportée à la réunion
des collectifs des 20 et 21 janvier où dans la
déclaration finale adoptée il est écrit: «Son
orientation (celle de Segolène Royal) sociale-libérale
démontre l’impossibilité d’envisager un
accord gouvernemental ou parlementaire avec le PS
» et dans
laquelle les collectifs s’adressent à la LCR et au PCF
pour qu’ils rejoignent le processus unitaire. Et plutôt que
de répondre positivement à cette offre, la
majorité de la LCR a opposé une fin de nonrecevoir en
écrivant «La réunion de Montreuil nous aurait répondu sur la question des rapports au PS. Nous ne sommes pas naïfs au point
de ne pas voir qu’il s’agit là d’une inflexion
d’opportunité, destinée à nous placer dans
la difficulté
». Cette attitude sectaire a
été par ailleurs fortement critiquée par nombre
demilitantes etmilitants de la majorité.

Le retrait de la candidature de Marie-Georges Buffet semble
aujourd’hui impossible, si bien que la déclaration de
candidature de Bové s’adresse au mieux aux membres des
collectifs opposés à la candidature Buffet, ainsi
qu’à la LCR. S’agit-il toujours d’une
candidature unitaire? Et si la LCR maintient Besancenot, quel sens aura
une quatrième candidature de la gauche antilibérale?

En ce quime concerne, j’ai toujours été sceptique
sur le fait que le PCF aille jusqu’au bout et accepte une
candidature qui ne soit pas issue de ses rangs. Mais une unité
partielle était possible avec l’essentiel des forces
parties prenantes du processus, sans le PCF certes, mais avec de
très nombreux oppositionnels du PCF, dont d’ailleurs
certains sont très investis derrière la candidature de
José Bové. Et si cette unité avait
été réalisée, et politiquement les
conditions étaient réunies pour le faire, cela aurait
constitué un événement politiquemajeur. Ensuite,
le maintien de la candidature de José Bové a-t-elle un
sens? Il faut commencer par dire que c’est un peu fort de
café que le PCF et la LCR accusent Bové de diviser ou
d’émietter la gauche antilibérale alors que ces
deux organisations portent, pour des raisons différentes, une
responsabilité écrasante dans cet éclatement de la
gauche antilibérale. La décision du maintien ou non de la
candidature de José Bové dépendra de plusieurs
paramètres: du fait d’avoir les 500 signatures, de la
réalité et développement des collectifs, de la
dynamique politique de la campagne (affluence aux meetings,
élargissement des forces engagées), de son utilité
pour poursuivre, après la présidentielle, une
démarche de regroupement des forces antilibérales lors
des prochaines échéances politiques et desmobilisations
sociales. La décision sera prise les 10 et 11mars lors
d’une réunion nationale des collectifs qui soutiennent la
candidature de José Bové.

Entretien réalisé par Jean Batou