Quel autre choix politique sur les flux migratoires que des MURS?

Quel autre choix politique sur les flux migratoires que des MURS?

Le 24 février dernier a eu lieu sous l’égide de
solidaritéS Genève une journée de débats
sur le thème «Quel autre choix politique sur les flux
migratoires que des murs?» Nous résumons ici les cinq
interventions de cette journée. On trouvera sur le site www.solidarites.ch le contenu intégral des exposés ainsi qu’une relation détaillée de chaque débat.

Pourquoi ce thème, pourquoi cette priorité?

Depuis des années, on constate dans ce pays, comme en
général dans le monde, une régression continue des
droits des migrant-e-s. Seule avancée dans ce domaine, la libre
circulation des personnes entre la Suisse et l’Europe des 25,
l’a été dans le cadre particulier d’un accord
global auquel une partie des milieux dominants de ce pays avaient aussi
intérêt.

La défaite que nous avons subie le 24 septembre 2006 concernant
les nouvelles lois sur l’asile et les étrangers, deux lois
qui portent gravement atteinte aux droits humains, nous oblige à
ouvrir sans retard le débat sur nos perspectives et moyens de
combattre les politiques des autorités dans ce domaine. Depuis
des années, le Conseil Fédéral adopte des
dispositions très restrictives en matière de droit des
étrangers.

L’UDC profite de ce climat de repli et ne cesse de
renchérir sur ces mesures à partir de ses positions
racistes et xénophobes au nom de l’«identité
nationale». Elle lance sans trêve initiatives ou
referendums sur ce thème, martèle lors de chaque
campagne: «criminalité, délinquance, violence,
drogue, prostitution = étrangers/ères» et exploite
sans vergogne le moindre fait divers dans ce sens.
L’entrée de Christoph Blocher au Conseil
fédéral a pratiquement donné une caution
officielle à la politique que préconise son parti. Les
autres partis bourgeois ont ainsi soutenu des lois qui durcissent les
conditions de vie et de travail des migrant-e-s et accentuent leur
précarité. Une partie de la gauche, inquiète de
l’emprise de cette propagande sur son électorat
traditionnel, n’a que mollement combattu les deux lois en
question.

Au-delà du cas suisse, ces politiques restrictives et
répressives envers les migrant-e-s concernent l’ensemble
des pays du Nord: USA et UE érigent tous deux murs et camps de
détention à leurs confins méridionaux. La
tentative d’unifier les politiques migratoires dans un sens
restrictif menacerait d’exclure à l’avenir toute
mesure unilatérale de régularisation collective de
«sans-papiers» par un pays particulier de l’UE. En
France, suite à la victoire de Sarkozy, on assiste à
l’installation d’un ministère «de
l’immigration et de l’identité nationale»,
récemment rebaptisé en y accolant «de
l’intégration et du codéveloppement» pour ne
pas ruiner les prétentions à l’ouverture du nouveau
président.

Quelles perspectives pour lutter contre la xénophobie et les
politiques restrictives à l’encontre des migrant-e-s?

Le groupe de travail qui a organisé cette journée a, en
préparant le présent cahier, pris conscience de
l’existence de deux approches, deux orientations en la
matière, lesquelles font évidemment débat. Nous
avons donc décidé de publier deux contributions sur ce
thème dans le prochain numéro du journal de
solidaritéS afin de susciter une discussion plus large.

Au nom du groupe de travail
«Journée de débats»; Maryelle Budry, Laetitia
Carreras, Dario Ciprut, Eric Decarro, Ynés Gerardo, Silvia
Marino et Christian Tirefort



Racismes et discriminations dans le contexte migratoire

L’obstacle essentiel au plein exercice de l’égale
dignité des humains tient dans l’opposition de la
diversité de l’espèce à son unité.

Humanité

Les préjugés racistes sont la cicatrice mentale de
cinquante mille ans d’étrangeté à
nous-mêmes, de confusion entre unité et uniformité.

Chaque adulte peut engendrer plus d’êtres différents
que l’univers ne compte d’atomes. C’est
l’individualité de l’être humain qui signe ici
l’unité de son genre.

Entre générations successives, confondre lignage et
apprentissage comme l’illustre l’adage «tel
père, tel fils» évacue la différence
biologique sous une similitude d’essence culturelle.
L’obsession aristocratique des généalogies
défie la paléo-anthropologie, qui atteste que la
parenté des sapiens avec les grands singes les a tous rendus,
révolution démographique aidant, peu ou prou cousins.

