L’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis

L’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis

Cet article vise à mieux faire
comprendre les tenants et aboutissants de la crise immobilière
actuelle aux Etats-Unis. Il revient sur ses causes, ses
mécanismes et ses effets. Il permet de mieux saisir le
fonctionnement réel déséquilibré du
capitalisme mondialisé, sous hégémonie
financière. Nous y avons ajouté un bref extrait
d’un récent livre du géographe et économiste
marxiste britannique David Harvey, sur les conséquences de plus
en plus graves de l’éclatement des bulles
immobilières pour le système dans son ensemble (cf.
dernier encadré).

Une bulle spéculative peut porter sur des actifs réels
(logements, terrains, etc.) ou financiers (actions, etc.); elle se
manifeste par une montée des prix de ces actifs de plus en plus
rapide. Ceux-ci finissent par atteindre des niveaux tels qu’ils
paraissent excessifs, même si on fait une évaluation
optimiste des profits futurs qu’on peut en attendre.
L’éclatement de la bulle se manifeste, en sens inverse,
par une chute continue, souvent brutale, de ces prix. Dans le cas de la
bulle immobilière, elle s’accompagne d’une chute
logique de la construction de logements. Tel est le cas aux Etats-Unis
depuis le premier trimestre 2006. Le point à souligner est que
l’éclatement d’une bulle immobilière peut
avoir des effets bien plus graves que l’éclatement
d’une bulle boursière. Mais, avant d’entrer dans le
détail, il faut préciser que ces effets ne
représentent qu’autant de risques: ils est impossible de
dire s’ils se manifesteront, et s’ils se manifestent, avec
quelle ampleur. On peut cependant relever trois effets:

1. Un effet «réel», sur l’activité économique.

La surproduction d’un bien quelconque entraîne une chute du
prix de ce bien. La surproduction se résorbe alors de deux
côtés à la fois: du côté de
l’offre, qui chute (puisque le prix baisse, c’est moins
rémunérateur d’offrir le produit) et du
côté de la demande, qui augmente (puisque le prix baisse,
il est plus intéressant d’acheter). Ces deux effets sont
très longs à se manifester dans le cas de
l’immobilier. En effet, il est impossible de réduire
l’offre tout de suite, tout chantier qui a été
entamé devra aller à son terme, si on ne veut pas perdre
toute la mise de fonds. Ce qui veut dire que pendant des mois, voire
des années, de nouveaux logements continueront à arriver
sur un marché encombré, faisant encore chuter les prix
(dans la crise américaine actuelle, ce sont des millions de
maisons, qui déjà, ne trouvent pas preneurs). Du
côté de la demande, elle ne va pas nécessairement
augmenter, car les acheteurs potentiels peuvent reporter leur
décision, attendant que les prix baissent encore plus. Ce report
est possible, car nous ne sommes pas en présence de biens
«quotidiens», dont la consommation s’impose jour
après jour, mais de biens dont l’usure peut
s’étaler sur une durée particulièrement
longue. Si on occupe un vieux logement, on pourra attendre encore un
peu avant d’en occuper un neuf. L’impact d’un bulle
immobilière est donc très long à se
résorber. Or, cet impact est important: on connaît la
formule: «quand le bâtiment va, tout va», elle donne
le ton et joue aussi en sens inverse.

Les crédits subprime

Le terme désigne des prêts immobiliers
dits «à risque», car consentis (souvent à taux variables) à des ménages
à la solvabilité fragile. Avec l’augmentation générale des taux
d’intérêt, les obligations de versements de l’emprunteur sont devenues
de plus en plus élevées, certains se retrouvant dans l’impossibilité
d’y faire face. Tant que les prix des logements montaient, il était
possible de repousser les échéances, en empruntant à nouveau avec comme
garantie un logement valant plus cher qu’avant. Avec l’éclatement de la
bulle et la chute du prix des logements, cela n’a plus été possible, il
n’y avait plus d’échappatoire.

