Les serres agricoles d’El Ejido: que faire contre un désastre social et écologique ?

Les serres agricoles d’El Ejido: que faire contre un désastre social et écologique ?

La problématique de la
production agricole industrielle du Sud de l’Espagne a
été thématisée depuis le début de
cette décennie. Spitou Mendy, syndicaliste du SOC (Sindicato de
Obreros del Campo y del Medio Rural), d’origine
sénégalaise, était en Suisse, début mars,
pour parler de la situation actuelle dans laquelle évoluent les
ouvriers agricoles et son syndicat.

Spitou Mendy est l’un des trois responsables syndicaux du SOC
dont la zone de travail s’étend sur 40 000 hectares de
serres agricoles sous lesquelles sont employés plus de 80 000
ouvriers-ères agricoles; pour la plupart des migrant-e-s, avec
des statuts très précaires. C’est dire si la
tâche est colossale! Le SOC est donc amené à jouer
le rôle de médiateur dans les conflits de travail,
à s’occuper de l’obtention de permis de
séjour et de travail, à déposer
d’éventuelles plaintes pour dénoncer les abus et
à défendre l’application de la convention
collective de travail. En effet, il en existe bien une qui fixe un
salaire de 43 euros par jour, mais elle n’est jamais
appliquée.

Le salaire le plus élevé que Spitou Mendy ait
enregistré se montait à 32 euros par jour. Les salaires
ne sont d’ailleurs pas versés systématiquement.
Majoritairement sans-papiers, les travailleurs-euses n’osent pas
se plaindre. Les journées sont de 8 à 10 heures de
travail, effectuées par des températures caniculaires.

Précarité et répression policière

Leurs conditions de logement sont encore plus catastrophiques que
celles de l’emploi: ils-elles vivent en effet dans des taudis de
plastique et de carton, ou dans d’anciennes bergeries. Elles-Ils
s’entassent dans des espaces exigus, sur des lits
superposés ou celui-celle qui dort en haut frôle le
plafond avec son nez. Il n’est pas rare que les
ouvriers-ères qui se plaignent soient ensuite
«cueillis» par la police espagnole. Elle
n’hésite pas, d’ailleurs, à les embarquer de
force et à les expulser vers leurs pays d’origine.

Nombre d’entre eux-elles arrivent d’Afrique sub-saharienne.
Elles-Ils ont quitté des pays qui ne leur offraient que peu de
perspectives d’avenir. Ils-elles sont cependant nombreux à
avoir un niveau élevé de formation. N’ayant pas
réussi à décrocher un emploi, ils tentent
l’aventure de la traversée. Lorsqu’ils-elles
arrivent sur les côtes des Canaries, ils-elles sont
détenus pendant 40 jours, sont jugés et reçoivent
la plupart du temps un ordre d’expulsion. Mais comme cela
n’est pas si évident à concrétiser, que les
Canaries sont exiguës, et que l’agriculture espagnole a
besoin de main d’œuvre bon marché, ils-elles sont
transférés en avion vers la Péninsule puis
répartis dans les régions agricoles.

Depuis quelque temps, il est plus fréquent de rencontrer des
ouvriers-ères qui arrivent avec des contrats de travail
déjà établis dans leur pays d’origine.
C’est un contrat temporaire de 9 mois, qui les oblige à
chaque fois à retourner chez eux-elles et à refaire la
même démarche.

A leur arrivée en Espagne, leur passeport est pour la plupart du
temps retenu par les patrons. Originaires tout d’abord du Maroc,
puis de la Pologne, ces migrant-e-s «légaux»
arrivent maintenant surtout d’Afrique noire, notamment du
Sénégal. C’est après la période
d’essai de 15 jours que la situation s’envenime. Surpris
par les conditions dans lesquelles ils doivent vivre et travailler,
certain-e-s d’entre eux-elles, humiliés, se rebellent et
demandent à récupérer leur passeport. Ils-elles
sont alors souvent licenciés, la police est avertie et tente de
les embarquer et de les expulser avec les premiers avions en partance
pour leur région d’origine. Intimidations et agressions
physiques de la part des patrons et de la police ne sont donc pas rares.

Les limites du système

Une agriculture industrielle d’une telle ampleur n’a pas
que des conséquences sociales désastreuses.
L’environnement est également fortement touché:
pollution, épuisement des nappes phréatiques et du sol. A
terme, la région ne pourra plus demeurer le grenier à
légumes de l’Europe. Cette réalité, ainsi
que celle de salaires plus bas au sud de la Méditerranée,
est en train de provoquer la migration de ce système de
production vers le Maroc.

Ces légumes produits dans des conditions sociales et
environnementales inadmissibles se retrouvent sur les étalages
de nos grands distributeurs. Ceux-ci affirment qu’ils font leur
possible pour mettre en place des standards sociaux et pour
qu’ils soient appliqués. Mais c’est rarement le cas,
car les programmes tels que le BSCI (Business Social Compliance
Initative), auquel Coop et Migros participent en Suisse, ne
répondent pas aux attentes. Les réunions qui sont
sensées rassembler tous les acteurs autour d’une table
sont bien souvent interrompues par le départ des patrons,
lorsque le SOC exprime ses revendications. De l’avis des
syndicalistes suisses qui se rendent dans cette région depuis
2000, la situation ne s’est de loin pas améliorée.

Boycotter ces produits?

Ne serait-il pas souhaitable de décréter un boycott de
ces produits ou d’en interdire purement et simplement
l’importation en raison du dumping social et environnemental
qu’ils représentent? C’est d’ailleurs ce que
proposent sept initiatives et motions cantonales récemment
adressées au Conseil fédéral.

Spitou Mendy n’y est pas particulièrement favorable, car
cela revient à arracher l’emploi des mains des migrant-e-s
qui en ont cruellement besoin. Il admet que sa position revient
à cautionner ce système d’exploitation
humaine… solution peu satisfaisante s’il en est. Alors que
faire? Spitou Mendy et plusieurs syndicalistes suisses présents
à la conférence ont plaidé pour un soutien accru
au SOC afin qu’il puisse assurer un travail de qualité sur
place et former une relève. Parallèlement, c’est
toute l’ambitieuse question de la politique de migration
européenne qu’il faudrait saisir à bras le corps et
lutter pour que l’exploitation des migrant-e-s prenne fin.

Enfin, l’un des paramètres à ne pas
négliger, c’est l’encouragement de la production
agricole locale, destinée aux consommateurs-trices de la
région. La concurrence effrénée pratiquée
sur les marchés agricoles mondiaux a détruit les
agricultures locales africaines, poussé les jeunes ruraux
à migrer vers les villes, puis vers l’Europe,
encouragé enfin les agriculteurs espagnols à sous-payer
leurs employé-e-s pour réduire leurs coûts de
production et mis en péril – par effet domino – la production
maraîchère suisse, qui subit de plein fouet ce dumping.

Valentina Hemmeler Maïga

Uniterre