Fête nationale américaine, ce 4 juillet est à vous, il n'est pas à moi


Fête nationale américaine:
«Ce 4 juillet est à vous, il n’est pas à moi!»


En 1852, Frederick Douglass (1818-1895), l’un des principaux leaders noirs du mouvement anti-esclavagiste aux Etats-Unis, invité par la Société féminine abolitionniste de Rochester, appelait a boycotter les festivités du 4 juillet. Remplacez «esclave» par «Afro-américain» et son discours pourrait pratiquement être prononcé aujourd’hui.
Brillant orateur, il a été l’un des pionniers de la lutte pour les droits civiques. En 1848, il prenait part à la première convention pour les droits des femmes, à Seneca, donnant l’un des premiers exemples de rencontre entre le combat des Noirs et celui des femmes pour leurs droits politiques.

Jean Batou

«Ils préféraient la révolution à la soumission…»


(…) Vos pères ne partageaient pas les conceptions actuelles sur l’infaillibilité du gouvernement et la valeur absolue de ses actes (…) Dans leur passion, ils allaient jusqu’à déclarer les mesures du gouvernement injustes, déraisonnables et oppressives, à tel point qu’elles ne méritaient pas qu’on s’y soumette tranquillement. (…) Dire aujour-d’hui que l’Amé-rique avait raison et que l’Angleterre avait tort est extrêmement facile. Tout le monde peut le dire (…) Mais fut un temps où se prononcer contre l’Angleterre et en faveur des colonies mettait à l’épreuve l’âme des hommes. Ceux qui le faisaient étaient considérés alors comme des comploteurs de mauvais aloi, des agitateurs et des rebelles, des hommes dangereux. Etre du côté du juste contre le faux, avec le faible contre le fort, avec l’opprimé contre l’oppresseur, là réside le mérite; plus que tout autre, il n’est plus au goût du jour actuellement. La cause de la liberté peut bien être poignardée par ceux qui encensent l’action de vos pères. (…) C’étaient des hommes épris de paix, mais ils préféraient la révolution à la soumission passive à l’esclavage. Ils étaient des hommes tranquilles, mais ils ne s’abstenaient pas d’agiter contre l’oppression. Ils montraient de l’indulgence, mais ils en connaissaient les limites. Ils cro-yaient à l’ordre, mais non à l’ordre de la tyrannie. Avec eux, rein n’était établi qui ne soit pas juste. Avec eux, la justice, la liberté et l’humanité étaient le but, non l’esclavage et l’oppression. Vous avez raison de chérir la mémoire de tels hommes. Ils étaient grands dans leur temps et leur génération. Leur force de caractère est d’autant plus impressionnante quand on la considère depuis notre époque dégénérée.


«Vous pouvez vous réjouir, je ne peux que porter le deuil»


Je ne suis pas parmi les convives de ce glorieux anniversaire! Votre fameuse indépendance révèle seulement la distance incommensurable qui nous sépare. Les bienfaits dont vous vous réjouissez ces jours, nous n’en jouissons pas en commun. Le riche héritage de justice, de liberté, de prospérité et d’indépendance, transmis par vos pères, il est partagé par vous, pas par moi. La lumière du soleil qui vus apporte la vie et le réconfort, il m’a apporté les coups de fouet et la mort. Ce 4 juillet est à vous, il n’est pas à moi. Vous pouvez vous réjouir, je ne peux que porter le deuil. Citoyens! Pardonnez-moi et permettez-moi de demander pourquoi on m’a demandé de parler ici aujour-d’hui? Qu’avons-nous à voir, ceux que je représente et moi-même, avec l’Indépendance Nationale? Les grands principes de liberté politique et de justice naturelle, contenus dans la Déclaration d’Indépendance, nous sont-ils destinés? Suis-je donc appelé à amener notre humble contribution à la fierté nationale en confessant les avantages – et en exprimant notre profonde reconnaissance pour les faveurs – que l’Indépendance nous a apportés? (…)


«Il n’y a pas de nation sur terre coupable de pratiques plus choquantes et sanguinaires que le peuple des Etats-Unis en ce moment précis»


Que représente votre 4 juillet pour l’esclave américain? Je vous réponds: un jour qui lui révèle plus que tout autre dans l’année l’immense injustice et la cruauté dont il est la constante victime, Pour lui, votre célébration est une honte; votre liberté tant vantée n’est que vice; votre grandeur nationale, une vanité ampoulée; vos cris de réjouissance sont vides et sans cœur; votre dénonciation des tyrans, de l’impudence effrontée; vos cris de libertéé et d’égalité, de l’humour noir; vos prières et vos hymnes, vos sermons et actions de grâce, avec votre solennité et cérémonial religieux, ne sont pour lui que simple vanitéé, fraude, tromperie, impiété et hypocrisie – un mince voile pour dissimuler les crimes d’une nation de sauvages. Il n’y a pas de nation sur terre coupable de pratiques plus choquantes et sanguinaires que le peuple des Etats-Unis en ce moment précis. Allez chercher où vous voulez, dans tous les despotismes et monarchies du Vieux monde, allez en Amé-rique du Sud, enquêter sur tous les abus, et lorsque vous aurez trouvé le pire d’entre eux, comparez-le avec les pratiques quotidiennes de cette nation, et vous direz avec moi que l’Américain est le roi sans rival de la barbarie révoltante et de l’hypocrisie sans scrupule…

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