Crise des crédits subprime, panique financière et débâcle sociale

Crise des crédits subprime, panique financière et débâcle sociale

Selon une étude publiée
par deux universitaires, la crise des crédits
hypothécaires subprime aux Etats-Unis présente des
analogies avec la crise de la dette du Tiers-Monde au début des
années 80. Dans les deux cas, le recyclage des
pétrodollars avait alimenté des prêts gigantesques
à des conditions très favorables, sans se soucier de la
solvabilité des emprunteurs. «Cette fois-ci, […]
des volumes massifs de fonds ont été recyclés au
sein d’une économie en développement qui existe
dans les frontières mêmes des Etats-Unis. Plus de mille
milliards de dollars ont ainsi été canalisés vers
le marché des hypothèques subprime, qui est porté
par les emprunteurs les plus pauvres et les moins crédibles des
Etats-Unis».1 Ce premier article est consacré
au mécanisme de la crise des crédits hypothécaires
subprime. Il tente d’en indiquer les ressorts économiques
et les conséquences sociales. Il inaugure une série
d’autres contributions sur la crise en cours du capitalisme que
nous publierons dans les prochains numéros.

Aux Etats-Unis, plus des deux tiers des résident-e-s sont
aujourd’hui propriétaires de leur logement, contre
seulement 40% au sortir de la Deuxième guerre mondiale. En
réalité, ils sont 75% parmi les blancs, 48% parmi les
Latinos et 47% parmi les Afroaméricains. Pourtant, selon Paul
Jorion, cette évolution a déterminé paradoxalement
une précarisation croissante de l’habitat, dans la mesure
où 50% des propriétaires en titre ne possèdent
effectivement que 10% de leur bien, le reste étant couvert par
des emprunts sur le marché des hypothèques.2
Mieux, une partie importante d’entre eux – la «fausse
classe moyenne» – n’est pas même capable
d’assumer les charges annexes de sa propriété. Pour
s’en sortir, elle ne peut escompter qu’une valorisation de
son bien à court terme: de 1998 à 2005, les prix de
l’immobilier ont en effet progressé de 5% par an en
moyenne.

Les crédits hypothécaires subprime

Cette situation est aggravée par le système des
crédits hypothécaires aux Etats-Unis, dont les taux
d’avant la crise variaient de 3,5 à 11% (pour un
crédit n’excédant pas 82% de la valeur
d’acquisition), et de 5,5 à 17,5% (pour un crédit
allant jusqu’à 97,5% de la valeur d’acquisition), en
fonction de la cotation de l’emprunteur. Il faut savoir que
chacun-e possède une cote de crédit calculée
à partir de son histoire personnelle et
réévaluée au soir de chaque jour ouvrable, qui
exprime le risque de défaillance qu’il-elle
représente pour un prêteur. On s’en doute, cette
cotation est aussi directement influencée par
l’appartenance ethnique des consommateurs-trices. Sur le
marché immobilier, ce système distingue ainsi un secteur
prime (de première qualité), d’un secteur subprime
(à risques). Par exemple, en 2003, bien avant le
déclenchement de la crise, 1,1% des prêts
hypothécaires prime aboutissaient à des saisies, contre
7,4% des prêts dans le secteur subprime.

Dans le secteur subprime, dont le volume global s’est vu
multiplié par 9,5, de 1994 à 2003, les conditions de
prêt sont fixées en majorant les taux
«ordinaires» par des primes de risque et des primes de
«dossier» élevées. De surcroît, sur ce
segment du marché, où les établissements bancaires
sont mal implantés (quartiers pauvres, zones urbaines
sinistrées, etc.), le démarchage des client-e-s est
souvent effectué par des courtiers qui travaillent à la
commission, contribuant encore à augmenter le coût des
emprunts. Ils tablent en effet sur l’incapacité de leurs
client-e-s à faire jouer la concurrence et à analyser le
sens des montages complexes qui leur sont proposés:
pénalités de remboursement anticipé visant
à les empêcher de refinancer leur hypothèque
à des conditions plus avantageuses, taux ultra-attractifs
pendant les premières années débouchant de facto
sur un accroissement de leur dette (amortissements négatifs),
taux «rapaces» accordés
délibérément en vue d’une saisie à
terme, etc.

Le déclenchement de la crise

De la mi-2000 à 2003, la banque centrale des Etats-Unis a
réduit ses taux directeurs de 6,5% à 1% afin de juguler
une crise financière et de lutter contre la récession,
après l’éclatement de la bulle boursière.
Par la création massive de liquidités, la Fed tablait
alors sur une relance par la consommation à crédit.
L’endettement massif des ménages dans le secteur de
l’immobilier, dont la valeur a doublé entre 2000 et 2006,
a ainsi dégagé un pouvoir d’achat
supplémentaire formidable. Par exemple, six millions de
ménages sont devenus propriétaires en empruntant 100% des
fonds nécessaires, avant de continuer à solliciter des
prêts sur la valeur majorée de leur bien…

Pour s’assurer contre le défaut possible de cette masse
gigantesque de crédits, les institutions qui les
détenaient ont commencé à les regrouper et
à émettre des titres, qu’elles ont
écoulés sur les marchés financiers, notamment
auprès des grandes banques: ces Mortgage Based Securities
(produits dérivés basés sur des crédits
hypothécaires, en particulier subprime) rapportaient en effet
des intérêts nettement supérieurs aux autres
obligations. Elles ont été à leur tour garanties
par d’autres produits dérivés, les Collateralized
Debt Obligations, qui combinaient les crédits les plus
risqués avec d’autres plus sûrs. De tels
mécanismes ont permis certes d’exporter et de
répartir des risques en augmentation constante, mais ils en ont
en même temps facilité la multiplication sans limites en
tablant sur leur dissimulation et leur dissémination.

Ainsi, dès 2006, lorsque le marché foncier a
commencé à stagner puis à décliner aux
Etats-Unis, il a suscité une augmentation rapide des
défauts de paiement. Des centaines de milliers de logements ont
alors été saisis par les créanciers, et leur
habitant-e-s jetés à la rue. Bien entendu, les
catégories les plus fragiles de la population, en particulier
les Afro-américains et les Latinos, ont été
touchées le plus brutalement, dans la mesure où elles
avaient compté, dès le départ, sur une hausse sans
fin des prix de l’immobilier pour financer durablement le service
de leur dette, sans parler de l’entretien de leur logement ou de
leur consommation ordinaire. Par-là même, la formidable
pyramide de crédits que ces catégories portaient sur
leurs épaules se fragilisait à vue d’œil,
poussant les milieux financiers à se débarrasser de
titres dont il devenait impossible d’évaluer la valeur
intrinsèque… Le mécanisme cumulatif de la crise
était en marche.

Jean Batou


1   Carmen N. Reinhart (University of Marylnad) &
Kenneth S. Rogoff (University of Harvard), «Is the 2007 U.S.
Sub-Prime Financial Crisis So Different? An International Historical
Comparison», New Perspectives on Financial Globalization, version
du 30 décembre 2007.
2   Paul Jorion, Vers la crise du capitalisme
américain, Paris, La Découverte 2007. Une
présentation détaillée de ce livre peut être
demandée à Eric Decarro: edecarro@bluewin.ch