Entre voisins, opposer résidents et migrants fige des
différences culturelles modelées par l’histoire.
C’est au brassage répété de populations que
l’espèce doit en fait le maintien de son unicité
malgré cette diversification adaptative.

Racismes

Le racisme, justification de pratiques discriminatoires par des
différences prétendument infranchissables, est moins
discrédité qu’on ne croit en s’attardant aux
aberrations du XIXe sur la pureté raciale, reprises par
l’hitlérisme.

Conférence négationniste iranienne, tentative de
réhabilitation parlementaire du colonialisme, ethnicisation
d’émeutes et manifestations sportives, sexisme ambiant
témoignent d’une permanence du schéma de la
disparité biologique. Les phobies du métissage avec des
minorités «visibles» alimentent des archaïsmes
identitaires au lieu d’enrichir par
«créolisation»1 les protagonistes de leurs différences.

Par contraste, l’antisémitisme singularise des populations
que rien d’apparent ne distingue du commun et se repaît,
effet Shoah estompé, d’antisionisme,
d’anticapitalisme ou de concurrence victimaire.

La planète regorge de victimes de génocides,
épurations ethniques et conflits postcoloniaux. Le «choc
des civilisations», hochet néoconservateur, couvre
atteintes à l’Etat de droit et guerres impériales
au nom de la lutte antiterroriste.

Une islamophobie à relents de croisade y rejoint les racismes
contemporains et menace le vivre ensemble de communautés
pourtant avides de modernité.

Le néoracisme des Murray, Rushton et autres Harpending
revitalise le darwinisme social, fondement du créationnisme et
de l’eugénisme. Afro-centrisme et commu nautarisme ne font
que renforcer ces doctrines irrationnelles en inversant leurs termes.
Le droit du sang en matière de nationalité et les
diverses brimades de nouveaux hiérarques envers les descendants
d’anciens relèvent d’une même critique.

Migration

La distinction entre migrants, étrangers et autochtones est grosse de dérapages racistes2.
Une vigilance citoyenne est requise pour desserrer l’étau
de statuts et règlements handicapant leur résistance aux
discriminations.

La priorité est de dessiller le regard du public quant à
la prétendue maîtrise des flux migratoires.
L’immigration dite «choisie» de M. Sarkozy ne vaut
guère mieux que son modèle helvétique3. Certaines fractions de l’extrême gauche4 inhibent, hélas, l’unité d’action en ce domaine.

Indispensable aussi, sinon aisé, de réfuter les
accusations de laxisme, opposées à qui refuse justement
de criminaliser migrants ou chômeurs, mais doit entendre
l’exaspération d’autres catégories populaires.

Notre propre mouvance doit prendre garde à
l’unidimensionnalité économiste. Un marxisme
rabattant tout conflit sur l’axe capital-travail esquive
l’analyse de la complexité sociale, politique et
culturelle de la migration et ne prépare pas à un combat
efficace de la discrimination raciale.

Conclusion

La pédagogie du doute, chère à Albert Jacquard et
que ne reniait pas Marx trahi par ses épigones, devrait inspirer
nos futurs débats.

Dario Ciprut, informaticien et militant antiraciste

1 Edouard Glissant, penseur majeur, à propos du creuset antillais ayant produit langues et cultures créoles.
2 M. Blocher s’en prenant, à peine engrangée la
victoire de son parti, à l’article 261 bis du code
pénal suisse réprimant entre autres le
négationnisme, démontre d’ailleurs
éloquemment le lien entre immigration et racisme.
3 François Héran, directeur de l’INED, Paris, dans
son livre Le temps des Immigrés, Seuil, janvier 2007, constate
que la Suisse a échoué à proportionner aux besoins
économiques une immigration vouée à être la
seule contribution nette à notre démographie.
4 Celles qui ont soutenu des contingentements au titre de la protection
de la main d’œuvre résidente contre les coups de
boutoir de la mondialisation. 


Vécu migratoire en l’absence de libre circulation

Migration rêvée

Il y a plusieurs raisons qui nous poussent à entreprendre ce
voyage incertain. Partir n’est pas une décision facile
à prendre. On laisse tout notre quotidien, nos ami-e-s, notre
famille, parfois même nos enfants, pour recommencer ailleurs,
espérant donner une vie meilleure à celles et ceux qui
restent. Dans nos «pays en voie de développement»,
la pauvreté se voit partout, la criminalité est monnaie
courante. Pourtant, tout n’est pas négatif: les gens se
connaissent et se reconnaissent, s’entraident. Mais la population
rêve de posséder les choses qui envahissent notre vie
simple.

