A Lire pour... Mieux comprendre 68

A Lire pour… Mieux comprendre 68

Le
68 français fait l’objet cette année de quelques ouvrages de recherche
et de témoignage fort intéressants. Nous en avons repéré quatre qui
partagent une même ambition: refuser le dilettantisme et le cynisme de
croque-morts de ceux qui se ruent sur les commémorations décennales de
Mai… et ceci depuis 1978. Le discours de Bercy de Nicolas Sarkozy, le
29 avril 2007, en aura sans doute convaincu plus d’un-e de descendre
dans l’arène pour ne pas laisser calomnier cet héritage qui est aussi
le nôtre…

Commençons par le témoignage d’Alain Geismar,
ancien Président de l’UNEF, qui évoque modestement Mon Mai (Perrin,
2008) comme l’irruption «d’une autre vie, un moment, aperçue et
traversée», que les militant-e-s de son cru nommaient «Révolution». Il
rappelle l’importance de l’insubordination ouvrière des années 1970-71,
lorsqu’un patron français était séquestré chaque jour… Il admet certes
que l’esprit de Mai a été depuis «digéré et métabolisé par le corps
social», jusqu’à marquer ses plus irréductibles adversaires…
«Imagine-t-on qu’en 1965, assène-t-il, aurait pu être porté à la
magistrature suprême un enfant d’immigrés, fils de parents séparés, qui
divorcerait juste après son élection pour derechef se remarier?». Il en
rend largement responsable la social-démocratie, pour avoir abandonné
le terrain de l’alternative à «une extrême-gauche sans responsabilité
de gestion»… Le diagnostic paraît cependant sans issue, dans la mesure
où il ne voit pas se développer sous nos yeux la logique d’un nouveau
capitalisme, véritablement étranger à tout compromis.

Au
chapitre des recherches, on distinguera tout particulièrement trois
gros livres. Le plus volumineux est un effort de réflexion militant:
sous la direction d’Antoine Artous, de Didier Epsztajn et de Patrick
Silberstein, La France des années 68 (Syllepse, 2008, 901 p., 30 €),
donne la parole à celles et ceux qui continuent à donner vie au
quotidien, par la pensée et l’action, à l’élan de Mai. La table des
matières se décline alphabétiquement: on y croise des thèmes généraux,
des groupes sociaux, des pays, des événements, des personnalités, des
organisations, des courants artistiques et culturels, etc. Une
importante chronologie, de même que des index thématiques et des noms
cités complètent encore l’effort d’organisation. Une référence
incontournable.

Second par la taille, un ouvrage d’historiens,
dirigé par Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel, prend le
parti de l’histoire longue et plurielle: 68, Une histoire collective
(1962-1981) (La Découverte, 2008, 847 p. 28 €). Il comprend quatre
parties: tout d’abord, «1962-1968: Le Champ des possibles», puis
«Mai-Juin 1968: L’épicentre», ensuite «1968-1974: Changer le monde et
changer la vie», enfin «1974-1981: Le début de la fin». Chaque partie
égrène une succession identique de chapitres: d’abord une mise en récit
de la période, puis un film phare, enfin des objets emblématiques (le
transistor, la matraque, la pilule, la 4L, etc.), des nouvelles
d’ailleurs, des lieux dans l’espace, des acteurs remarquables et des
réflexions de traverse, écrits par de nombreuses mains. Un travers
inévitable, cependant: l’émiettement du propos et l’image
kaléidoscopique qui s’en dégage.

La troisième étude collective
est d’ambition sociologique et politologique, c’est le Mai-Juin 68
dirigé par Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et
Bernard Pudal (L’Atelier, 2008, 445 p., 27 €). De façon assez
classique, elle s’intéresse d’abord au temps long, aux origines de 68,
en interrogeant les modalités de la crise de la vie privée, des
institutions, des systèmes politiques et des idées en France, depuis
1945. Ensuite, elle tente d’approcher le temps court de mai-juin 1968
dans sa double réalité étudiante et ouvrière, ainsi que ses expressions
particulières dans les divers domaines de la culture, de
l’apprentissage et des idées. Enfin, elle s’arrête sur quelques
portraits, pour l’essentiel de groupe, des années 1968-1975, des
mouvements gauchistes aux «soixante-huitards ordinaires», des ouvriers
aux nouveaux paysans de gauche, des journalistes aux pédagogues en
rupture, des associations féministes à un artisan sulfureux de
l’écriture comme Tony Duvert. Comme on le voit, l’ambition et
l’ouverture focale de ces multiples approches sont fort contrastées. Il
s’en dégage pourtant un effort constant de relire 68 comme «une
aspiration toujours vive [à] prendre la parole et transformer sa vie
hors des limites assignées par les pouvoirs».