Feuilleton théâtral

Feuilleton théâtral

Nous poursuivons ci-dessous la
publication des réflexions d’André Steiger,
recueillies lors d’une rencontre avec Natacha Jaquerod et
Geneviève Guhl. Articulées autour du
théâtre, de son rôle et de son avenir, elles sont
présentées sous forme de mots clefs.

Théâtre vivant?

Si le théâtre est théâtre, il est vivant.
Dire le théâtre vivant, c’est faire une redondance
ridicule: le théâtre est par définition vivant. On
pourrait dire qu’il y a des gens qui vivent du
théâtre, d’autres qui en crèvent, mais on ne
définit par-là que le personnel théâtral, de
l’auteur au pompier de service, certes dans un réflexe
salutaire, syndicaliste ou corporatiste…

Le problème du théâtre, ce n’est pas de
savoir si c’est vieux ou si c’est neuf. Le problème
du théâtre, c’est de savoir si le savoir des
pièces est ancien ou nouveau. Cela change les catégories
d’estimation.

Syndicalement, on doit défendre le droit aux auteurs modernes
pour qu’ils bouffent, mais c’est un autre combat; on ne
doit pas mélanger le combat économique et le combat
esthétique. Il y a des œuvres du passé qui sont
à jouer avant des œuvres d’aujourd’hui parce
qu’elles en disent plus sur le monde moderne que bien des
œuvres modernes.

Relève théâtrale?

La relève théâtrale a toujours été
là, elle est là aussi aujourd’hui. Elle est
là avec toutes les perversions de la société
actuelle. C’est dire que le futur du théâtre est
à peu près identique au futur du manœuvre ou du
directeur d’entreprise. En résumé une seule
question: qu’est-ce qui va se passer dans le monde de demain? A
laquelle on ne peut répondre. On peut simplement y trouver
matière à réflexion, matière à
expérience, mais on ne peut pas en déterminer une
réponse par une décision dictatoriale.

Par contre, ce qu’il y a d’intéressant dans cette
question, c’est que, d’une manière
générale, ce sont les plus âgés qui ne
croient plus à l’expérience, à la
transmission de la culture théâtrale. Par
expérience, les jeunes dans les écoles, dans les stages,
veulent en savoir plus, veulent apprendre plus de choses.

Cela me rappelle une histoire éclairante: c’était
un cours de scénographie à la Sorbonne, après Mai
68. Tout le monde disait: il n’y a plus de cours magistraux, il
n’y a plus de transmission du savoir, maintenant on doit tous
travailler à chercher ce qu’il y a à apprendre. Et
puis ça durait, ça durait… Il y avait un
maître très averti qui en observait
l’évolution. Et puis un jour, les étudiants ont
fauché la clé de la classe, le prof est entré, ils
ont fermé à clé et ils lui ont dit: «Maintenant,
tu nous fais un cours magistral ou tu ne sors pas de la salle, parce
que tu as du savoir, on a besoin de le connaître. Après
seulement on verra ce qu’on en fera mais on ne veut plus bricoler
à faire semblant d’inventer, alors qu’on ne fait que
perdre du temps à inventer des choses qui sont
déjà inventées depuis deux mille ans
».
Et c’étaient des étudiants qui avaient
participé au mouvement de Mai 68. Je trouve que cette anecdote
illustre bien les choses; c’est-à-dire qu’on se doit
de communiquer du savoir pour faire gagner du temps aux autres, qui
dépasseront ce savoir, qui inventeront un savoir nouveau. Mais
pourquoi leur imposer de refaire tout un parcours, de reprendre
toujours à zéro? Je pense que si on doit faire du
passé table rase, on ne doit pas faire du passé fable
rase! On a encore à dire des choses sur les fables anciennes, on
doit les communiquer. Cela me paraît un élément
important, l’espace de la mémoire.

Ici?

Quand j’ai quitté la Suisse (en 1949), il y avait
très peu de possibilités; il y avait d’ailleurs
très peu de gens qui voulaient faire du théâtre,
même dans les conservatoires il y en avait qui ne se destinaient
absolument pas à faire du théâtre; cela participait
d’une sorte d’autoformation. Fort peu de gens se
destinaient réellement au théâtre parce que
c’était financièrement difficile, plus difficile
que maintenant. Il y avait très peu de lieux, très peu de
champs d’application. Il y avait la Comédie. Quand
j’ai fait partie de la création du Théâtre de
Poche à la Grand-Rue, à l’époque,
c’était le théâtre qui s’installait
contre la Comédie. Mais c’était le seul
théâtre! Puis, après, il y a eu Carouge,
l’Atelier, et ensuite, les théâtres dits marginaux:
le Théâtre Mobile, le Théâtre O, Les
Tréteaux Libres, etc. Puis, les indépendants qui portent
un faux nom, il faut bien le dire. Le théâtre
indépendant, c’est le théâtre le plus
dépendant parce qu’il dépend de l’attribution
de subventions au coup par coup. Donc, il importe de supprimer
l’usage de la notion de théâtre indépendant.

André Steiger