Ces choses s’infiltrent insidieusement à travers la
publicité, les cartes postales, le petit écran et le
tourisme. Nous sommes irrésistiblement attirés.
L’Occident est pour nous l’Eldorado. On rêve de
trouver «là-bas» la sécurité, plus de
liberté, un travail bien rémunéré qui
permettra d’aider financièrement nos familles, bref, des
conditions de vie meilleures, à l’image du modèle
occidental.

Les catastrophes naturelles occasionnées par le
réchauffement planétaire (dont nous, les gens des pays
sous-développés, ne nous sentons pas responsables)
constituent d’autres raisons de fuir nos pays. Les inondations
catastrophiques dans mon pays, la Bolivie, donnent un exemple actuel de
la dette morale, sinon financière, des pays occidentaux envers
les pays du tiers monde.

Migration vécue

La migration, par le revenu régulier qu’elle assure
auxpersonnes restées au pays, a fait de nos parents des
assistés. En leur donnant tous les jours un poisson, nous leur
avons désappris à pêcher. Nous leur assurons un
revenu au détriment de leur sens de l’initiative, et des
responsabilités des autorités locales… La migration,
toujours à travers le flux financier que représente
l’envoi régulier d’argent, a aussi provoqué
le développement d’une économie artisanale de
petites manufactures familiales issues des microcrédits. Combien
de temps cette économie résistera-t-elle face aux
gigantesques moyens de l’économie occidentale?

Dans les pays d’accueil, rien ne favorise
l’intégration. Il nous faut vivre dans un climat de
méfiance: peur de la police, peur d’être
dénoncée, malaise du statut de clandestine. Les parents
qui sont arrivés avec leurs enfants culpabilisent
énormément de ne pas pouvoir leur donner ce qu’ils
espéraient leur offrir. Ils peuvent se retrouver à
plusieurs familles dans un studio. Pour les enfants, la peur de parler
interdit toute relation «normale» avec les copains
d’école.

S’ajoute à cela, face à l’Europe qui se
construit, le sentiment d’être l’envahisseur! Le
discours ambiant tend à faire du migrant un criminel, alors que
ce dernier peut légitimement se demander: qui a envahi qui? Ce
sentiment se trouve encore renforcé par l’impasse de
l’histoire sur cette question.

Bilan

Le migrant, qui espérait plus de liberté, plus de
sécurité, une scolarité de qualité, des
conditions de vie meilleures, se retrouve au final bien plus affaibli
qu’il ne l’était dans son pays d’origine:
perte d’identité, perte de repères, perte des
moyens de défense…

Mais l’Occident a-t-il vraiment envie que cette migration, source
d’une main-d’œuvre bon marché,
désorganisée, non protégée et
déracinée, disparaisse?

Les murs sont-ils une solution? Pour le migrant, certes pas…
mais pour l’Occident? Plus les murs seront solides, plus
l’Occident en tirera bénéfice.

Silvia Marino, Collectif des travailleurs et travailleuses sans Statut légal (CTSSL)

Travail, migration et mondialisation

Une des raisons des flux migratoires est la recherche de travail mieux
payé et de meilleures conditions de vie. Pour comprendre la
problématique, il faut avoir une interprétation commune
des mots travail et immigration.

Le travail est une faculté que chacun porte en soi. Grâce
à sa productivité qui sans cesse s’améliore,
il devrait être un passeport vers une vie meilleure. Pourquoi
n’est-ce pas le cas pour tout le monde? Pourquoi la
productivité élimine-t-elle de plus en plus de personnes
de l’emploi salarié? Le fait que la gauche ne
s’attelle pas à ces questions livre l’ensemble de la
problématique de l’immigration à la droite, son
extrême en particulier.

L’immigration n’est pas au premier chef un problème
transfrontière, mais une question de liberté
élémentaire de circulation. Le phénomène
couvre tant l’exode des paysans vers les villes ou les
bidonvilles que la fuite devant des guerres ou des répressions
politiques. Les travailleurs cherchant des emplois sont les victimes
des inégalités de développement entre les
régions, au sein des régions et entre les pays.
L’immigration liée à la recherche d’emplois
est devenue massive depuis l’avènement du capitalisme.

