Feuilleton théâtral...
Feuilleton théâtral…
Nous vous livrons ici la suite des
réflexions dAndré Steiger, publication
commencée dans notre N° 122. Rappelons quelles ont
été recueillies lors dune rencontre avec Natacha
Jaquerod et Geneviève Guhl. Centrées sur le
théâtre, son rôle et son avenir, elles se
déclinent en par rapport à une série de mots clefs.
Mémoire de théâtre
Je me rends compte que de nos jours, les jeunes ne s’en
préoccupent pas. Ils ne savent même pas ce qui s’est
passé il y a dix ans! Il faut maintenant que l’on produise dans
laujourdhui
C’est une dictature au
présent: la dictature du présent, c’est peut-être
ce qu’il y a de plus grave actuellement. Car cela provoque dans le
même mouvement la négation du passé… et de
l’avenir! Il n’y a plus de traces du passé, mais
également plus de projets d’avenir. On veut être dans
l’immédiateté et c’est une dictature!
De même, il y a le numérique. La dictature du
numérique représente en quelque sorte la base du
totalitarisme démocratique. Je dirais qu’elle est même
pire que la dictature totalitaire d’Etat parce que l’on ne peut pas
lutter contre, on la subit. A tel point que ce qui fait la
qualité d’un spectacle aux yeux des autorités, aux yeux
d’abord des directeurs de théâtre – qui eux influent sur
les autorités contrairement à ce que l’on croit – c’est
qu’ils donnent à tout moment des indices de
fréquentation, ils tombent dans l’audimat, dans le sondage
d’opinion! Marquée par la dictature du nombre, notre
époque doit inventer quelque chose d’autre, une autre
structuration politique. Par exemple, mettre en action un diktat du
qualitatif contre la dictature du quantitatif.
La Comédie, naguère?
J’ai vu à la Comédie des choses extraordinaires! Ils
jouaient toutes les semaines une pièce différente, donc
ils répétaient «en surface», Ils savaient
tout juste le texte, il y avait le souffleur encore. J’ai vu en une
soirée Huis clos et Le malentendu en 1947. Sartre et Camus
à la Comédie! J’ai vu des spectacles formidables à
la Comédie, et à l’époque, ils étaient
montés d’un point de vue moderne. Cette
modernité-là, il ne faut pas la rejeter, elle existait
pour le public de l’époque. A l’Orchestre de la Suisse Romande,
c’était la même chose. Il y avait des abonné-e-s,
alors en première partie, par exemple, il y avait une symphonie
de Haydn et un concerto de Beethoven et en deuxième partie,
Stravinsky. Après lentracte, il n’y avait plus que 10 %
des spectateurs-trices dans la salle pour Stravinsky. Trop moderne!
Mais Ansermet a maintenu ce principe. Ce qui fait qu’au bout de
quelques années, les gens ne venaient plus entendre Haydn et
Mozart parce qu’ils les connaissaient bien, mais venaient pour entendre
l’uvre moderne. Un snobisme s’était instauré.
Ansermet a continué, au moment où l’uvre moderne
prenait le pas sur l’autre, à jouer des uvres anciennes.
C’est une grande leçon, parce que l’on ne peut pas faire
l’économie de la totalité du discours artistique.
Enseignement?
On pourrait dire que l’on ne sait pas faire l’équilibre entre la
transmission par les méthodes actives et par les méthodes
passives. Il faudrait les deux. Après Mai 68, à Paris,
quand le conservatoire a changé, ce qui s’est passé
était intéressant; les élèves avaient un
maître pour trois ans, avec qui ils travaillaient des
scènes tous les matins, mais l’après-midi et le soir, ils
avaient des stages. Par exemple, ceux qui ont voulu faire un stage sur
Corneille, quelle que soit leur classe, venaient. Il y avait un double
système: un système sur l’imitation qui était
intéressant parce que le théâtre est un art
d’imitation d’abord, et à partir de là, l’exploitation de
cette imitation à des fins nouvelles, et en mélangeant
les classes. Ce qui fait qu’il y n’avait plus la classe d’untel ou
d’untel. Cela allait même plus loin puisqu’il y avait, à
l’époque, encore des classes de conservatoire traditionnel et
des classes de théâtre nouveau, et les mêmes gens se
mêlaient dans les stages. Mais le matin, ils avaient leur
maître. L’essentiel de la transmission au théâtre se
fait par l’acte de maîtrise. Je dis que tout élève
devrait, au départ, entrant dans une école, se choisir un
maître qu’il va imiter, qu’il va copier dont il va
s’imprégner. J’ai remarqué que tous ceux qui ont accompli
cet acte-là, ont été les plus inventifs. Ceux qui
ont fait de l’échantillonnage personnel finissent par ne plus
rien savoir du tout.
Quand j’étais à Strasbourg, il y avait deux courants: le
courant psychologique anglais, stanislavskien, et il y avait le courant
brechtien que janimais. Parmi les élèves qui ont
vraiment abouti, à leur façon, ce sont ceux qui
étaient les plus inféodés. Que ce soit G, C, W, H,
et je pourrais en citer d’autres, ils ont tous fait un
théâtre différent, mais en acceptant tous de se
référer à cette pédagogie active. Et,
je trouve cela formidable! Je crois que transmettre, ce n’est pas faire
une école nouvelle, c’est faire qu’une école, quelle
qu’elle soit, soit nouvelle. Ce qui n’est pas la même chose. Un
nouveau théâtre ou un théâtre du nouveau,
c’est autre chose. […]