«De quoi Sarkozy est-il le nom?» D’un pétainisme au goût du jour, selon Alain Badiou

«De quoi Sarkozy est-il le nom?» D’un pétainisme au goût du jour, selon Alain Badiou

En ces temps
d’unidimensionnalité de la politique, où les potins
et les sms font office de sujets primordiaux, nous avons besoin de
réflexions qui nous permettent de sortir de ces débats
viciés pour essayer de comprendre la situation dans laquelle
nous existons et agissons. C’est à ce besoin que
répond le dernier livre d’Alain Badiou «De quoi
Sarkozy est-il le nom?», qui regroupe plusieurs interventions du
philosophe français en rapport à cette thématique.
Voilà un livre permettant de prendre un recul réflexif
qui fait du bien. Et surprise, c’est un succès de
librairie!

Alain Badiou se demande ce que représente
l’épiphénomène Sarkozy, historiquement et
collectivement. Il utilise à cet effet l’expression de
«pétainisme transcendantal». Cette expression ne
vise pas à établir une analogie entre Pétain et
Sarkozy, elle cherche à nommer la subjectivité collective
réactionnaire française active depuis longtemps et
à nouveau au pouvoir sous les traits du pimpant chouchou de
messieurs les patrons. Avec Sarkozy, c’est le triomphe de la
servilité justifiée par la croyance en une «crise
morale» de la nation. L’intérêt principal de
ce livre réside bien dans le fait d’élargir la
perspective pour comprendre ce qui est réellement en œuvre
actuellement en France: c’est-à-dire le règne
d’une politique capitaliste, où le profit doit commander
à tous. Où chacun est déclaré en
déclin moral et donc apte seulement à obéir
à ses guides. Oui Sarkozy est bien le nom de tout cela. De cette
mise au service de l’économie vécue comme un
mérite. Du rejet des pauvres au nom du «chacun à sa
place».

Critique de la démocratie

La critique de la situation politique qu’Alain Badiou
opère ne se borne pas au seul président, elle aborde
également un problème plus général et
brûlant: la démocratie. On touche bien ici à un
tabou de notre société. Pourtant, dans une
société aliénée, c’est-à-dire
une société où l’idéologie dominante
reste celle de la classe dominante, et donc où la plupart des
votes aboutissent à la mise en place de politiques
réactionnaires, il est nécessaire de penser les
élections de manière critique. Ce que fait Alain Badiou,
qui en démonte les principaux moteurs: les passions, dont la
peur, et la sanctification du nombre comme seul critère
recevable. Ces critiques ont beau ne pas être nouvelles (voir les
penseurs de l’Ecole de Francfort, notamment H.Marcuse), elles
restent nécessaires tant elles paraissent oubliées ou
méconnues.

Pour d’accord qu’on soit avec Alain Badiou quant à
l’analyse de la situation, on aimerait néanmoins le voir
esquisser des moyens de la dépasser. Or, il n’oublie pas
de traiter dans ce livre du versant positif de la prise de conscience.
Si, de nouveau, le philosophe français recourt à une
expression à résonance conceptuelle –
l’idée d’«élever l’impuissance
à l’impossible» – il énumère des
prises de position éthiques mais concrètes en faisant
résonner le passé et en ouvrant l’avenir. Attaquer
Sarkozy et sa conception de l’histoire (si on peut qualifier
d’histoire une idéologie de l’instant
consumériste et de l’appel aux mythes nationaux),
c’est aujourd’hui penser positivement un
événement politique: mai 1968. Et ce que mai 1968
représente, entre autres, pour Alain Badiou, c’est
évidemment Mao.

Mai 1968, moment de prise de parole sociale

Car s’il est bien une qualité que l’on doit
reconnaître au philosophe, c’est la constance de sa
pensée. À l’opposé de la grande
majorité des anciens soixante-huitards, qui ont soit
changé de bord, soit réduit les événements
de Mai à une libéralisation des mœurs, Badiou
continue non seulement de revendiquer mai 1968, mais surtout de le
revendiquer dans sa dimension politique, en tant que moment de prise de
parole sociale et de réattribution de l’espace dit public.
Il reste à se pencher plus longuement sur
«l’héritage de mai 1968» que Sarkozy
s’est juré de liquider, ce qu’un prochain
numéro de solidaritéS ne manquera pas de faire.

En ce qui concerne la pensée de Mao, sa présence, fait
rare aujourd’hui, démontre que, malgré
l’échec de sa mise en pratique, elle peut encore apporter
quelque chose, du simple fait qu’elle nous oblige à nous
positionner face à elle. La réflexion qu’elle
entraîne est d’autant plus fructueuse que le déni
frappe généralement cette pensée, malgré
l’importance qu’elle a pu avoir. On peut néanmoins
regretter qu’une fois de plus la pensée politique
maoïste ne soit perçue que de la même manière
que la philosophie chinoise traditionnelle, c’est-à-dire
sous la forme de proverbes, d’aphorismes, de «bons
mots», qui permettent d’accélérer
l’argumentation.

En plus de cette conservation du passé, Alain Badiou esquisse
également des pistes pour ouvrir l’avenir, aussi bien dans
une dimension théorique que pratique. Il pousse même
l’effet de concret jusqu’à énumérer
huit points pratiques, parmi lesquels on retrouve l’amour ou
l’internationalisme en passant par l’art. Tenir ces points,
c’est résister activement à Sarkozy et à
tout ce dont il est le nom. Quant à la ligne qui doit
sous-tendre ces pratiques, Badiou le dit sans ambages, il s’agit
de «l’hypothèse communiste», elle aussi
repensée aussi bien globalement qu’en rapport avec
l’actualité.
Tout n’est pas nouveau dans ce livre de Badiou. Et sa relative
brièveté laisse le lecteur sur sa faim. Néanmoins,
il a le mérite de permettre d’ébaucher des pistes
de compréhension et d’action. Et surtout, il est
lui-même acte à proprement parler, tant il est
contemporain de ce dont il dresse le portrait.

Pierre Raboud