Les inégalités de développement déterminent
les flux migratoires. En Chine, le gouvernement prend des mesures pour
éviter des migrations trop massives des régions centrales
sous-développées vers la côte Est en
développement. Que les migrations soient trans – ou intra
–frontières, les problèmes
d’intégration des migrants sont cependant souvent
similaires.

Aujourd’hui, l’immigration est un phénomène
mondial subissant les effets pervers de ce type de mondialisation.
Celle-ci est souvent le bouc émissaire d’un autre
phénomène qu’on refuse souvent d’identifier:
la concentration sans limites du capital.

Les années de l’après-guerre ont donné les
conditions de la mondialisation. Les masses de plus en plus importantes
de capital accumulées dans cette période envahirent le
monde entier à la recherche de points de chute rentables. Ce
capital n’envahit cependant pas le monde pour créer des
activités, mais pour les parasiter.

Il se fixe aujourd’hui là où le travail est le
moins cher, ce qui accentue les contradictions: le travail se
délocalise dans les zones à bas salaires tandis que les
travailleurs émigrent dans les zones à salaires plus
élevés.

Il est impossible de comprendre les comportements racistes ou
xénophobes, ou encore protectionnistes lorsqu’il
s’agit des emplois, face aux flux migratoires sans comprendre les
origines des inégalités de développement, donc
sans partir de la colonisation, puis des conditions de la
décolonisation, le passage du colonialisme au
néocolonialisme; sans parler des conditions au sein des bassins
de l’émigration; enfin sans comprendre le passage de la
société industrielle à la société
financière et le processus de la mondialisation. Ces
évolutions marquent les modifications des genres
d’immigration: autrefois principalement intra européenne,
donc mono-ethnique, aujourd’hui mondialisée, donc multi
ethnique, ce qui renforce l’aspect raciste dans la
xénophobie.

Le document qui a servi de base à ma contribution est accessible sous ce même titre sur le site www.solidarites.ch.
Les personnes qui n’auraient pas d’accès à
Internet peuvent me contacter à l’adresse suivante:
Christian Tirefort, avenue du Lignon 42, 1219 Genève. Je leur
enverrai le document par retour de courrier postal.

Christian Tirefort, syndicaliste


Enjeux politiques et juridiques des flux migratoires du siècle. Refoulement, barrage, tri ou accueil?

Des idées fausses

Les classes dirigeantes européennes, de tous bords,
mènent avec une remarquable continuité la même
politique d’immigration, résumée en trois points:

  • les pays riches seraient menacés d’invasion,
    menaçant leurs équilibres économiques, la paix
    sociale et leur identité nationale;
  • des mesures administratives et policières permettraient de
    proportionner l’immigration légale aux besoins
    économiques et de refouler les migrant-e-s
    «sans-papiers»;
  • la solution des problèmes se trouverait dans le
    développement des pays d’origine, qui régulerait
    les flux migratoires.

Ces trois idées sont fausses. La migration est un fait
incontournable et un droit imprescriptible; réalisée dans
des conditions satisfaisantes, elle est un bienfait pour les migrants
et pour les pays d’accueil.

Sur les quelque 200 millions de migrants dans le monde, la
majorité d’entre eux sont en fait partis de pays pauvres
pour aller dans un pays un peu moins pauvre. Seule une minorité
atterrit dans les pays développés.

Notre gouvernement est entré en transe quand 1500 Afghans et
Irakiens erraient dans les rues de Calais autour de Sangatte, mais il
faut rappeler qu’il y a 3 millions de réfugiés en
Iran, 3 millions de réfugiés au Pakistan, ou que la
Côte d’Ivoire compte 30% d’étrangers. Entre
1960 et 2000, on est passé de 150 millions de migrants à
200 millions, c’est une croissance proportionnelle au rythme de
la mondialisation.

Pourquoi les gens partent-ils? Les experts anglo-saxons parlent des
facteurs «push», qui poussent les migrants à partir,
et des facteurs «pull», qui les attirent. Même si
cela a l’air paradoxal, ce n’est pas principalement la
misère, au sens économique du terme, qui est le facteur
décisif de l’émigration. Sinon, nous devrions
observer une migration uniforme à partir de tous les pays
pauvres. Or ce n’est pas du tout ce que l’on observe, et en
France l’immigration émane de régions bien
déterminées, alimentée souvent par des blocages
sociopolitiques ou des traditions culturelles plus que par le simple
écart de niveaux de vie.

