Résister à la libéralisation du marché postal

Résister à la libéralisation du marché postal

La libéralisation du
marché postal, condition nécessaire à la
privatisation de La Poste est en route depuis longtemps. La diminution
des bureaux de poste, l’externalisation de certains services, la
diminution d’un nombre considérable d’emplois, la
pression sur les salaires ne sont que les prémisses de cette
libéralisation. Scénario déjà connu dans
nombre de pays européens. Actuellement, le Conseil
fédéral met en consultation un projet de
libéralisation en deux étapes. Pour mieux comprendre la
manoeuvre, nous reproduisons ci-dessous de larges extraits d’un
article de Joël Varone, ancien secrétaire du SSP à
Genève, publié par le mensuel de la
Fédération de la gauche anticapitaliste «Lignes
Rouges». Il décrit le chemin choisi par les
autorités pour privatiser La Poste. Il démontre
également la nécessité de développer une
véritable lutte contre le démantèlement de La
Poste. (jf )

Calquée sur le modèle de la libéralisation du
marché de l’électricité, la libéralisation
du marché postal à la Suisse se ferait par un premier
abaissement à 50 grammes (au lieu de 100) du monopole dans la
distribution du courrier d’ici à 2011. Ce monopole serait
complètement supprimé pour l’envoi des lettres entre 2014
et 2017.

Contourner les droits populaires

La raison de ces deux étapes est donnée on ne peut plus
explicitement par le ministre socialiste Moritz Leuenberger dans un
entretien à la Tribune de Genève. Répondant au
journaliste qui lui demandait ce qu’il craignait en ne
présentant pas un projet supprimant plus rapidement le monopole,
il avouait qu’il avait peur «qu’une ouverture
précipitée du marché mette en danger, en raison du
référendum, une ouverture nécessaire mais
contrôlée de ce même marché. La population,
indépendamment de ses orientations politiques, est très
attachée à La Poste, à la couleur jaune, aux cars
et aux boîtes à lettres. Avancer trop vite impliquerait
à coup sûr un échec devant le peuple, car la loi
est soumise au référendum facultatif.»1

Pas question en revanche de remettre en cause le dogme
libéral de la libéralisation. Comme le journaliste du
Temps Bernard Wuthrich le répète à chaque colonne:
«La libéralisation est nécessaire et
inévitable […] Le problème, c’est que, en Suisse, la
libéralisation du marché postal est une décision
politique plus complexe que dans l’UE, en raison des droits
populaires» 2 Et tous nos politiciens, socialistes
compris, de rêver de pouvoir contourner ces maudits droits
populaires qui entravent les belles logiques économiques et
ralentissent les nécessaires et inévitables
libéralisations… […]

Privatiser La Poste

Comme le dit le ministre socialiste Leuenberger, avec la
libéralisation du marché postal: «Il ne s’agit pas
seulement d’ouvrir le marché, mais aussi de transformer La Poste
en une société anonyme»3. La
libéralisation du marché postal va donc de pair avec la
privatisation du géant jaune et le démantèlement
des conditions de travail du personnel. En effet, la transformation de
La Poste en SA poursuit un but très clair: aligner les salaires
du personnel de La Poste sur celui des concurrents afin de
dégager le maximum de profits. Profits qui seront ensuite
entièrement «privatisés» puisqu’ils
reviendront non plus à la Confédération mais aux
actionnaires de l’entreprise.

La création de toute pièce d’un marché postal
concurrentiel pousse La Poste à maximiser l’exploitation de son
personnel et entraîne de facto une spirale de dumping salarial.
Les exemples à l’étranger de dumping salarial dans le
marché postal sont amenés à se produire en Suisse
également. Le gouvernement allemand a ainsi dû
décréter des salaires minimaux suite à
l’abaissement du monopole à 50 g. Il avait en effet suffi de
quelques concurrents détenant en tout une part de marché
inférieure à 10% pour voir apparaître des salaires
à moins de 6 euros de l’heure!

Accompagner les contre-réformes…

Les syndicats sont invités à participer à des
négociations en vue de trouver des solutions. Et nul doute que
les syndicats accepteront les solutions patronales. En effet, si le
Syndicat de la Communication a déjà annoncé qu’il
«luttera par tous les moyens syndicaux contre un
démantèlement des conditions de travail»3,
il n’a nullement affiché son intention de s’opposer à la
transformation en SA de Service House (Service House est une
unité de La Poste qui compte quelques 2450 employé-e-s et
qui s’occupe de l’entretien et du nettoyage des bâtiments de La
Poste).

En d’autres termes, le Syndicat de la Communication refuse de remettre
en cause la libéralisation de La Poste et les externalisations.
Il limite son rôle à celui de poser des emplâtres
sur des jambes de bois, à savoir négocier des CCT qui
seront petit à petit démantelées du fait
même de la lente privatisation acceptée par ce même
syndicat.

A regarder de près la conférence annuelle de l’Union
syndicale suisse (USS), on peut craindre qu’elle sera elle aussi
très réticente au lancement d’un référendum
le moment venu.

…ou s’opposer à la libéralisation du secteur ?

La demande faite par le Syndicat de la Communication et l’USS d’une
convention collective de travail obligatoire pour toute la branche, si
elle n’est pas accompagnée d’une lutte contre la
libéralisation du secteur, ne peut apparaître que comme un
cache-sexe de l’acceptation de la dégradation des conditions de
travail du personnel de La Poste. En effet, dans un contexte
libéralisé, la CCT de La Poste ne peut qu’être
péjorée!

Seule une opposition franche et marquée aux processus de
libéralisation peut garantir une défense efficace du
service public et améliorer les conditions de travail du
personnel. Il ne s’agit pas de garantir une libéralisation sous
contrôle, mais d’engager une bataille refusant l’idéologie
dominante, refusant les dogmes libéraux et tendant à
reconquérir les monopoles perdus afin de garantir à la
fois des conditions de travail saines pour le personnel et un service
public qui réponde enfin à nouveau aux besoins non des
client-e-s, mais de la population! Cette bataille devra entre autres
passer par la constitution d’un front référendaire contre
la prochaine loi sur la libéralisation du marché postal.

Joël Varone*


*Paru dans Lignes Rouges, le mensuel de la
Fédération de la gauche anticapitaliste n° 41, p.
février 2008. Titre, intertitres et coupures de notre
rédaction.

1     Tribune de Genève, 26 janvier 2008
2     Le Temps, 5 février 2008
3     Communiqué du Syndicat de la communication, 31 janvier 2008