Libre circulation des personnes, l’UDC, la fraude fiscale et le cervelas

Libre circulation des personnes, l’UDC, la fraude fiscale et le cervelas

Le parlement suisse va être
saisi, en avril ou en été, de deux objets chauds:
l’extension de la libre circulation des personnes à la
Bulgarie et à la Roumanie, ainsi que l’approbation de la
reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes
au-delà de l’année 2009. L’Union
prétendument démocratique et du centre (UDC) exige, pour
approuver la première, un durcissement des restrictions et une
déclaration exprès de l’Union européenne
(UE) reconnaissant la souveraineté fiscale de la Suisse. Pour la
seconde, elle demande un référendum obligatoire et avance
onze autres exigences en matière de politique européenne.

Que ce soit avec l’UE à 15 membres (plus Malte et Chypre)
ou avec l’UE élargie aux pays du centre et de l’Est
de l’Europe (UE-25), le mécanisme de la libre circulation
est le même: d’abord une phase avec un maintien de la
préférence nationale, suivie d’une autre de
contingentement, enfin une dernière étape avant la libre
circulation, celle dite de la «clause de sauvegarde»,
durant laquelle la Suisse peut unilatéralement
réintroduire des mesures de restrictions. Les mêmes
séquences vont s’appliquer à l’accord de
libre circulation avec la Bulgarie et la Roumanie: sept ans de
contingentement et clause de sauvegarde durant trois ans. Pour ces deux
pays, le processus de libre circulation n’atteindra donc pas son
plein régime en 2014, comme pour le reste de l’UE.
C’en est déjà trop pour l’UDC, qui a
trouvé une nouvelle figure revendicative pour continuer à
faire cohabiter en son sein populistes et néolibéraux.

Priorité à la fraude fiscale et au secret bancaire

Lors de la première votation en 2005 sur la libre circulation,
on avait vu l’aile proche du milieu des affaires, Christoph
Blocher et Jean-François Rime en tête, prendre une
position contraire à celle de la majorité de l’UDC.
Du coup, celle-ci avait laissé l’un de ses pseudopodes –
l’Association pour une Suisse indépendante (ASIN,
dirigée par Hans Fehr) – mener la campagne de rejet de
l’accord. Pour éviter cette conduite fâcheusement
schizoïde, l’UDC a trouvé la parade. D’abord
une surenchère classique: l’extension de la libre
circulation avec la Bulgarie et la Roumanie devrait être
précédée de douze ans de contingentement (au lieu
de sept); un accord de réadmission efficace des nationaux
criminels ou «violents» devrait en plus être conclu
avec ces deux pays. Et pas question de renforcer les mesures
d’accompagnement contre la sous-enchère salariale. Sans
cela, pas de ratification de l’accord, ni de versement dit de
cohésion (un crédit cadre de 257 millions sur dix
ans). Ensuite vient le volet libéralo-souverainiste: un pour
tous, tous pour la défense de la souveraineté fiscale
helvétique! Roulez tambours pour couvrir… le secret
bancaire! Tous au secours du brave Liechtenstein, honteusement
agressé par ces Teutons criminels! Halte aux pressions
européennes sur nos oasis fiscales! Non aux baillis bruxellois!

La défense des fraudeurs fiscaux allemands (donc de
délinquants étrangers, pour reprendre le lexique
udéciste) va assez loin: «L’Allemagne nous donne une
triste image de la politique fiscale de l’UE. Les classes
moyennes sont saignées; celles et ceux qui échappent
à ce fisc confiscatoire tentent de sauver leur argent à
l’étranger. Et l’Etat dépense des millions
pour obtenir de manière douteuse des informations sur les
comptes en banque privés de ses propres citoyens» (Toni
Brunner, nouveau président de l’UDC). Ancien
secrétaire général de l’UDC, Gregor A. Rutz
explique, lui, dans le service de presse du parti, que ces fraudeurs
n’en sont du reste pas, puisqu’ils ont simplement commis
une erreur en remplissant leur déclaration fiscale. Tout
à sa joie de retrouver l’Albisgüetli, Christoph
Blocher, le «conseiller fédéral non
réélu» (c’est son titre, maintenant)
dénonçait la lâcheté du Conseil
fédéral «face aux procédés criminels
de l’Allemagne à l’encontre du Liechtenstein.
L’acquisition illégale d’informations,
l’engagement de criminels pour voler des documents, qui plus est
dans un pays tiers, voilà des agissements indignes d’un
Etat de droit». Il ajoutait plus loin: «Dans ce combat pour
la souveraineté fiscale, la Suisse devra affronter l’UE
avec assurance et en se fondant sur le droit (sic). Cela signifie
clairement ceci – et l’UE doit le savoir: il n’y aura pas
de libre circulation des personnes avec la Roumanie et la Bulgarie, ni
de paiements de cohésion si l’UE ne renonce pas
définitivement à exiger de la Suisse qu’elle
modifie ses lois fiscales nationales».

En jouant ainsi la carte de l’approbation de l’accord de
libre circulation en contrepartie d’une déclaration de
renoncement à toute mise en cause du havre fiscal
helvétique, l’UDC pense ainsi sauver la chèvre et
le chou. Enfin, le bouc et la choucroute de Thurnen.

Le patronat et le cervelas

Le patronat helvétique ne l’entend pas vraiment de cette
oreille. Le directeur de l’Union patronale suisse, Thomas Daum, a
ainsi astucieusement fait remarquer qu’exiger une
déclaration de renoncement de l’UE, c’était
admettre de fait la politique fiscale suisse pouvait être objet
de négociation. Et donc négocier la souveraineté
fiscale… Par ailleurs, il n’est évidemment pas
question, pour les patrons suisses, de renoncer aux avantages de la
libre circulation. Dans son entretien avec le Tages Anzeiger, le
même dirigeant patronal a évoqué le fait
qu’au sein de l’UDC, des «chefs d’entreprise
importants soulignent l’importance de la libre circulation pour
la Suisse», signe à son avis que dans ce parti «la
résistance à la libre circulation n’est pas encore
inscrite dans le marbre». Autrement dit, le pari de la direction
de l’UDC, trouver une position unifiante, n’est pas encore
complètement gagné.

Et le cervelas, alors? Eh bien, cette triviale saucisse est non
seulement le symbole populaire et national que l’on sait. Elle
est aussi en passe de devenir l’un des exemples phares de la
soumission et de la servilité du Conseil fédéral
à l’égard de l’Europe: «Mais en
réalité, il s’agit de bien plus que de la perte de
notre saucisse nationale. En multipliant les signatures de conventions
et de traités internationaux, la Suisse abandonne
progressivement sa souveraineté, sa liberté et une marge
de manœuvre si importante pour un petit Etat» (Yvette
Estermann, conseillère nationale UDC). Heureusement que
l’UDC est là pour sauver le soldat cervelas.

Daniel Süri