En ce qui concerne les facteurs «pull»,j’estime que
les gens n’ignorent plus les difficultés qui les
attendent, mais qu’ils pensent pouvoir réussir, au prix
éventuel de quelques années de galère. Je connais
personnellement beaucoup d’immigrés qui ont réussi
et constate que ces réussites ont un effet d’aimantation.

De plus, le recours au travail illégal reçoit le plus
souvent l’aval tacite des autorités des pays
d’accueil, ce au vu et au su de tout le monde (rien ne
m’énerve plus que le terme de «clandestin»).
D’ailleurs, le migrant arrivant en France trouve du travail dans
les trois semaines, mais à des conditions
«dégueulasses1», n’ayant accès à aucune protection sociale.

Les murs érigés, incomparablement plus meurtriers que
celui de Berlin, n’enrayent aucunement l’immigration; les
immigrés passent ou reviennent inlassablement s’ils sont
refoulés. Le raz de marée inéluctable faute de
contraintes draconiennes relève pourtant si bien du fantasme
que, dans les années 50-60, l’industrie automobile devait
même recruter sa main-d’œuvre sur place en Afrique du
Nord. Dans les années 70-71, une grande sécheresse,
suivie d’une famine dans les pays du Sahel, n’avait produit
aucun déferlement, quand bien même les frontières
de la France étaient alors ouvertes.

Un droit fondamental

Enfin, si la migration est un fait incontournable, c’est aussi,
ce n’est pas assez souligné, parce qu’elle est un
droit. La liberté fondamentale d’aller et venir est la
définition même de la liberté depuis l’aurore
de l’histoire humaine. Les humains ne renonceront jamais à
cette liberté individuelle, partiellement ancrée dans la
«Déclaration universelle des droits de
l’homme», art. 13.

Deux remarques encore:

  • la migration est probablement la plus efficace des aides au
    développement, surtout parce que les fonds envoyés par
    les migrants dans leurs pays d’origine sont à
    l’heure actuelle très supérieurs à
    l’aide publique envoyée par les pays occidentaux. Selon
    l’évaluation de l’ONU, 150 milliards de dollars
    viennent des migrantset 100 milliards de l’aide publique
  • toutes les expériences faites dans le monde, en
    particulier en Asie, montrent qu’il se produit un accroissement
    de la migration pendant une première période de
    développement.

Pour conclure, l’angélisme est bien du côté
des gouvernants, qui prétendent endiguer la migration comme le
roi de Perse Xerxès essayait d’endiguer la mer. Le
réalisme consiste à progressivement organiser et
aménager, comme toute liberté, la liberté de
circulation et d’établissement.

Emmanuel Terray*, anthropologue, Cercle Migrations et Libertés (CMIL), Paris

* Anthropologue de métier, après avoir
travaillé dans plusieurs pays d’Afrique et en Allemagne,
Emmanuel Terray milite depuis 1996 dans le troisième collectif
des sans-papiers de Paris. Ce résumé est basé sur
l’enregistrement de son exposé oral. Qu’il soit
remercié de l’entière liberté
octroyée pour sa transcription.

1 Les 3D: difficile, dangereux, dégueulasse.


Femmes migrantes et externalisation du travail domestique

Plusieurs invisibilités frappent les femmes migrantes sans
statut légal: elles effectuent un travail «invisible
» et qui n’est pas reconnu, le travail domestique, elles
sont migrantes et, de surcroît, elles ne possèdent pas
d’autorisation de séjour. L’invisibilisation des
femmes dans les processus migratoires est un phénomène
ancien et parler de «féminisation récente de la
migration» contribue à perpétuer une vision fausse
de l’immigration.

A Genève, la majorité des travailleuses et des
travailleurs sans statut légal sont des femmes. Une grande
partie d’entre elles travaillent dans le secteur de
l’économie domestique. Cette conjoncture est notamment
provoquée par une pénurie d’infrastructures dans le
secteur de la petite enfance, des personnes âgées et/ou
dépendantes et une «inégale»
répartition (Delphy, 2004)1 du travail domestique
entre femmes et hommes. Ces deux facteurs obligent de nombreuses femmes
à en déléguer une partie2. La migration
féminine permet aux hommes et à l’Etat, dans les
pays de réception, de ne pas avoir à assumer les travaux
de reproduction, elle perpétue ainsi la division sexuelle et
sexuée du travail (Oso Casas, 2005)3.