2. Un effet financier.

En règle générale, il est presque impossible
d’acheter ou de faire bâtir un logement sans un emprunt:
les sommes en jeu sont trop importantes pour qu’un ménage
puisse en faire l’avance intégrale. S’il y a des
difficultés pour la construction résidentielle, elles ne
peuvent donc qu’avoir des effets sur le secteur financier. Des
organismes (spécialisés ou pas) accordent ces emprunts,
avec comme «garantie» le logement vendu
(hypothèque). Ces organismes peuvent à leur tour
emprunter auprès d’autres, qui les
«refinancent». Le premier danger financier est là,
c’est «l’effet domino»: si ces organismes,
alléchés par les taux d’intérêt
élevés, ont consenti ces prêts de façon
laxiste à des ménages peu solvables, à la moindre
difficulté, ces ménages font défaut sur leurs
obligations (voir l’encadré de la page
précédente sur les crédits subprime). S’ils
sont très nombreux dans ce cas, l’organisme prêteur
s’effondre et il peut à son tour entraîner dans sa
chute celui qui l’a refinancé.

C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis, où
84 sociétés de crédits hypothécaires ont
fait faillite ou cessé complètement ou partiellement leur
activité depuis le début de l’année,
jusqu’au 17 août, contre seulement 17 sur toute
l’année 2006. En Allemagne, la banque IKB et
l’Institut public SachsenLB n’ont été
sauvés que d’extrême justesse. Un peu partout sont
annoncées des pertes d’importance liées au
subprime. Dans la foulée, les procédures de saisie de
logements ont atteint 180000 en juillet aux Etats-Unis, soit deux fois
plus qu’en juillet 2006, et dépassent la barre du million
depuis le début de l’année, soit 60% de plus
qu’il y a un an. Il devrait y avoir au total 2 millions de
procédures de saisie en 2007.

L’effet domino pourrait se manifester même pour des banques
qui n’accordent pas de prêts hypothécaires, car les
banques se prêtent les unes aux autres: si une banque a de graves
difficultés dans l’immobilier, une autre banque qui
n’en a pas pourra être suspectée à son tour,
si elle a prêté beaucoup d’argent à la
première, qui ne pourra peut-être pas la rembourser.
Comment distinguer les banques dont il faut se méfier des
autres? C’est très difficile, non seulement parce que les
banques dissimulent leur exposition au risque, mais aussi parce
qu’il n’est pas si facile de dire à l’avance
quel débiteur fera défaut: où faire passer la
frontière entre débiteurs qui ne se distinguent les uns
des autres que par un degré plus ou moins grand
d’insolvabilité? Par ailleurs, si la situation
économique se dégrade, celui qui était
jusque-là un bon débiteur pourra entrer dans la
catégorie des prêts risqués. C’est
certainement là l’un des plus gros problèmes
créé par une bulle immobilière: il est très
difficile de délimiter, dans les actifs des banques, les
«mauvaises créances» des autres.

Après l’éclatement de sa propre bulle
immobilière, le Japon a tenté de le faire pendant des
années sans y parvenir. Cela explique la profonde
méfiance qui s’est installée entre banques, qui
empoisonne l’atmosphère, et contribue très
certainement à l’aggravation de la crise actuelle. Le
vendredi 10 août, en Europe et aux Etats-Unis, il s’est
produit cette chose inouïe: des banques sont devenues en 24 heures
suffisamment méfiantes les unes à l’égard
des autres pour se refuser tout prêt, quel qu’il soit,
contraignant les banques centrales à des interventions massives.
En quatre jours, jusqu’au 14 août 2007, la Banque Centrale
Européenne (BCE) a dû fournir au marché près
de 230 milliards d’euros de liquidités. Il faut cependant
souligner qu’il s’agit de création monétaire
et non de sommes prélevées dans la poche de tel ou tel
pour les transmettre aux banques en difficulté (voir
encadré
ci-dessous).

