Oser réagir! La caméra engagée de Carole Roussopoulos
Oser réagir! La caméra engagée de Carole Roussopoulos
Lengagement féministe
passe aussi par la force de limage. Dès 1969, Carole
Roussopoulos, alors toute jeune militante du Mouvement de
libération des femmes (MLF) à Paris, sest
engagée avec sa caméra vidéo. Sa passion est
toujours aussi vive et elle encourage les jeunes femmes
daujourdhui à sengager elles aussi dans la
réalisation.
Le 8 mars à la Comédie
de Genève, une manifestation originale permettra une rencontre
intergénérationnelle autour de lart engagé
de Carole Roussopoulos. Rencontre qui se prolongera les 14 et 15 mai
par la projection des créations graphiques ou audiovisuelles
détudiant-e-s de la Haute école dart et de
design, à la suite de cette réflexion sur
lengagement citoyen proposé par lensemble du
parcours de la vidéaste.
Carole Roussopoulos raconte ses débuts:
«Donner la parole aux plus démuni-e-s», cette
réflexion de Mai 68, apportée en fait par les premiers
vidéastes américains, ma nourrie. Je ne suis pas
partie de nulle part, ni seule, jai fait tout de suite partie
dun collectif, et durant lépoque du MLF,
jai été portée par le Mouvement. Puis, les
gens que jai filmés, que ce soient des ouvriers et
ouvrières en lutte, des victimes de violences lourdes à
dénoncer, tels que le viol, linceste ou la mutilation,
des féministes, des lesbiennes, des sans-papiers, des
toxicomanes etc., tous mont toujours énormément
apporté par leur courage et leur vérité.
Jai cependant le plus souvent travaillé seule ou en
petite équipe, en toute indépendance. Je pars sur un
thème, mais je suis les gens, ils peuvent mamener dans
des directions que je navais pas prévues.
En 1972, parmi les femmes venues à un de mes stages de formation
à la vidéo, je navais pas reconnu la
célèbre actrice Delphine Seyrig. Cela a simplifié
nos rapports et nous sommes devenues amies et complices. Nous avons
tourné ensemble, dans les grands éclats de rire,
«SCUM Manifesto», daprès le livre de la
féministe américaine Valérie Solenas, puis
«Maso et Miso vont en bateau» pour répondre à
Françoise Giroud et Bernard Pivot qui estimaient que
«Lannée de la femme (1975), ouf! cest
fini». Comme moi, Delphine était, entre autres, Suissesse,
fille de la grande amie dElla Maillard, la navigatrice Miette de
Saussure. Mais au contraire de moi, elle était très
à laise, navait peur de rien ni de personne, elle
ma sortie de ma timidité de petite Valaisanne et
ma appris lirrévérence, et la prise de
risques. Ensemble, nous avons créé le Centre audio visuel
Simone de Beauvoir à Paris pour accueillir et encourager les
productions de femmes et sur les femmes. Jai vécu avec
elle ma plus belle histoire de complicité. Je nai jamais
retrouvé quelque chose daussi fort.
Cétait aussi une époque formidable que celle du MLF
Oui, nous navions pas limpression de travailler, de
militer, nous nous laissions porter par le plaisir, par la vie
Nous voulions tout simplement, en toute innocence, changer le monde!
alors quaujourdhui nous nous battons laborieusement pour
légalité des droits ou des salaires
Et comment as-tu pu continuer à «tourner, monter, montrer» 150 films, durant 40 ans?
En allant vers les lieux de luttes que je choisissais dappuyer
et en étant portée par toutes ces personnes si
courageuses qui osaient dénoncer les tabous. Quand je suis
revenue au Valais en 1999, on me prenait pour une folle daborder
ces sujets tellement cachés, et maintenant, je sens que les
mentalités ont avancé, la chape de plomb sest
allégée. Les gens viennent se confier à moi, me
remercient de leur avoir donné loccasion de
sexprimer. Par exemple, en ce moment, et je narrive pas
à parler dautre chose tant je suis prise par notre
nouveau sujet, je tourne sur les mariages forcés, soutenue par
un groupe de Valaisannes. Les femmes que je rencontre nen
avaient jamais parlé auparavant. Je vais continuer sur le
même thème, le plus violent que jaie
rencontré, en donnant la parole aux hommes.
Les hommes nont-ils pas assez la parole?
Après la projection du film «Femmes mutilées, plus
jamais!» (2007), tourné par deux femmes dorigine
somalienne, avec ma collaboration, des jeunes hommes nous ont
abordées, découvrant, disaient-ils, la souffrance
cachée de leurs femmes ou futures femmes, et
décidés à prendre position contre les mutilations.
Ces témoignages dhommes qui réfléchissent
à leur sexualité me donnent envie de travailler sur la
violence des hommes et dessayer de comprendre si elle est
liée aux hormones ou à la culture patriarcale, donc
à léducation.
Dans la belle maison vigneronne
au-dessus de Sion où vivent Carole et Paul Roussopoulos, une des
organisatrices de la manifestation du 8 mars à la
Comédie, Rina Nissim, dEspace Femmes International, est
également présente.
Rina, que souhaites-tu en co-organisant cette manifestation avec la Comédie et la Haute Ecole dart et de design?
Dabord, je souhaite faire connaître luvre de
Carole Roussopoulos, qui nest pas assez connue en Suisse, alors
que la Cinémathèque de Paris lui a consacré quatre
journées en 2007. Ensuite, je trouve intéressant de faire
connaître cette forme dengagement simple et efficace,
différent des pétitions ou des manifs classiques, Enfin,
je voudrais que les jeunes, spécialement les étudiantes
en communication, prennent la caméra et osent réaliser et
sengager, comme la fait Carole. Pour sadresser aux
jeunes à la fois concernées par les injustices sociales
et par la création, Carole est la personne idéale!
Tu exagères, bougonne Carole, dautres feraient aussi bien que moi.
Non, Carole, il ny a pas dautre personne aussi disponible et proche du mouvement féministe que toi!
Projections gratuites le 8 mars à la Comédie
- S.C.U.M Manifesto (1976), suivi de Performing S.C.U.M (2005)
dAngela Marzullo, puis de Maso et Miso vont en bateau (1976),
entre 13h30 et 15 h. - Femmes mutilées, plus jamais! (2007) de Fatxiya Ali Aden
et Sarah Osman, Des fleurs pour Simone de Beauvoir (2007), de 15h30
à 16h30. - 16h30: Discussion avec des jeunes sur le thème «Oser réagir aujourdhui»
- Dautres films de Carole Roussopoulos seront
projetés les 14 et 15 mai à la Comédie, avec des
réalisations détudiant-e-s, et du 17 au 23 avril
au Festival Visions du Réel de Nyon.