Loi sur Uni: entre corporatisme et ultra-libéralisme
Loi sur lUniversité : entre corporatisme et ultra-libéralisme
Le 24 avril, la Commission de lEnseignement Supérieur du Grand Conseil genevois a mis en consultation un projet de loi modifiant la loi sur lUniversité. La CUAE*, ainsi que les organes de lUniversité, a été consultée sur ce projet et a décidé de réagir, en élaborant en collaboration avec le groupe étudiant du Conseil de lUniversité, un contre-projet.
Ce document a été transmis le 15 mai à la Commission de lEnseignement Supérieur du Grand Conseil1.
La convention dobjectifs
Le but premier du projet de loi est lintroduction de la convention dobjectifs (aussi connue sous le nom de contrat de prestation) dans la loi sur lUniversité. Ce document règle les relations entre lEtat et lUniversité sur un mode contractuel: chaque prestation (enseignement, recherche, ouverture sur la cité, mobilité étudiante, jen passe et des meilleures) est évaluée à laide dindicateurs numériques et lévaluation est déterminante dans la reconduction de lenveloppe budgétaire. Le projet de loi prévoit que cette convention serait négociée par le rectorat et le département de linstruction publique. Le Conseil Académique dont plus de la moitié des membres sont choisis par le Département approuverait le projet en fin de course. On voit dici arriver la désormais trop célèbre boutade du recteur de lUni de Lausanne: «pendant la négociation cest trop tôt pour discuter et après, eh bien, cest trop tard»!
La convention dobjectifs est un formidable moyen de contrainte sur ceux qui travaillent à lUniversité. Les établissements denseignement supérieur (Uni, HES, EPF, etc.) sont aujourdhui un enjeu politique majeur, en raison de leurs budgets et des emplois générés, et parce quils sont des lieux de création et dinvention de savoir ou les instruments de la concentration de ce dernier pour le profit de quelques privilégiés. Au-jour-dhui, la tendance politique en Suisse comme en Europe est à la restriction de laccès aux formations supérieures et à la sélection par largent: DEA, DES, formations continues aux prix prohibitifs; taxes universitaires; création de filière prestigieuses; etc. Ce processus est accéléré et justifié par lemploi systématiques dévaluation quantitatives pour rendre compte des activités des établissements denseignement. En effet, lévaluation quantitative sert avant tout à obliger les institutions à faire plus avec moins de moyens. Or, la convention dobjectifs sert précisément à régler de manière contractuelle et dans le cadre dune négociation privée entre recteur et DIP les modèles dévaluation des activités de lUni. Refuser lidée même dune convention dobjectifs revenait à engager une lutte perdue davance, malgré les réticences des seul-e-s député-e-s de lADG, qui risquait de poser la CUAE en défenseur de la gestion opaque de linstitution telle que pratiquée par les derniers rectorats. Nous avons donc imaginé une solution alternative entre la position ultra-libérale tenue par la Commission et la position corporatiste que na pas manqué de manifester le corps professoral. Cette alternative passe par une réforme radicale du système participatif de lUniversité. En effet, soumettre une convention dobjectifs à lapprobation dun conseil délibératif, tel que proposé dans notre contre-projet, permet de faire des modèles dévaluation lenjeu dun débat au cours duquel tous les acteurs concernés (rectorat, DIP, parlement et chacun des corps de lUni) peuvent faire entendre leur voix.
Conseil unique
Le projet que nous avons envoyé à la Commission de lEnseignement prévoit le regroupement du Conseil Académique et du Conseil de lUniversité ainsi que létablissement dune représentation égalitaire des corps au sein de ce conseil unique. En outre, pour remplacer les membres de la cité du CA actuellement désignés par le Département, nous proposons que des délégués choisis par les partis politiques représentés au Grand Conseil soient membres du Conseil délibératif. Ces trois modifications importantes visent à assurer la légitimité du Conseil à lintérieur de linstitution en mettant fin à la domination écrasante du corps professoral dans les conseils délibératifs la représentation égalitaire des corps sappliquerait par cascade aux conseils de faculté et autres et à créer un dialogue entre lexécutif, le législatif et le conseil délibératif de lUniversité. Ainsi, un véritable contre pouvoir serait opposé au rectorat dune part, et au Département de lInstruction Publique dautre part.
Elaboration de la convention dobjectifs
Le conseil unique se alors attribuer la prérogative dapprouver le projet de convention dobjectifs. Nous avons souhaité aller plus loin dans le sens dune véritable participation en proposant la constitution dune commission délaboration de la convention réunissant des personnes désignées respectivement par le rectorat et par le conseil. Ainsi, le conseil, et donc lensemble des corps de lUni, serait associé à la préparation de la convention et tenu informé des négociations entre le rectorat et le département.
Procédure de nomination des membres du corps professoral
Dans le cadre dune plus grande participation, nous intégrons à notre projet le principe de la participation avec voix délibérative des corps aux procédures de nomination des membres du corps professoral. Dans notre projet, ce sont les conseils de faculté qui créent les commissions de nomination et non plus les collèges des professeurs comme cest le cas actuellement. Pour autant, sil le souhaite, chaque corps peut envoyer des délégués quil désigne lors dune assemblée générale et qui disposent dune voix délibérative au sein de la commission. Ce contre-projet a donc été soumis aux députés membres de la Commission de lenseignement supérieur et à lheure où nous rédigeons cet article, nous navons encore enregistré aucune réaction de leur part. Au sein de lUniversité par contre, les oppositions sont vives tant face au projet des députés que face à notre document. Cest que, pour une large partie du corps professoral, le statu quo est la meilleure solution: lexistence dorganes participatifs aux attributions floues et à la légitimité mal assurée permet à chacun de régner, selon son ambition, qui sur son unité, qui sur son département, qui sur son institut ou sur ses projets de recherche.
Pour finir, nous proposons un double contrôle sur les activités de lUniversité: interne dune part en renforçant les organes délibératifs; externe dautre part en intégrant des représentants du pouvoir législatif dans le conseil de lUniversité. Là où tout le monde saccorde pour réclamer une Université réellement autonome et plus participative, notre projet a le mérite denvisager concrètement ces deux notions trop floues. Pour nous, la participation nexiste que si lon considère chaque corps comme digne dêtre associé de plein droit aux décisions. Lautonomie scientifique de lUniversité quant à elle nest nullement mise en cause par la participation de représentants du pouvoir législatif aux décisions prises par le Conseil. Nous pensons, au contraire, quun lien fort avec le pouvoir politique est lassurance que lUniversité restera intégralement un établissement public. La modification à venir de la loi sur lUniversité est loccasion de débattre de lavenir de linstitution à long terme, nous invitons donc tous les acteurs concernés, partis politiques, députés, membres de la communauté universitaire, à sengager dans la discussion en proposant non pas des solutions de compromis établies à la petite semaine, mais, comme nous, des projets forts qui sappuient sur une vision politique de la formation supérieure.
*CUAE confé-rence Universitaire des Associations dEtudiant-e-s
- Le contre projet et le projet de loi sont disponibles à la CUAE. Nous ne donnerons ici quun aperçu du contenu des deux documents.