Injection de liquidités

Le système bancaire est organisé de façon
pyramidale: au sommet la banque centrale, en dessous les banques dites
de second rang (par exemple, Société Générale, BNP, etc.). Aux
Etats-Unis, la banque centrale est la Federal Reserve Bank (dite aussi
la Fed). En Europe, il y a un rang supplémentaire: BCE, Banques
centrales des divers pays, banques de second rang. Les dépôts sont pour
les banques de second rang des dettes «courtes»: les sommes qu’ils
contiennent peuvent être retirées par les déposants immédiatement ou
dans des délais brefs. Par contre, les crédits qu’elles accordent le
sont pour un temps «long» (plusieurs mois, peut-être plusieurs années).
Quant aux placements, ils ne sont pas faits pour être liquidés du jour
au lendemain. En somme, la banque transforme du «court» (à échéance
courte) en du «long» (à échéance longue). On voit tout de suite le
problème qu’il y a dans le décalage entre les deux: bien qu’ayant de
bons débiteurs et de bons placements, une banque peut se trouver à
court de liquidités (c’est-à-dire, pour aller vite, des euros émis par
la BCE ou des dollars émis par la Fed). Dans ce cas, elle peut
s’adresser aux autres banques (marché interbancaire), ou, de façon plus
générale, au marché monétaire (où interviennent aussi les entreprises)
ou enfin à la banque centrale. Celle-ci, si elle le décide, accorde des
crédits en sa monnaie aux banques de sa zone. Elle le fait à un certain
taux, fixé à l’avance. On dit de la banque centrale qu’elle est «le
prêteur en dernier ressort» et qu’elle «refinance» les banques de
second rang.

La BCE et la Fed ont été contraintes d’alimenter
ainsi en liquidités, et pour d’extraordinaires montants, les banques de
leurs zones, parce que le marché interbancaire a brusquement cessé de
fonctionner: la méfiance était telle que les banques refusaient
désormais de se prêter de l’argent les unes aux autres. Si la crise de
liquidité est écartée, cela ne veut pas dire que toute crise bancaire
le soit. Une contrainte de rentabilité particulièrement lourde pèse sur
les banques: les capitaux qui y sont investis doivent être rémunérés au
meilleur taux et tout crédit non remboursé ou tout mauvais placement
sont durement sanctionnés. Les pertes liées à la crise immobilière
viendront en déduction des profits, ou seront couvertes par de nouveaux
apports de capitaux (s’ils sont possibles) ou mèneront à la faillite.

Dans un tel contexte, c’est chacun pour soi: chaque banque, en
tentant de se sauver, peut contribuer à l’effondrement
général. Une banque a, d’une part, des
dépôts (elle doit cet argent aux déposants,
particuliers ou entreprises). D’autre part, elle a:

  1. les crédits de tous types qu’elle a accordés
    aux particuliers ou entreprises, crédits qui représentent
    pour elle autant de créances
  2. les placements qu’elle a réalisés, en actions
    ou obligations (l’action est un titre de propriété
    et donne lieu à la distribution de dividendes;
    l’obligataire, par contre, est un créancier, qui a
    prêté de l’argent et attend le versement
    d’intérêts).

