Blocher et Merz: deux vieux amis de l’Afrique du Sud

Blocher et Merz: deux vieux amis de l’Afrique du Sud

Le Ministre de la justice et le
Ministre des finances, deux vieux amis du régime
d’apartheid sud-africain siègent actuellement au Conseil
Fédéral.


«Alors que les relations de la
Suisse avec l’Afrique du Sud étaient des plus intensives,
l’application de la politique sud-africaine de
ségrégation était accompagnée de graves
atteintes aux droits de l’homme.» Voilà l’une
des conclusions centrales de l’historien bernois Peter Hug. Dans
le cadre du projet national de recherche PNR 42+, il a
rédigé une étude sur les relations, au niveau de
l’industrie militaire et d’armement, entre la Suisse et le
régime d’apartheid en Afrique du Sud. L’importance
des compromissions politiques, militaires et de celles de
l’industrie d’armement a été beaucoup plus
grave que ce que l’on avait admis jusqu’à
présent: la Suisse a «soutenu, renforcé et ainsi
favorisé» le régime d’Apartheid.

L’un de ceux qui a pris parti de tout cœur pour le
régime d’apartheid est le ministre de la justice Christoph
Blocher. Et l’un de ceux qui a fait des affaires avec le
régime de l’apartheid est le ministre des finances
Hans-Rudolf Merz. Encore en 2002, ce dernier défendait la
politique de ségrégation raciale de l’Afrique du
Sud dans une interview au Tages-Anzeiger: «Il y avait aussi
beaucoup de personnes qui considéraient l’apartheid sous
l’angle de l’éducation et non de la race»
(sic!).

1989. Le Schweizer Illustrierte interviewe le Conseiller national
d’alors et patron d’EMS-Chemie, Christoph Blocher. À
propos de l’Afrique du Sud, il souligne: «On doit tout de
même voir que l’Afrique du Sud est, de tous les
États africains, l’État qui fonctionne le mieux
économiquement et socialement». L’ONU avait
condamné depuis longtemps comme une violation des droits de
l’homme la discrimination en raison de l’origine ethnique.
Il y avait également longtemps que de nombreux États
s’étaient associés aux sanctions de l’ONU
contre l’Afrique de Sud. Mais Blocher, l’ami de
l’Afrique du Sud, ne s’en souciait pas. Il luttait depuis
des années, avec le propagandiste de la droite nationaliste, le
Conseiller national UDC Ulrich Schlüer, «contre la
désinformation largement diffusée à propos de
l‘Afrique australe».

Sous le terme de «désinformation», Blocher et
Schlüer n’entendaient pas seulement les reportages des
médias de gauche traitant de la politique sud-africaine raciste,
mais aussi ceux des correspondants de médias aussi
renommés que le Frankfurter Allgemeine Zeitung ou le Wall Street
Journal.

Blocher, l’ami des Boers

En 1982, Blocher fonde le groupe de travail Afrique australe (ASA),
qu’il préside. Et il porte la feuille pamphlétaire
de celui-ci – l’ASA-Bulletin – sur les fonds
baptismaux. Dans cete dernière, des officiers, des politiciens
et des dirigeants de l’économie pouvaient
s’autoriser à justifier avec force le régime
sud-africain, notamment les fondements principaux de la
ségrégation. Selon Magazin, l’ASA-Bulletin
témoignait ainsi de la compréhension envers
l’«Immorality Act», qui interdisait toute relation
sexuelle entre blancs et noirs sous peine de prison; de la
compréhension et de la légitimité aussi au
«Bantu Education Act», qui prescrivait que les Noirs
devaient être séparés des Blancs pour
l’enseignement.

L’ASA-Bulletin critiquait la décolonisation de
l’Afrique après la Deuxième guerre mondiale et
appelait à une «néocolonialisation
européenne pour sauver l’Afrique mourante».
L’ASA organisa des voyages pendant des décennies au pays
de l’apartheid: «Sur les traces des Boers». Et elle
fit campagne contre les droits civiques des Noirs, contre le principe
du «One man, one vote» («Un être humain, un
vote») «qui précipiterait immédiatement
l’Afrique du Sud dans le chaos économique et
social». C’est aussi ce dont Blocher faisait part, encore
en 1989, au Schweizer Illustrierte. Pas étonnant que Blocher,
l’ami des Boers, ait plu aux services secrets sud-africains.

Les affaires sont les affaires

Selon l’historien Hug, les contacts des services secrets de la
Suisse et de l’Afrique du Sud ont aussi servi à couvrir le
commerce des armes. Et là aussi, Blocher, le patron
d’EMS-Chemie, était actif. Ainsi, l’entreprise
Patvag Technik AG (ZH), dans le conseil d’administration de
laquelle Blocher siégeait, fit parvenir une demande
d’exportation de détonateurs au «Groupe
interdépartemental pour les questions d’exportation de
matériel de guerre». Celui-ci décida de
répondre favorablement à cette requête en avril
1978: les détonateurs Patvag devaient désormais
être classés comme des «produits de série
anonymes», pouvant être exportés sans accusés
de réception de la part du consommateur final. Selon le magazine
d’actualités Facts, l’Ems-Patvag de Blocher, une
division indépendante de la Holding Ems-Chemie, soutenait aussi
l’industrie d’armement d’Afrique du Sud par des
licences de production et la formation de techniciens sud-africains
dans ce domaine.

Quiconque «travaille beaucoup et souvent à
l’étranger, sait qu’en tant qu’homme
d’affaires, on doit faire preuve de réserve sur les
questions politiques». Voilà ce que disait le Ministre des
finances, Hans-Rudolf Merz, à Work en 2002. Sous le
régime d’apartheid de l’Afrique du Sud, Merz
s’était concentré avec professionnalisme sur son
activité de conseiller indépendant du milliardaire de
l’amiante-ciment Schmidheiny. Après son retour
d’Afrique du Sud, Merz allait siéger au Conseil
d’administration de la firme Huber + Huber à Herisau.
Encore à l’époque de l’apartheid,
l’entreprise vendait des masques à gaz au gouvernement du
Cap.

Maria Roselli*

*Paru dans le journal Work du 11 novembre 2005 sous le titre «Blocher
und Merz: Zwei alte Freunde Südafrikas». Traduction: Francis
Kay. Titre et intertitres de notre rédaction.