Les lecteurs réagissent.. le débat se poursuit
Les lecteurs réagissent…le débat se poursuit
Lutilisation des femmes comme celle des hommes dans la publicité suscite une nouvelle réaction dune lectrice.
Dans le No 122 du 21 février 2001 de solidaritéS vous publiez des lettres de lectrices et de lecteurs concernant la publicité qui exploite limage du corps nu des femmes, mais aussi des hommes… pour vendre. Ces lettres me font à mon tour réagir.
Un texte de Simone de Beauvoir dans «Le deuxième sexe» (p. 217) me semble pertinent à ce sujet:
«Lidéale de la beauté féminine est variable; mais certaines exigences demeurent constantes; entre autres, puisque la femme est destinée à être possédée, il faut que son corps offre les qualités inertes et passives dun objet. La beauté virile, cest ladaptation du corps à des fonctions actives, cest la force, lagilité, la souplesse, cest la manifestation dune transcendance qui ne doit jamais retomber sur elle-même.(…)
Quand la femme est livrée au mâle comme son bien, ce que celui-ci réclame, cest que chez elle la chair soit présente dans sa pure facticité. Son corps nest pas saisi dans le rayonnement dune subjectivité, mais comme une chose empâtée dans son immanence; il ne faut pas que ce corps renvoie au reste du monde, il ne doit pas être promesse dautre chose que de lui-même: il lui faut arrêter le désir.»
Ce texte éclaire à mon sens dune lumière inattendue les déclarations de Guy Poitry: il sinsurge notemment contre «cette fixation sur le corps nu ou sur le corps dans un costume quon peut voir dans nimporte quelle piscine par exemple». Comme sil sagissait seulement de cela, de cette enveloppe extérieure, neutre, belle certes, mais anodine. nullement porteuse de désirs, inavouables. Non Monsieur Poitry, le corps nu nest pas un corps vil, mais cest lutilisation qui en est faite, et qui plus est lutilisation du corps nu de la femme, qui pose problème. Et vous le soulignez très justement: la nudité du kouros et de la korè grecs na rien à voir avec le désir démoustiller le bourgeois, mais on ne les utilise pas pour vanter les mérites du soutien-gorge ou des crèmes de beauté ni pour vendre des voitures. Et lutilisation dun corps humain pour la publicité me semble aller totalement à lencontre du courant naturiste, qui recherche dans le nudisme un mode de vie plus libre, plus égalitaire voire même édenique. Et plus il est beau, lisse, parfait, plus il sert, non seulement à vendre, mais à imposer une image sociale de la beauté féminine, qui en exclut, silencieusement, toutes les autres.
Jeunesse, beauté, richesse, cest limage idéalisée et inaccessible que notre société renvoie dans le crâne insatisfait de nos contemporaines. Et la publicité utilise pour cela des images de jeunes filles sveltes, souriantes, belles, aimables. La peau est saine, fine et lisse, pas de rides ni de taches de rousseur. Le nudité na pas toujours comme but de séduire de façon érotique, mais de montrer un idéal jusque dans ces plis et ces pores. Les publicitaires jouent sur une recherche didentification. Et les femmes savent que tout cela est du domaine du rêve, de lirréel, mais elles sen désolent et elles naspirent pas moins à ressembler à cet idéal inatteignable. Elles y participent en partie, en buvant la même eau minérale, en achetant le même habit.
La beauté et largent vont de pair. La femme de la publicité a du temps pour soccuper de son corps. Une beauté toute nue «toute simple», «toute naturelle» suppose un budget impressionnant. Qui disait quil ny a rien de plus habillé que le nu?
Alors jestime, que les réactions indignées de Maryelle Budry et de Richard ODonovan, loin dêtre révélatrices dun état desprit néo-victorien ou néo-calviniste, témoignent au contraire dune rare lucidité et dune lecture critique de limage que daucuns pourraient leur envier.
* Membre du Comité de lAssociation Viol-Secours