En cas de difficultés, la banque sera tentée de quitter
ce terrain de financement de l’économie: d’une part,
la suspicion étant généralisée et la
prudence s’imposant, elle va restreindre la masse des
crédits accordés (c’est le credit crunch dans la
terminologie anglosaxonne); d’autre part, elle va
privilégier dans ses placements les obligations plutôt que
les actions (considérées comme plus risquées).
C’est là un double mouvement qui peut avoir de graves
conséquences, car délaisser les actions contribue au
krach boursier et la restriction des crédits peut
carrément paralyser l’économie et la
précipiter dans la récession. Dans la crise
américaine actuelle, on a déjà constaté le
glissement en faveur des obligations; parallèlement, des
organismes ayant subi des pertes sur l’immobilier chercheront
peut-être à combler les trous en vendant des titres en
leur possession, ce qui devrait accentuer la chute du cours de ces
titres. Quant à la restriction des crédits –
essentielle – elle devrait logiquement se manifester, mais il est
impossible d’en prédire l’ampleur à
l’avance. En tous les cas, l’effet sur
l’investissement des entreprises ne peut être que
négatif, sans compter la difficulté pour ces
dernières à se financer sur une Bourse orientée
à la baisse. Nombre de banques américaines ont, il est
vrai, pris leurs précautions en transformant les crédits
qu’elles ont accordés en titres de créances,
qu’elles ont vendus. L’avantage est d’éviter
la concentration dans les bilans des banques de créances
douteuses. L’inconvénient est de disséminer le
risque dans toute l’économie nationale, voire
internationale: les milliards et milliards de créances douteuses
n’ont pas disparu, ils sont logés quelque part, mais
où? La méfiance devient universelle. Les fonds
spéculatifs sont tout particulièrement dans le
collimateur: or, il y en a 9500 dans le monde, qui gèrent la
bagatelle de 1400 milliards d’euros.

3. Un effet sur la dépense des ménages américains.

Cet effet est essentiel. Il se décompose en deux:

  • Sur l’investissement des ménages,
    c’est-à-dire sur leurs achats de logements. Les
    ménages américains auront maintenant les plus grandes
    difficultés à financer l’achat d’un logement,
    par l’obtention de prêts hypothécaires auprès
    de banques rendues super-méfiantes.
  • Sur la consommation courante. Ici convergent les effets
    recensés plus haut. Effet réel: le bâtiment
    licencie déjà massivement, ce à quoi
    s’ajoutent les risques pesant sur l’investissement des
    entreprises, le tout entraînant une hausse du chômage
    (faible pour l’instant) ou une peur du chômage, toutes
    choses qui peuvent peser sur la consommation. Effet financier: la
    restriction des crédits, qui peut peser lourd pour des
    ménages américains habitués à consommer
    à crédit. Encore faut-il y ajouter le comportement de
    ménages endettés craignant de perdre leur logement, qui
    veulent faire face à leurs engagements et réduisent pour
    ce faire leur consommation. N’oublions pas «l’effet
    richesse», qui postule que la consommation des ménages ne
    dépend pas seulement de leur revenu courant, mais aussi de
    l’évolution de leur patrimoine, c’est-à-dire
    de la valeur des actifs réels et financiers qu’ils
    possèdent. Si cette valeur monte, ils se sentent plus riches et
    sont tentés de consommer plus. Mais si (comme c’est le cas
    actuellement aux Etats-Unis), c’est l’inverse, et que
    portefeuille d’actions et valeur du logement baissent tous deux,
    on peut s’attendre à un impact négatif sur la
    consommation, surtout pour des ménages habitués à
    «adosser» leurs crédits à la consommation sur
    la valeur de leur maison. Le risque ne doit pas être
    sous-estimé: la consommation des ménages occupe une place
    exceptionnelle aux Etats-Unis, représentant près de 70%
    du PIB (contre 55% seulement en France). Elle est le pilier sur lequel
    tout repose en définitive  non seulement pour
    l’économie américaine, mais même, aussi
    incroyable que cela paraisse, pour l’économie du monde
    entier.

Si l’économie américaine entrait en
récession, elle le ferait dans un contexte
particulièrement délicat, car elle a vécu
jusqu’ici au-dessus de ses moyens, à crédit, en
s’endettant à tout va. Le taux d’épargne des
ménages américains est pratiquement nul (ce taux compare
l’épargne des ménages à leur revenu
disponible), alors que, par exemple, celui des ménages
français s’élève à 15,5% en 2006. Le
taux d’endettement de ces ménages américains
atteint en 2006 l’extraordinaire niveau de 140% (ce taux compare
leur endettement à leur revenu disponible). Quant au
déficit extérieur (financé jour après jour
par le reste du monde), devenu abyssal, il représente 6,5% du
PIB des Etats-Unis en 2006. Autant de traits qui sont plus ceux
d’une puissance finissante, qui tente coûte que coûte
de se maintenir, que ceux de l’hyperpuissance habituellement
décrite.

