Psychiatrie, du ghetto asilaire à la politique de secteur


Du ghetto asilaire
à la politique de secteur


Suite à l’augmentation massive des hospitalisations psychiatriques à la fin des années nonantes, le Conseil d’Etat a mandaté une commision d’experts en avril 1999 pour analyser cette augmentation et proposer des changements structurels en psychiatrie.
Sur la base des propositions de cette commission, un accord a été conclu en juin 2000 entre la direction médicale des HUG et les syndicats pour la mise en place de la réforme.
Un groupe paritaire assure le suivi des travaux des différents groupes de travail institués par le comité de pilotage
Alors que les groupes terminaient leurs travaux à la fin avril 2001, la direction médicale en psychiatrie avait déjà institué une nouvelle organisation des soins sur la base d’unités de soin par pathologie, remettant en cause la politique de secteur voulue par la commission d’experts, entérinée par l’accord paritaire et par le Conseil d’Etat. Ce dernier a récemment pris fortement position contre les unités par pathologie. Le Forum Santé a décidé de rendre publique sa critique de cette nouvelle orientation des soins lors d’une conférence de presse. Ci-contre la prise de position du Forum Santé sur la réforme en psychiatrie.
(gg)


Après les premières expériences de psychiatrie extra-hospitalière en Europe au début du siècle, le développement de la médecine sociale du Front populaire et la psychiatrie par petite région en Catalogne sous la république espagnole, la politique de secteur a été mise en place en France après la 2e Guerre Mondiale. Issue de la conjonction du courant de psychothérapie institutionnelle, en particulier de St Alban en Lozère pendant la Résistance, la psychiatrie de secteur est entérinée par l’administration nationale française dès 1960.La politique de secteur est donc à la fois «géopsychiatrie», à la recherche de la désaliénation hors du ghetto asilaire hérité du XIXe siècle vers la réinsertion dans le milieu de vie géographique des patients, mais aussi un découpage administratif, voire bureaucratique et technocratique, cherchant par exemple à «optimiser» le nombre de lits hospitaliers par habitants. Elle donne également lieu à la critique du quadrillage psychosocial.


A Genève, dans les années septante, après le développement des structures de soins ambulatoires et de la pluridisciplinarité, la politique de secteur a consisté à mettre en lien géographique l’intra et l’extra-hospitalier, et à assurer la continuité des soins en confiant la responsabilité d’un secteur à un seul médecin-chef, avec une relative mobilité du personnel dans le secteur. Cette politique privilégie le lieu de vie du patient dans la communauté et décloisonne le fonctionnement hospitalier, jusqu’alors coupé des soins ambulatoires. Elle atteint ses limites lorsque le patient change de secteur géographique, donc d’équipe soignante.En Italie, avec la loi imposant la fermeture des hôpitaux psychiatriques, les «manicomi», et en France, avec le rapport Roelandt et Piel au ministère de la Solidarité d’avril 2001, cette politique se prolonge par la disparition des entités hospitalières asilaires, remplacées par de petites structures hospitalières décentralisées dans la communauté.C’est la politique voulue par la commission d’experts. Ce choix privilégie les soins orientés vers la communauté de vie du patient et dans son réseau social, avec l’idée de mieux mettre en valeur les ressources du milieu entourant le patient. Elle implique des moyens adaptés à ces choix.


Du secteur à l’organisation des structures de soins par pathologie?


Les connaissances actuelles en psychiatrie sont encore très limitées et la classification des troubles psychiques repose sur un découpage par groupe de symptômes et de troubles de la personnalité, sans être une classification de maladies clairement identifiées. D’autre part, au cours d’une vie, un patient peut présenter des troubles différents, et plusieurs symptômes peuvent coexister (une dépression et des troubles anxieux, un trouble de la personnalité et des états psychotiques).Or structurer les soins par pathologie implique de privilégier un symptôme, un syndrome ou un trouble de la personnalité, démarche qui comporte le risque d’une approche réductrice du patient. D’autre part, selon cette logique, cela reviendrait, pour les soins généraux, à organiser les unités en regroupant, par exemple, les patients migraineux, les obèses ou les hypertendus. Certes, le regroupement des patients par symptômes ou syndrome dans un même pavillon ou une même unité de soins peut faciliter le travail clinique avec des groupes de patients homogènes, traités par des programmes de soins standards. Cela facilite surtout la recherche, en particulier pour l’étude des médicaments avec des cohortes de patients déjà organisées.


Pour le Forum Santé, les inconvénients majeurs de cette organisation des soins sont les suivants:



  • Cette politique stigmatise les patients, identifiés au diagnostic de leurs troubles (schizophrènes, dépressifs, bi-polaires, etc) et renforce le poids du symptôme auquel le patient peut paradoxalement chercher à s’identifier. En effet, certains patients et leur famille sont rassurés par l’appartenance à un groupe clairement identifié, comme si leur trouble correspondait à une maladie connue et reconnue. L’exemple des patients dits «bi-polaires», ayant fondé leur propre association, illustre ce phénomène.
  • Ce nouveau découpage hospitalier renforce l’hospitalo-centrisme, en relativisant l’articulation avec les structures de soins extra hospitalières. Soit les services ambulatoires sont également organisés par pathologie, soit ce choix hospitalier entraîne une nouvelle coupure entre les structures intra et extra-hospitalières.
  • La spécialisation de la plus grande partie du personnel dans des unités de soins par pathologie risque d’amener une réduction du personnel soignant généraliste, y compris du personnel médical. La formation des médecins peut devenir problématique, si leur cursus est limité à des années passées dans ces unités spécialisées. A moins que l’on ne s’oriente vers une spécialisation accrue en psychiatrie, par pathologie. Il y aura alors en ville, des psychiatres, des psychologues et des infirmiers spécialistes des troubles bi-polaires, de la schizophrénie et «border-line» au détriment d’une approche généraliste ou de thérapeutes formés selon les modèles psychodynamiques, cognitivo-comportementaux ou systémiques.
  • L’approche d’un seul type de pathologie engendre à la longue une lassitude voir un désinvestissement du personnel, par exemple pour la maladie d’Alzheimer ou certains troubles chroniques.
  • L’amalgame existant actuellement entre les programmes spécifiques de soins et les unités de soins sème la confusion. Des programmes de soins transversaux, spécialisés en fonction des troubles présentés par les patients peuvent être utiles. Ils doivent être conçus de manière évolutive, avec des procédures d’évaluation. Le personnel spécialisé doit jouer le rôle de consultant, sur le modèle d’autres départements, comme par exemple pour les infections HIV en médecine.
  • Pour les patients qui n’ont pas le profil adapté à un programme type, le risque d’une psychiatrie à deux vitesses peut alors se préciser, avec des qualités de soins et d’encadrement à géométrie variable si la priorité est accordée aux programmes spécialisés plutôt qu’au plan de soins adaptés au patient.
  • Le regroupement dans une seule et même structure de soins de patients présentant les mêmes troubles psychiques rompt de fait le secret médical en rendant public le diagnostic.
  • Enfin, les phénomènes de groupes nous ont appris que la présence dans un même et seul lieu de soins de troubles identiques pouvait contribuer à renforcer ces mêmes troubles, à les exacerber, parfois dans des processus de surenchère entre patients soit pour capter l’attention du personnel, soit dans la quête d’une affirmation d’identité

Pour ces diverses raisons, il nous semble indispensable de renoncer à une organisation des unités de soins par pathologie.