LME : il y a de l'eau dans le gaz !


LME: il y a de l’eau dans le gaz !


La présidente du PSS temporise, le Conseil fédéral aux ordres du patronat aussi… Le rouleau compresseur de la libéralisation électrique programmée a des ratés…

Pierre Vanek

Lors de l’assemblée de délégué-e-s du PSS, samedi 23 juin à Lucerne, Christiane Brunner, présidente du parti s’est exprimée à propos de la LME. Se félicitant du résultat du 10 juin en faveur de l’armée, et évoquant les «divisions du parti socialiste» elle a dit: «Ce phénomène de minorité et de majorité au sein de notre parti va nécessairement se reproduire sur d’autres objets importants, notamment à propos de la loi sur le marché de l’électricité.


Sans anticiper la décision de notre assemblée de délégués-es et quelle qu’elle soit, nous aurons une minorité, qui aura également de bons arguments pour défendre son point de vue et qui aura le droit de l’exprimer. Car, sur cet objet, plusieurs lectures de la situation sont possibles, diverses interprétations des effets attendus de la loi sont possibles et, finalement, les développements futurs du marché de l’électricité en Suisse et en Europe ne se laissent que difficilement anticiper.


Il n’y a donc pas des bons et des mauvais socialistes. […] Cessons donc de nous laisser entraîner dans des confrontations stériles entre prétendus modernistes et soi-disant ringards, entre blairistes et socialistes de gauche, entre socialistes-libéraux et je ne sais quels tenants d’un ‘vrai’ socialisme qui n’a de toute manière jamais existé.»1


L’UBS se profile-t-elle dans le brouillard ?


Ce chef d’oeuvre oratoire appelle quelques observations. Pour commencer on pourrait relever que Madame Brunner a eu la délicatesse de ne pas évoquer un appui financier possible de l’UBS pour la campagne du PS en cas de prise de position en faveur de la LME… cela aurait pourtant été logique, puisque son modèle de gestion heureuse des contradictions de son parti se réfère au vote du 10 juin qui a donné lieu à une première en la matière2. Ensuite et quand même, il est piquant d’entendre la présidente d’un parti dont le groupe parlementaire a massivement voté la LME, qui se prononce depuis des années pour la libéralisation électrique, comme il a défendu en son temps le démantèlement des PTT, déclarer urbi et orbi que tout le monde a peut être raison, ou du moins ses raisons. Que la situation permet «plusieurs lectures possibles», qu’elle n’a pas d’avis elle-même parce que tout ça est compliqué. Ou du moins qu’elle juge utile de dissimuler son opinion en affirmant simplement que «le moment venu» elle défendra un point de vue «approprié». Que la confrontation entre le thatchérisme remusclé de Blair et un socialisme de gauche n’a pas de sens, etc. ad nauseam…


On pourrait se passer de commentaires, relevons quand même à ce propos deux points qui ressortent de l’écran de brouillard assez pathétique que cherche à répandre Mme Brunner.


Marché quand tu nous tiens !


Premièrement, si tout ça est compliqué et qu’il faudra voir, c’est bien selon elle parce que «les développements futurs du marché de l’électricité» sont difficiles à anticiper. L’idée qu’on puisse se battre précisément pour que l’électricité, qui est bien de première nécessité, échappe à la logique des marchés se situe en dehors du champ du «possible» qu’envisage la présidente du PS, même quand elle s’applique.


Deuxièmement, l’hypothèse de se battre pour un «vrai socialisme» est disqualifiée parce qu’il «n’a de toute manière jamais existé.» Bel aveu d’un projet réactionnaire: on ne se bat que pour ce qui a existé, l’espoir que le monde pourrait «changer de base» comme le proclament les paroles d’une vieille chanson n’a pas de sens…


Mais qu’on se rassure, si le PSS et sa présidente ne sait pas encore ce qu’il fera au moment du vote sur la libéralisation-privatisation du secteur électrique en début d’année prochaine, Madame Brunner et ses acolytes ont «commencé à planifier concrètement les élections fédérales du 19 octobre 2003» et elle veut même «les gagner»! Comment? En s’appuyant sur des thèmes forts dont, l’un en particulier est à couper le souffle, il s’exprime en sept mots: «Nous sommes le parti du service public» (sic!) Gageons que M. Ulrich Gygi, patron de la Poste, mais aussi membre du PSS s’engagera personnellement sur ce thème.


