Disco’s not dead (?)

Disco’s not dead (?)

Dans l’excellent livre Rip It Up and Start Again de Simon Reynolds1, on trouve relatée une petite anecdote à méditer : Michael Zilkha, cofondateur du label ZE Records, fan du mouvement No-Wave2, mais également de folles soirées au Paradise Garage3,
ce qui était alors plutôt étrange (rendez-vous
compte qu’à l’époque le disco était
considéré comme une musique purement commerciale
destinée à des foules abruties!), vint un jour trouver
James Chance, figure centrale de la No-Wave, et lui demanda de faire un disque, comme il voulait, mais un disque disco.

Cette proposition déboucha sur l’album Off White de James White & the Blacks, adaptation disco de l’album Buy des Contorsions, et donna naissance au «Mutant Disco»,
qui ouvrit un immense champ d’investigation sous un mot
d’ordre fondateur: faire danser, mais intelligemment. Et qui a
sorti des disques sur ZE Records, et produit le premier album de Cristina, épouse de Zilkha? Un certain August Darnell aka Kid Creole.

Toute la musique du monde

L’excellent label Strut vient de sortir une compilation4
qui regroupe différents projets musicaux sur lesquels Kid Creole
a travaillé, en tant qu’auteur-compositeur et/ou en tant
que producteur, et ce durant la période bénie 1976 -1983.
J’imagine que pour beaucoup, Kid Creole et ses fameuses Coconuts
rappellent plutôt une soirée de mariage, à cause de
leur tube disco-salsa de 1982 Annie, I’m not your dady
(qu’il faut d’ailleurs réécouter dans un
cadre un peu plus serein). On pourrait rassurer en disant que cette
compilation n’est pas un «best of» de plus de Kid
Creole & the Coconuts, mais plutôt un hommage au Kid et
à son éclectisme musical.

Né, selon lui, dans le Bronx en 1950, August Darnell (Thomas
Browder de son vrai nom) raconte que ce quartier était à
l’époque habité par des gens originaires du monde
entier et qu’on ne pouvait donc pas, à moins
d’être sourd volontaire, ne pas entendre cette fabuleuse
diversité qui sortait de chaque appartement. C’est ainsi
que lorsqu’il commence sa carrière (au sein du Dr
Buzzard’s Original Savannah Band, 1974) il intègre swing,
jazz, salsa, calypso, funk, rock, pop… à une base
orientée disco.

Cette formule, il va la décliner dans tous les projets auxquels
il participe. Et il y en a pas mal: de la production pour les Aural
Exciters (formés notamment de James Chance et Lizzy Mercier
Descloux5) au Don Armando’s Second Avenue Rhumba Band (dont les
deux seuls morceaux6 on fait bouger pas mal de popotins). A
noter que les textes sont souvent très drôles, mais
à prendre avec beaucoup de second degré (mention
spéciale à Is That All There Is7).
On sent qu’il y avait une volonté farouche
d’injecter de la bonne humeur dans une scène musicale
plutôt nihiliste, et qu’August Darnell est peut-être
celui qui est allé le plus loin dans cet assemblage de musiques,
et ce, sans choisir la facilité.

Le retour des hippies

Aujourd’hui, après 30 ans de recompositions autour de cette
dualité
«innovation»/«dansabilité», notamment de
développement des «musiques électroniques»,
on pourrait déceler une tendance qui interroge. Alors que ces
quelques dernières années, le disco sous toutes ses
formes (mutant-, italo-, space-) a grandement inspiré bon nombre
de groupes, pour le pire (Justice, Calvin Harris) et le meilleur (!!!, The Emperor Machine, Chromatics),
certains ont fait, sur cette base, un pas de plus en arrière et
sont allés puiser dans tout un tas de musiques issues et
influencées par le mouvement… hippie.

Quiet Village est un duo anglais formé notamment de Matthew
Edwards, producteur de techno-house, pas toujours la plus accessible.
Figurez-vous que sur leur premier album8, les
références sont les suivantes: prog-rock, musique de
films de série B italiens, notamment le groupe Goblin
(compositeurs des B.O. des films de Dario Argento), Ennio Morricone et
la soul américaine. Pour le groupe français Zombie
Zombie, ça serait plutôt le krautrock (Can, Neu!), John
Carpenter, Vangelis et surtout les Silver Apples9 qui s’entendent sur leur premier album.10
Ces deux disques nous accompagnent opportunément dans un trip
psychédélique, lors de la phase ascendante pour Silent
Movie et descendante pour les A Land for Renegades.

A la limite, on pourrait dire que si ces disques étaient sortis
à l’époque, les dénicher aujourd’hui
aurait été une très bonne trouvaille, même
si leur musique est expurgée des tics et excès de
l’époque (solos de guitare, cris, ce genre). Mais si ces albums
ne sont pas dansants (surtout pas le Quiet Village) et pas très
novateurs, ils sont plutôt bons et surtout le reflet de
l’époque qui les a vu naître. Est-ce que ça
voudrait dire qu’on se situe plutôt dans une période de
petites fêtes en appartement où on discute plutôt
que de rassemblements de masse où on agit? En tout cas, la
vision de Michael Zilkha d’une avant-garde joyeuse prend un coup
dans les jambes.

Niels Wehrspann


1     Rip It Up and Start Again: Postpunk 1978–1984, Editions Allia, 2007
2     Mouvement musical issu du punk new-yorkais de la
fin des années 70, parfois intellectuel, parfois bruitiste, qui
cherchait à faire exploser le format habituel de la pop.
3     Club mythique new-yorkais (1978-1987), où
officiait Larry Levan, l’un des plus talentueux DJ disco.
4     Kid Creole – The August Darnell Sessions, Strut/! K7/PIAS, 2008
5     Musicienne, chanteuse, artiste, actrice
fançaise émigrée à New York, icône de
la scène No Wave (sous le pseudo de Rosa Yemen), et petite amie
de Michel Esteban, l’autre co-fondateur de ZE.
Décédée en 2004.
6     L’un (I’m an Indian Too) est présent sur le disque.
7     «I remember when I was a little girl, my
mother set the house on fire (she was like that) […] and I stood
there […] and watched the whole world go up in flames […]
and I said to myself “Is that all there is to a
fire?”»
8     Quiet Village, Silent Movie, !K7/PIAS, 2008
9     Zombie Zombie, A Land for Renegades, Versatile, 2008
10     Duo de rock psychédélique
new-yorkais formé en 1967. Ils sont parmi les premiers à
utiliser des synthétiseurs.