Italie: « Une gauche qui fait ce qu’elle dit ! »

Italie: « Une gauche qui fait ce qu’elle dit ! »

Pour les élections italiennes
des 13 et 14 avril prochains, «Sinistra critica»
présente Franco Turigliatto au Sénat et Flavia
d’Angeli à la Chambre des Députés. Sous le
slogan «Une gauche qui fait ce qu’elle dit», ce
mouvement anticapitaliste, féministe et écologiste a
établi son programme sur des bases claires: une opposition
radicale et sans concessions «aux différentes droites,
mais aussi au Parti démocrate» de Walter Veltroni, et une
«transformation réelle des conditions de vie» qui
passe par un salaire minimum à 1300 euros. Ci-dessous, la
traduction d’une interview accordée par Flavia
d’Angeli à Elisa Ansaldo et Duilio Giammaria pour
«Uno Mattina», l’émission matinale phare de
Rai uno. *



Duilio Giammaria (DG): «La gauche qui fait ce qu’elle dit» est votre slogan. Alors que dit cette gauche?

Flavia D’Angeli (FA):
[…] Nous croyons que l’on peut faire un tournant à
180° dans la politique de ce pays, que l’on peut combattre la
précarité en abrogeant la loi qui a introduit le travail
sur appel [Loi dite 30 introduite en 2003, NDT]; que l’on peut
relever tous les salaires des travailleurs-euses de 300 euros en
touchant les profits et les rentes. Il suffirait d’aller chercher
l’argent là où il se trouve […]. Nous
pensons en outre que l’on peut relancer les dépenses
publiques pour l’école, l’université, la
santé, et plus généralement les services sociaux,
en réduisant de manière radicale les dépenses
militaires. […] Sous le gouvernement Prodi, avec la gauche
«arc-en-ciel» en son sein, le budget de la défense a
crû énormément. Nous devons choisir des
priorités différentes.

Elisa Ansaldo (EA): Mais
parlons un peu de politique politicienne. Si le centre gauche venait
à remporter les élections, le vote pour Sinistra critica
serait-il un vote utile? Ou pour le dire autrement, apporterez-vous
votre soutien au gouvernement Veltroni?

FA: Non, il s’agit
d’un vote utile pour une opposition conséquente non
seulement à Berlusconi mais aussi au Parti démocrate de
Veltroni. […] Nous resterons donc, comme nous l’avons fait
jusqu’ici, dans l’opposition. Nous ne croyons pas que
l’on puisse gouverner avec ce Parti démocrate qui
découvre la précarité au cours de sa campagne
électorale bien qu’il ait gouverné ce pays pendant
deux ans sans rien faire pour résoudre les problèmes des
gens.

EA: Mais
pourquoi n’êtes-vous pas entré dans le regroupement
de la gauche arc-en-ciel? Expliquez-nous les différences qui
existent entre vous.

FA: La première
différence est le bilan que l’on tire de l’action du
gouvernement Prodi jusqu’à aujourd’hui. Le
gouvernement Prodi a aussi été le gouvernement
Bertinotti, le «Prodinotti» comme l’appelaient les
journalistes. La gauche arc-en-ciel a demandé d’avaler des
couleuvres les unes après les autres, trahissant tous les
espoirs de celles et ceux qui avaient voté pour elle, au nom de
la sauvegarde des équilibres de la majorité, […]
vouant aussi sa propre action à l’inutilité. Cette
gauche aujourd’hui n’a pas rompu avec le Parti
démocrate; elle est un peu orpheline d’un accord que
Veltroni n’a pas voulu […].La gauche arc-en-ciel a dit
qu’on pouvait gouverner avec le Parti démocrate et
qu’elle était disposée à le faire à
nouveau, nous non.

DG: Il
paraît évident que vous vous présentez plus comme
un parti d’opposition que comme un de gouvernement. L’une
des questions fondamentales qui secoue le pays aujourd’hui est
celle de la relance du développement économique. Vous
proposez un salaire minimum de 1300 euros; vous allez donc bien
au-delà des prévisions les plus optimistes de Veltroni et
Berlusconi. Quelle est la recette économique à laquelle
vous pensez pour arriver à ce degré d’augmentation?
D’où peut venir cet argent?

FA: Comme je le disais
avant, cet argent vient d’un renversement des priorités.
Dans ce pays, au cours des dix dernières années, le
rapport entre les parts du travail salarié et du profit dans le
revenu national s’est inversé. Aujourd’hui, 60% de
la richesse nationale est pour le profit et 40% pour le travail
salarié. Il n’existe pas d’autres moyens que de
toucher aux gros profits et aux grosses rentes pour donner de
l’argent aux travailleurs/euses. Dans une situation où 20%
des familles italiennes sont en dessous du seuil de pauvreté, et
la majorité de la population dans l’impossibilité
de boucler ses fins de mois, la seule chose logique à faire est
d’augmenter les salaires. Je suis une précaire du domaine
de la formation; je gagne 800 euros par mois; si j’avais une
hypothèque sur ma maison, et heureusement je n’en ai pas,
je ne pourrais simplement pas me permettre de faire mes courses.

EA: Il y a un point très
clair dans votre programme qui concerne la laïcité; un vent
de laïcité souffle de plus en plus fort de l’Espagne
jusqu’à nous: «Assez des ingérences du
Vatican», «autodétermination pleine et
entière des femmes», «libre choix des orientations
sexuelles» et quoi d’autres?

FA: Je pense que pour le moment
ça suffirait. Le problème c’est que tout cela
n’est pas une réalité dans ce pays.

EA: Je pensais en particulier à la loi 194, qui garantit le droit à l’avortement…

FA: Bien sûr, nous
défendons sans condition la loi 194. Ceux qui, aujourd’hui
– et il s’agit en majorité d’hommes -, se permettent
de discuter le droit des femmes à être mère et
à choisir quand, pourquoi et comment, poursuivant une attaque
sans précédent contre un principe de liberté
élémentaire, et de défense de la santé des
femmes. […] Nous pensons que dans ce pays, il y a un
problème évident d’ingérence de la
hiérarchie vaticane dans la politique du gouvernement. Personne
ne met en discussion le droit du Pape de parler de foi, de dogme, et de
parler aux croyant-e-s; ce qu’il ne peut pas faire en revanche
c’est discuter des lois d’un Etat souverain et laïc
qui devrait défendre et protéger tous les citoyens et
toutes les citoyennes au-delà de leur foi religieuse.

DG: Vous vous présentez sous le logo de la faucille et du marteau? Quel est votre modèle?

FA: Oui, nous avons
décidé de garder ce sigle, non par fétichisme,
mais parce qu’il symbolise le travail, et pour que la lutte des
salarié-e-s ne soit pas à nouveau sacrifiée
à un énième tournant à droite.Quant
à notre modèle, nous n’en avons pas, à part
peut-être celui de la gauche alternative française qui a
remporté entre 5 et 10% des voix aux dernières
élections municipales. […]


*Transcription et traduction de cette interview par Stéfanie Prezioso