Si l’économie américaine entrait en
récession, l’impact serait très fort pour le monde
entier, car elle joue le rôle de locomotive pour
l’économie mondiale, et il n’y en a pas
d’autre. Du coup, des pays émergents comme la Chine ou
l’Inde, parce qu’ils ont choisi l’insertion dans la
mondialisation libérale et le modèle «tiré
par les exportations», peuvent voir leur économie
s’effondrer, étant devenus entièrement
dépendants de leurs exportations, en particulier en direction
des Etats-Unis. Ainsi, la part des exportations dans le PIB chinois,
qui était de 10% il y a 20 ans, s’élève
aujourd’hui à près de 40%.

D’où vient la bulle immobilière américaine et quelles leçons en tirer?

Elle ne tombe pas du ciel, n’est pas la conséquence de la
spéculation, d’une mauvaise gestion ou encore le
résultat de l’irresponsabilité de «ceux qui
ont joué avec le feu». En réalité, la bulle
immobilière américaine, c’est la crise de la
«nouvelle économie», celle de la bulle des nouvelles
technologies (2001) qui continue. En 2000, l’éclatement de
la bulle boursière a entraîné, comme on pouvait
s’y attendre, une chute particulièrement
sévère de l’investissement des entreprises et une
montée rapide des licenciements. Mais la récession ne
s’est pas transformée en véritable
dépression, grâce aux dépenses des ménages.
D’énormes moyens ont été mis en œuvre
pour y parvenir. Le premier d’entre eux a été une
baisse extraordinaire du taux de la banque centrale américaine,
taux ramené en un temps très court de 6% à 1%
(soit un taux réel négatif, si on tient compte de
l’inflation). Prolongeant une fuite en avant depuis longtemps,
engagée aux Etats-Unis, le robinet du crédit a
été ouvert à fond, ce qui a grandement
facilité le crédit hypothécaire et lancé la
bulle immobilière. Le médicament pour soigner la bulle
boursière est devenu la drogue de la bulle immobilière:
on n’est sorti d’une bulle que pour tomber dans
l’autre, et parce qu’on est tombé dans
l’autre. C’est ainsi que le taux d’endettement des
ménages américains a bondi de 107% en 2001 à 140%
en 2006, ouvrant la voie à la crise de surendettement que nous
observons aujourd’hui.

La succession des bulles (et de leurs effets) est une question de
système. A partir du début des années 1990, on
note une succession de crises financières: celle du Mexique en
1995, de l’Asie du sud-est en 1997, de la «nouvelle
économie» en 2001, et l’actuelle enfin. Des crises
financières de ce type, on n’en avait pas connu depuis la
grande dépression. De la même façon, le seul
précédent à la bulle boursière des
nouvelles technologies de la fin des années 1990 est celle de
1929: entre les deux, il n’y a rien de comparable. La conclusion
coule de source: le grand responsable, c’est la mise en place de
la mondialisation libérale, guidée par la recherche
acharnée du profit. Ce n’est qu’à partir de
son instauration que tout a commencé (ou, plutôt,
recommencé). Ce système est miné par
l’instabilité. Quand il marche, c’est au profit
d’une minorité, aux dépens de ceux qui produisent
les richesses. Quand il ne marche pas, il entraîne toute la
population dans sa chute (l’encadré ci-dessous est
tiré d’un récent livre de David Harvey; il montre
que l’éclatement des bulles immobilières joue de
plus en plus souvent le rôle de déclancheur de crises
systémiques du capitalisme mondialisé, réd. de
solidaritéS).

