Quelle voie vers un mouvement de lutte contre le racisme ?
Quelle voie vers un mouvement de lutte contre le racisme ?
Dans le numéro 115 de solidaritéS, Jean-Baptiste Blanc et
Philippe Somsky ouvrent le débat sur laction de la gauche
en matière de lutte contre le racisme, qui devrait être
différente de ce que font «certains mouvements de gauche ainsi que quelques associations».
Cest une bonne chose à lheure où le racisme
se développe et suscite peu de débats au sein des partis
politiques.
Depuis 1994 et ladoption de la norme pénale,
laffaire semble réglée: le racisme est
condamné, ou alors il nexiste pas. Pourtant, alors que
lopinion publique a massivement condamné laffiche
raciste des moutons, une ordonnance du Ministère public
zurichois vient de sy refuser.
Jean-Baptiste Blanc et Philippe Somsky constatent lindignation
quont provoquée les récentes campagnes de
lUDC. Ils sinterrogent donc à juste titre
«sur le sens, la qualité, mais aussi la portée de
ces messages dindignation». Ils ignorent cependant
lactivité réelle des associations qui luttent
contre le racisme et tendent à traiter lantiracisme comme
une idéologie ou un courant politique.
Ce bref article, faute de place, se limitera à évoquer
laction dACOR SOS Racisme, à laquelle je
collabore. Née en 1985, son objectif principal depuis 1994 est
la défense des victimes du racisme. Pour ce faire, il a ouvert
sa permanence aux personnes qui la consultaient pour organiser la
défense de leurs droits et de leur dignité. Depuis 12
ans, plusieurs milliers de personnes ont ainsi témoigné
des humiliations, des coups, de la précarité, du danger
où les plonge souvent le (non) droit des étrangers. De
surcroît, les préjugés racistes ne se limitent pas
aux statuts quil définit. Nombre de victimes du racisme
sont Suisses, et ce quils subissent découle du refus de
leur reconnaître cette qualité.
Et puis, il faut le dire, les conséquences du racisme sont
complexes. Nous recevons aujourdhui des Blancs qui se plaignent
du racisme que leur infligeraient des Noirs. Si le racisme identitaire
déployé par lUDC (et les groupuscules qui
sen nourrissent) avance en manipulant des émotions
victimaires et cette politique démagogique doit
être dénoncée, il est vrai quen
réaction au développement de ce phénomène
émergent des racismes réactionnels, communautaires, qui
doivent eux aussi être dénoncés.
La défense au quotidien des victimes du racisme est difficile.
Les personnes qui le subissent sur leurs lieux de travail ou
dhabitation ne sont pas seulement en butte aux limites de la
loi, puisquil nexiste pas encore en Suisse de loi
générale qui assure le respect de
légalité de traitement, dont le principe est
inscrit dans la Constitution depuis 1998. Elle est dautant plus
ardue que certaines autorités, et trop souvent la police,
accréditent le thème dune délinquance
ethnique qui est au coeur de la propagande de lUDC.
Bien sûr, les victimes de violences racistes et de
discriminations partagent leur vie avec des voisins, des
collègues qui subissent comme elles la
détérioration des conditions de travail, le
chômage, la diminution des prestations sociales et
médicales, la crise du logement. Mais où trouver leurs
agresseurs, sinon parmi des collègues ou des voisins, aux
guichets de ladministration publique? Faut-il attribuer cette
réalité subjective à la timidité de gens de
gauche à sengager aux côtés de ces victimes?
Bien sûr, le travail de notre association ne peut pas se
réduire à la défense quotidienne. Il lui faut
éveiller lattention de lopinion publique sur les
circonstances qui donnent naissance au racisme et qui
laggravent. Il lui faut donc descendre dans
larène. Et vous avez raison, Jean-Baptiste Blanc et
Philippe Somsky, lorsque les salarié-e-s sunissent pour
défendre leurs intérêts, ils se retrouvent au coude
à coude. Comme le sont aujourdhui les maçons en
lutte pour la défense de leur convention collective, en large
majorité «étrangers» et de dizaines de
nationalités différentes. Mieux, lopinion publique
sympathise avec leur cause. Et un grand nombre de Suisses, dont
certains votent UDC, se reconnaissent dans leur mouvement. Les
maçons construisent les maisons et les grands ouvrages publics
dans des conditions difficiles, et tout le monde sait quils
participent au bien commun.
Mais ne voyez-vous pas, en même temps, que la pression raciste
qui émane des milieux qui imposent aux travailleurseuses le
démantèlement social gagne des voix en leur sein et rend
leur mobilisation plus difficile? Au quotidien, la lutte contre le
racisme se heurte en effet à trois difficultés:
- les personnes concernées par la violence raciste et les
discriminations peinent à trouver du secours et à se
faire entendre; - la société civile ignore les situation
quelles subissent, et ce facteur est dautant plus
important que la volonté politique daffronter le
problème soulevé plus haut fait défaut; - le développement dun mouvement pour
légalité des droits avec les personnes
concernées par le racisme et celles qui sont solidaires avec
elles est indispensable à leur reconnaissance mutuelle.
Voilà lavancée à laquelle travaillent les
associations de lutte contre le racisme. Elles nentretiennent
pas lillusion dune «political correctness»ou
dune voie express vers lharmonie sociale. Elles demandent
que ces enjeux soient pris au sérieux et débattus par les
forces politiques soucieuses de justice sociale. Cet été,
pour la première fois, plusieurs dizaines de milliers de
personnes ont engagé leurs signatures contre le racisme, en
quelques semaines, à lappel de petites associations ou de
personnes indignées. Cet été, pour la
première fois, lopinion publique a pris conscience du
danger raciste et manifesté sa volonté de
laffronter. Un mouvement social contre le racisme émerge,
il nous appartient, il vous appartient, de le renforcer en en
comprenant tout le potentiel de contestation sociale.