Hommage à Rachid Taha
Hommage à Rachid Taha : «Écoute-moi camarade»
L’artiste est décédé le 12 septembre des suites d’une crise cardiaque, à l’âge de 59 ans. Hommage à l’homme qui a ouvert la voie (et la voix) à toute une génération issue de l’immigration (post)coloniale.
Kmeron
«J’suis l’gadjo, l’étranger, le stranger étranglé, le goy, le gaouri, l’outsider, l’apache. Le STF, sans territoire fixe, le shérif me fixe».
On peut résumer les positionnements de Rachid Taha dans ces vers. Né en Algérie, encore sous domination française, Rachid Taha migre en France à l’âge de 10 ans. Il n’échappe pas à l’assignation des immigré·e·s maghrébin·e·s au travail en usine et à leur surreprésentation dans les métiers peu qualifiés. Premier signe de sa ténacité, il devient syndicaliste, mais interrompt ce parcours assez rapidement: «ça m’emmerde».
Dans le même temps, au début des années 1980, il rencontre Mohammed Amini, avec qui il formera (avec d’autres) le groupe Carte de Séjour. Le nom du groupe est en lui-même une prise de position politique, dans le contexte des lois Stoléru et Bonnet, qui visaient à diviser par deux la présence des étranger·e·s en France, en renvoyant notamment les immigré·e·s maghrébin·e·s, les Algérien·ne·s en particulier, et à faciliter les conditions d’expulsion. Un engagement qui se poursuit par leur genre musical, mêlant rock-punk et inspirations qualifiées d’orientales par une presse qui n’envisage pas que les musiques du Maghreb puissent être diverses et dynamiques. En mettant ces influences sur le même plan, et en refusant de considérer le raï et le chaâbi comme du folklore, Rachid Taha lutte contre la perception raciste des maghrébin·e·s et de leur patrimoine culturel.
«SOS Baleines, c’est pour sauver les baleines; SOS Racisme, c’est pour sauver le racisme»
Toute sa vie, le musicien n’aura cessé de s’opposer au racisme et aux discriminations, qu’elles soient explicitement politiques comme les lois favorisant «le retour au pays», ou qu’elles se manifestent par l’essentialisation des personnes issues de l’immigration (post)coloniale. En témoigne sa critique de la récupération de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 par le Parti Socialiste et SOS Racisme.
Dans un contexte où, selon les mots du sociologue Abdelmalek Sayad, l’immigré est «l’OS [ouvrier spécialisé] à vie», le refus de cette assignation et le choix de se consacrer à la musique est un acte éminemment politique. Ceci d’autant plus qu’il le fait en refusant à la fois de renier son identité algérienne et d’y être réduit. Celui qui se désignait comme un outsider a ainsi permis à toute une génération d’affirmer son droit de cité en France, et d’exister dans une société qui la réduit à une partie de son identité. Pour cela, merci camarade!
Anouk Essyad
Liste de titres à écouter sur notre site
- sa reprise de Ya Rayah (version originale de Dahmane El Harrachi), par laquelle il rend universelle l’expérience amère de l’exil: https://www.youtube.com/watch?v=uUDKfK3R42Q
- Rock el casbah, comme réponse à l’orientalisme de la chanson des Clash https://www.youtube.com/watch?v=A5wVZ-W3dNw
- la reprise de Douce France de Charles Trénet, qui prend un sens différent lorsqu’elle est réinterprétée par Carte de Séjour: https://www.youtube.com/watch?v=BRwpjFW82G8
- Voilà Voilà (que ça recommence), malheureusement encore et toujours d’actualité: https://www.youtube.com/watch?v=A6WIbvwcVUg
- sa reprise de Hebina, du grand musicien syro-égyptien Farid El Atrache https://www.youtube.com/watch?v=xUBzThsuXKA