Le travail effectué par les travailleuses domestiques demeure,
malgré quelques velléités de définition,
peu délimité. Les récentes tentatives de
clarification, notamment du côté du Bureau International
du Travail (BIT), ne rendent compte qu’approximativement des
différentes activités qui le composent. Ce flou
perpétue l’invisibilité de ce travail et a des
conséquences sur sa reconnaissance comme sur sa
rémunération.

A cela s’ajoute que le travail des femmes migrantes est
généralement perçu comme un cadeau favorable
à leur émancipation et, de ce fait, les bas salaires qui
leur sont dévolus paraissent normaux.

Le dénominateur commun entre les différentes situations
que vivent les travailleuses domestiques dans le secteur de
l’économie domestique est l’absence de collectif de
travail, dans le sens où elles sont confrontées de
manière directe aux personnes qui les emploient. Dans ce
contexte, les processus de négociation, tels que les
revendications salariales, deviennent plus difficiles à conduire.

Actuellement, notre législation contraint ces femmes à
rester dans ce secteur. En effet, elle verrouille de manière
définitive la possibilité d’obtenir un permis pour
les personnes dites non qualifiées – bien que leur niveau
de formation soit dans les faits souvent élevé – et
extra-européennes.

Comment continuer à construire un rapport de force suite
à la «suspension» de la régularisation des
travailleuses et des travailleurs sans statut légal?
Réfléchir à une défense contre la
détérioration des conditions de travail et à la
création de solidarités entre travailleuses et
travailleurs du «Sud» et du «Nord» est un
premier pas pour tisser des liens entre les multiples fractures, non
seulement «Nord-Sud», mais également «Sud-
Sud» et «Nord-Nord», auxquelles nous devons faire
face.

Laetitia Carreras, ethnologue, Centre de Contact Suisse-Immigrés

1 DELPHY Christine (2003), «Par où attaquer le
“partage inégal” du “travail
ménager”», in Nouvelles Questions Féministes,
Antipodes, Volume 22, no 3, pp. 47-71.

2 Voir le texte du Collectif du 14 juin (2004), Appel pour le partage
du travail domestique entre hommes et femmes, Pour la
régularisation collective des personnes sans statut
légal, Genève.

3 OSO CASAS Laura (2005), «Femmes, actrices des mouvements
migratoires», in Ch. VERSCHUUR et F. REYSOO (dir.), Genre,
nouvelle division du travail et migrations, Cahiers genre et
développement, no 5, Genève, l’Harmattan,
iuéd-efi, pp. 35-54.


Une revue féministe

L’excellente revue «Nouvelles Questions
féministes» relaie la recherche féministe
internationale sur les thèmes du sexisme et du racisme dans un
monde en changement. Le 1er numéro de 2007 consacré au
thème «Migrations: genre et frontières –
frontières de genre» présente des recherches
menées en Suisse. Par exemple, Magalie Gafner et Irène
Schmidlin, juristes et militantes du droit d’asile, examinent les
discriminations indirectes à l’égard des femmes
résultant de l’adoption des deux sinistres lois Lasi et
Letr. Des historiennes et des géographes ont suivi les
trajectoires de migrantes et réfugiées en Suisse.

Dans deux numéros précédents (Nos 1 et 3, 2006),
les chercheuses partageaient les âpres débats qui ont
divisé les Françaises autour de la «question du
voile» et du «postcolonialisme» inconscient. Aux voix
défendant le principe de laïcité, Christine Delphy
oppose la solidarité entre femmes qui doit toujours dominer les
débats. Pour commander les anciens Nos de NQF: inedite@inedite.com.

Une vidéo sur la migration

Une vidéo de Charles Heller: Crossroads at the Edge of Worlds
Reportage au cœur de la migration africaine, au Maroc où
les migrants transitent et sont condamnés à rester entre
désert et mer… dans ce contexte, ils organisent de
nouvelles façons de vivre, de s’entraider, de
dépasser l’enfermement, et nous proposent de nouvelles
valeurs et de nouveaux espoirs pour l’humanité. A
commander au réalisateur chazheller@yahoo.com.

Maryelle Budry

Retrouvez tous les anciens cahiers émancipationS sur: www.solidarites.ch/emancipations