De trois mois en trois mois…


L’autre événement récent concernant la LME est bien entendu d’une autre portée: le Conseil fédéral vient de repousser la date de la votation populaire à ce sujet. Rappelons que celle-ci a été votée dans l’enthousiasme des Chambres en décembre 2000, que notre référendum «Spéculer sur l’électricité? Non Merci !» a abouti début avril, et que la LME aurait pu matériellement être soumise au vote en septembre déjà.


On annonçait pourtant le vote pour décembre, sous prétexte de mettre au point l’ordonnance d’application de cette loi, le comité référendaire devait même fournir son argumentaire pour la brochure officielle à fin juillet déjà. Aujourd’hui, le vote populaire est reporté de trois mois encore, pour n’être officiellement agendé qu’en mars! Encore faut-il voir si cette date sera confirmée…


Selon ce que rapporte le TagesAnzeiger du 4 juillet, c’est l’organisation patronale EconomieSuisse qui aurait eu le dernier mot en indiquant que son engagement financier massif dans la campagne pour le OUI était conditionné par un report du vote. Leur porte-parole déclare d’ailleurs ouvertement au TagesAnzeiger qu’ils sont fort contents «ça nous donne du temps» se félicite-t-il. En effet, les enjeux économiques sont énormes pour certains et l’opinion publique, le vote zurichois du 10 juin l’a démontré, est largement hostile au couple privatisations-libéralisation, grâce notamment aux «prestations» du patron de la Poste en matière de démontage du service public.


Cette décision appelle quelques constats à chaud:



  1. Ce report est un aveu de faiblesse des partisans de la LME. Ils savent bien qu’ils peuvent perdre et se préparent à une bataille de grande envergure, dont la portée dépasse largement le seul secteur de l’électricité. A nous d’être à la hauteur de ce défi! Le degré de crainte qu’expriment les partisans de la libéralisation fasse à une issue négative pour eux du vote, démontre en outre que leurs discours fatalistes sur une libéralisation qui se ferait « de toute façon » avec ou sans la LME, ne correspond pas à la réalité. Un vote négatif peut être un tremplin sérieux pour une contre-offensive anti-libérale…
  2. Le théâtre guignol autour des ordonnances, «en discussion auprès des milieux intéressés» dixit le Conseil fédéral, mais qui ne sera mise en consultation «qu’à la fin de l’été» et sur laquelle l’«approbation des points essentiels» par le gouvernement «ne pourra pas avoir lieu avant décembre» 3, démontre, s’il en était besoin, les faux-semblants de la loi qui, malgré les arguments de ses partisans qui cherchent à la vendre comme une loi de «régulation», ne fait qu’une seule déréglementer et décréter le primat de la logique marchande dans le secteur.
  3. Le renvoi du vote, outre qu’il jette une lumière particulièrement crue sur les trafics qui président à la soigneuse orchestration à leur avantage par les milieux dominants des règles du jeu de notre «démocratie semi-directe», démontre enfin aussi que l’«urgence» de la libéralisation qui avait été invoquée par la ComCo 4 par exemple pour anticiper la décision populaire dans l’affaire opposant la société Watt à l’entreprise publique fribourgeoise EEF n’était qu’une tarte à la crème.

En sus de leur engagement dans les mobilisations contre la mondialisation capitaliste et néolibérale de cette automne, les opposant-e-s à la LME pourraient, par exemple, organiser le 15 décembre une/des manifestation(s) ad hoc …pour fêter le premier anniversaire du vote par le parlement d’une loi dont ils auront – jusque-là en tous cas – mis en échec l’application.



  1. Discours intégral disponible sur www.ps-sp.ch
  2. V. l’article de Tobias Schnebli dans notre N° 129
  3. Communiqué du CF du 3.7.01
  4. ComCo: Commission fédérale de la concurrence