L’extrême droite prend la confiance dans un écosystème favorable
À la suite de la conférence de presse du 21 septembre qui dénonçait le fichage des militant·e·s comme « islamo-gauchistes », nous avons interviewé Julien Salingue, membre de la direction du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).
Tu te retrouves dans une liste publiée sur le site d’extrême droite Fdesouche. Peux-tu nous en dire plus ? Français de souche, c’est un site de « réinformation » très fréquenté par la fachosphère dont le fonds de commerce est l’exploitation de faits divers pour agiter la menace d’une perte d’identité française face à l’arrivée des migrant·e·s et des islamistes. Mi-septembre, on a appris l’existence sur ce site de deux fichiers en accès public comprenant une liste de 350 individu·e·s et organisations répertoriés comme étant des « islamo-gauchistes », et une liste de 800 collectifs et associations autour de l’aide aux migrant·e·s.
Le premier fichier a été constitué quasi exclusivement, mais pas seulement, par la liste des signataires de l’appel à la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019. Ce sont surtout des individu·e·s qui sont classés par catégories (islam, intellectuel, militant…). C’est notamment ce travail de classement qui rend le fichier illégal au regard du droit français.
Le deuxième fichier des associations et collectifs est constitué à partir d’une liste publique venue du milieu de solidarité avec les personnes migrantes, aussi classées par catégories.
Au-delà de leur illégalité, le problème de ces fichiers est de te retrouver fiché publiquement comme islamo-gauchiste sur un site qui est une plaque tournante de l’extrême droite et de ses groupuscules. Ce n’est pas la même chose que de signer une pétition sur Médiapart. Là, tu es désigné·e comme cible potentielle et c’est d’autant plus inquiétant, dans une période où se multiplient les agressions ciblées contre des individus identifiés comme étant militant·e·s antifascistes ou actif·ve·s sur des thématiques qui ne plaisent pas à l’extrême droite.
Enfin, si la publication de ces fichiers est ancienne et qu’elle n’a pas déclenché de vague d’agressions, le fait est qu’ils existent et qu’ils ont été téléchargés. Il suffirait de changements de climat, ou de pouvoir politique pour qu’ils puissent être utilisés de manière systématique.
Des suites judiciaires vont-elles être données collectivement ? Il va y avoir deux démarches : une somme de plaintes individuelles, et une plainte collective des organisations. Le NPA participe aux deux : des membres sont fiché·e·s individuellement mais trois de nos porte-paroles le sont aussi, donc c’est aussi en tant qu’organisation qu’on est fichée.
C’est important d’avoir une démarche avec les syndicats, les partis, les associations. On porte le combat sur un terrain politique parce que l’existence ce fichier n’est pas anodine. Cela se passe dans un contexte où l’on a des raisons de penser que des agressions ciblées pourraient se multiplier, ce qui est déjà le cas. De manière générale, ces derniers mois, ce n’est pas seulement l’extrême droite, mais bien une ministre de l’Enseignement supérieur et un ministre de l’Éducation nationale qui ont fait toute une campagne pour dénoncer l’« islamo-gauchisme » à l’Université. Dans cet environnement-là où le pouvoir court après l’extrême droite et ses idées, on veut faire entendre qu’il y a un problème politique majeur qui ne se résume pas à Fdesouche.
Dirais-tu que l’extrême droite prend la confiance en France ? Il y a une combinaison qui leur est favorable. Il y a l’écosystème global avec un glissement de plus en plus à droite, une légitimation des thèses de l’extrême droite et donc de ceux qui les portent. Cela redonne confiance y compris à des petits groupes pour le passage à l’action. Ensuite, la normalisation institutionnelle du Rassemblement national (RN) a libéré les énergies de petits groupes très radicaux qui font le jeu du RN notamment dans des moments électoraux, tout en les critiquant pour leur manque de radicalité. À cela s’ajoute l’écho électoral du RN : 30 %, ça donne confiance !
Un autre élément, plutôt conjoncturel, c’est que les manifestations sur le pass sanitaire depuis la mi-juillet ont été des occasions pour des groupes d’extrême droite d’avoir des apparitions de rue, de reconstruire des collectifs, de se retrouver à 20, 30, 40 (voire plus) à défiler ensemble. La dernière fois qu’ils ont pu prendre la rue de cette façon c’était pour la « Manif pour Tous ».
Dans ce contexte, des groupuscules ou des individus encore plus violents pourraient estimer qu’il est temps pour eux de passer à l’acte. D’ailleurs, un groupe appelé « OAS » est jugé actuellement et la semaine dernière un lycéen a été arrêté. Dans les deux cas, ces jeunes d’extrême droite planifiaient des attentats.
Propos recueillis par Thomas Vachetta