Les conséquences de l’éclatement des bulles immobilières

La
suraccumulation dans (…) [l’immobilier, notamment] agit souvent comme
un déclencheur de crises plus générales. L’importance de ce facteur est
beaucoup trop souvent négligée dans les présentations générales de la
dynamique de l’accumulation capitaliste (…). Par exemple, le point de
départ de la crise de 1973-75 a consisté dans un effondrement des
marchés immobiliers à l’échelle mondiale, suivi peu après par la
faillite virtuelle de la ville de New York; le début de la stagnation
de dix ans dans les années 90 au Japon, a été marqué par l’éclatement
de la bulle spéculative sur le sol, les propriétés et d’autres valeurs
d’actifs, mettant en danger l’ensemble du système bancaire (il est
intéressant de constater que le gouvernement japonais a cherché à
contre-balancer cela à plusieurs reprises par des dépenses massives de
l’Etat dans les travaux publics); le commencement de la débâcle
asiatique de 1997 s’est signalée par l’éclatement de bulles sur les
marchés immobiliers de Thaïlande et d’Indonésie; et le principal
support des économies US et britannique après le démarrage d’une
récession généralisée dans tous les autres secteurs, à compter de la
mi-2001, a résidé dans la vigueur spéculative durable des marchés
foncier, immobilier et de la construction. Par un curieux retour de
manivelle, nous constatons que quelque 20% de la croissance du PIB des
Etats-Unis en 2002 ont pu être attribués au refinancement de leur dette
hypothécaire par les consommateurs sur la base de la valeur majorée de
leur maison et à l’utilisation de l’argent supplémentaire ainsi acquis
à des fins de consommation immédiate (réabsorbant en réalité le capital
excédentaire dans le circuit primaire). Les consommateurs britanniques
ont emprunté 19 milliards de dollars au cours du seul troisième
trimestre 2002 sur la valeur de leurs biens hypothéqués pour financer
leur consommation. Ce qui pourrait arriver dans l’hypothèse et au
moment où une telle bulle immobilière viendrait à éclater est un
sérieux motif d’inquiétude.

(David Harvey, The New Imperialism, Oxford U.P., 2003, pp. 112-113, notre traduction.)

S’il y a une récession américaine, il faut agir de
toute urgence. S’il n’y en a pas, ce n’est pas une
raison pour rester les bras croisés: il y a eu suffisamment
d’avertissements pour que nous en tenions compte avant
qu’il ne soit trop tard. Il faut tout reprendre de A à Z,
balayer la mondialisation libérale, le tout au marché,
l’inadmissible liberté laissée à la
rapacité du profit. La Banque centrale américaine (la
Fed), la BCE, celle du Japon, etc., qui se scandalisent dès
qu’on évoque la moindre intervention sur le terrain
économique, n’ont pas hésité à
déverser des milliards d’euros ou de dollars pour sauver
le système qui leur tient tant à cœur. Il y a donc
un devoir d’ingérence économique, mais cette fois
en faveur de l’immense masse de la population, les
travailleurs-euses, de façon à ce qu’ils ne
supportent pas les conséquences d’une crise
provoquée par la recherche insatiable du profit, et que
l’on ouvre enfin la voie à un système tourné
vers la satisfaction des véritables besoins sociaux.

Isaac Johsua*


*
Isaac Joshua est maître de conférences en sciences
économiques à l’Université Paris XI, membre
de la Fondation Copernic et du conseil scientifique d’Attac.
Cette note a servi de base à l’exposé qu’il a
fait à l’Université d’été de la
LCR, du 24 au 29 août 2007. Nous y avons ajouté un bref
passage (cf. dernier encadré) du livre récent de David
Harvey, The New Imperialim, Oxford U.P., 2003, sur les
conséquences systémiques de plus en plus graves de
l’éclatement des bulles immobilières.