Altermondialisme, un débat nécessaire

Altermondialisme, un débat nécessaire

Ce 26 janvier, à l’appel du Forum social mondial, se
tiendront des actions décentralisées dans le monde
entier, en lieu et place des sommets mondiaux et continentaux qui
s’étaient succédés jusqu’ici depuis
2001. Il faut le dire cependant, la Suisse ne donnera pas
l’exemple de mobilisations significatives, après
l’interdiction et la répression de la manif du 19 janvier
à Berne, organisée par l’Alliance pour une
résistance globale. Seule intervention d’une certaine
consistance: un rassemblement à St Gualle le 19 janvier, ainsi
que l’Autre Davos, organisé en salle par Attac, samedi 26
janvier prochain, au Volkshaus de Zurich. En Suisse romande, cette
échéance n’a suscité en revanche aucune
initiative notable. Pourquoi une telle absence?

De mai 1998 (manifestation contre la 2e Conférence
ministérielle de l’OMC) à mai-juin 2003
(manifestation contre le Sommet du G8 à Evian), en passant par
juin 2000 (conférence et manifestation de l’Appel de
Bangkok), Genève, puis Lausanne, avaient joué un
rôle de premier plan dans l’essor du mouvement
altermondialiste, servant même de point d’appui à
des initiatives internationales. Au début 2003, la jeunesse
était aussi descendue massivement dans la rue contre la guerre
en Irak, amenant Pascal Couchepin à dénoncer
Genève comme la métropole «de
l’idéologie antimondialiste» (Le Matin, 7 juin
2003). Et pourtant, au lendemain des incidents qui ont marqué
l’anti-G8 de 2003, cet élan a été
durablement stoppé. Que s’est-il donc passé?

Dans l’immédiat, on a pu croire que la répression
brutale de la dernière phase de l’anti-G8 de 2003 (gaz
lacrymogènes, grenades assourdissantes, matraques, policiers
masqués avec barres de fer, balles en caoutchouc, menottes,
photos de «casseurs» sur internet, etc.), avait
contribué à démoraliser et à disperser un
mouvement très jeune et largement spontané. Les
autorités de la région avaient mis 30 000 hommes
sur pied de guerre pour protéger les Global leaders, elles
n’allaient pas en rester là… Le 5 juin 2003, le
Conseil d’Etat genevois prenait ainsi un arrêté sans
précédent: «Toute manifestation ou tout
rassemblement sur la voie publique est interdit sur l’ensemble du
territoire de la République et canton de Genève, avec
effet immédiat». Le vert Robert Cramer avait
justifié cette grave décision sur un ton paternaliste:
«La récréation est terminée».

Face à une opinion publique de mieux en mieux disposée
envers l’altermondialisme, mais aussi face à un nouveau
cycle de mobilisation de la jeunesse, la droite rongeait son frein,
invoquant les dangers de «casse» pour réclamer
l’interdiction préventive de l’anti-G8.
Indiscutablement, le Forum social lémanique était dans
son collimateur et l’on s’interroge toujours sur les
circonstances dans lesquelles une cinquantaine de personnes ont pu se
livrer en toute impunité à des destructions en ville,
à la veille de la grande manifestation internationale du 1er
juin… Le député libéral Mark Muller,
aujourd’hui Conseiller d’Etat, alors Président de la
Chambre genevoise immobilière, ne notait-il pas rageusement, au
lendemain des événements, que Genève «avait
vécu ces derniers mois sous un régime de terrorisme
intellectuel de la gauche» (Le Temps, 7 juin 2003). L’heure
de la revanche avait sonné.

Quatre ans et demi plus tard, le climat a profondément
changé. L’altermondialisme et le mouvement anti-guerre
n’irriguent plus de la même façon le débat
public, et les mobilisations sociales sont au point mort. Il serait
cependant hasardeux d’attribuer un tel changement à la
répression de l’anti-G8 de 2003. En effet, le même
déclin relatif se vérifie aussi ailleurs, certes avec des
calendriers un peu différents. Il témoigne donc
d’un phénomène plus général, dont il
faut comprendre les raisons si nous entendons contribuer à
donner un second souffle aux mobilisations internationales contre le
capitalisme néolibéral. Quelles sont-elles?

Notons que les mobilisations contre les sommets du WEF de Davos, de
l’OMC, du FMI et de la Banque Mondiale, de l’Union
Européenne, etc., de même que les contre-sommets de Porto
Alegre, Mumbai, Caracas, Bamako… ont pris du retard sur
l’adversaire. Tout d’abord, elles sont rarement parvenues
– sauf peut-être en Amérique latine – à
embrayer sur des mouvements sociaux larges et militants, en position de
résister aux effets des politiques néolibérales,
mais aussi d’élever progressivement leur niveau de
conscience et d’organisation à la hauteur de leurs
tâches. Ensuite, elles n’ont pas été
accompagnées d’un débat politique clarificateur, en
termes de projet de société, s’exposant
par-là à une récupération lancinante par
les logiques du «moindre mal», flanc gauche du
social-libéralisme, voire de
l’écolo-libéralisme…

Il est donc urgent de participer à la réflexion sur les
fondements de l’évolution du capitalisme actuel, non
réductible aux choix politiques de dirigeants
ultra-réactionnaires (Bush, Berlusconi, Sarkozy, etc.), mais
répondant à des tendances profondes (primat des logiques
financières, accroissement de l’exploitation du travail et
du pillage des ressources naturelles, montée de
l’autoritarisme, de la violence et de la guerre, ainsi que des
logiques impériales). Au-delà, il faut aussi
débattre des lignes de force d’une alternative de
société en termes de rupture avec le système et
non d’aménagement de celui-ci. Ces questions seront au
centre du Congrès interrégional de solidaritéS en
novembre prochain, ainsi que du Congrès local qui le
précédera à Genève ce printemps.

Jean Batou