Europe: vous circulez, nous profitons
Europe: vous circulez, nous profitons
Ces derniers mois, trois
décisions de la Cour de justice européenne ainsi que la
révision de la directive sur le temps de travail par le Conseil
européen ont montré que lEurope sociale
nétait quun slogan creux et que le rapport de
forces réellement existant permettait au patronat
européen de progresser dans sa mise en cause des protections
légales des travailleurs et travailleuses.
Par trois fois, la Cour
européenne de justice (CEJ) aura affirmé la
prévalence juridique du principe de libre circulation des
travailleurs sur celui de la protection des conditions de travail du
pays daccueil. Pour la CEJ, il existe des droits visiblement
plus fondamentaux que dautres. Tout dépend de ceux
quils protègent.
Le dumping salarial comme droit
A mi-décembre 2007, il y a eu dabord laffaire
Laval (Vaxholm). Les syndicats suédois avaient en effet
bloqué laccès au chantier dune école
de la ville de Vaxholm. Les travaux de rénovation y
étaient menés par une entreprise lettone (Laval), qui
refusait que ses travailleurs, eux aussi lettons, soient soumis
à la convention collective suédoise de la branche. La
Cour européenne a donné tort aux syndicats, estimant que
le droit des entreprises de fournir des services transfrontaliers
primait le droit de grève, dont lexercice devait, du
reste, être proportionnel au litige. Cette
«proportionnalité» des moyens de lutte, dont les
tribunaux seraient seuls juges, avait déjà
été évoquée dans un cas antérieur
(Viking).
Toujours en matière de travailleurs-euses
détachés, de dumping salarial et de défense des
conditions de travail, la Cour sest prononcée dans
laffaire Dirk Rüffert, qui sest
déroulée en Basse Saxe (Allemagne). Une entreprise
allemande avait sous-traité des travaux de construction à
une firme polonaise, en sengageant à respecter les
conditions salariales en vigueur sur le site, définies par une
convention collective (CCT). Des contrôles ont fait
apparaître que les ouvriers polonais gagnaient en fait seulement
46,57% du salaire minimum. Le contrat a été dès
lors annulé par lautorité de Basse Saxe. La CEJ a
estimé en lespèce que lobligation de verser
aux salarié-e-s la rémunération prévue par
la CCT nétait pas justifiée par lobjectif
de protection des travailleurs.
Enfin, à mi-juin, la CEJ a jugé que la manière
dont le Luxembourg mettait en oeuvre la directive sur le
détachement des travailleurs constituait un obstacle à la
libre prestation de services transfrontaliers. Le Grand-Duché du
Luxembourg – pourtant plus renommé comme paradis fiscal que
comme boutefeu révolutionnaire – avait en effet osé
demander que les travailleurs-euses détachés aient un
contrat écrit et respectant les CCT, que leurs salaires soient
aussi indexés au coût de la vie et que les documents
permettant le contrôle de ces éléments soient
fournis. La CEJ considère que tout cela na rien à
voir avec la sauvegarde dun intérêt public
légitimant laction de lEtat luxembourgeois et lui
demande en conséquence de revoir sa copie.
En bref, la CEJ est en train de caler, grande ouverte, la porte de la sous- enchère salariale.
Laccordéon du temps de travail
De son côté, le Conseil de lUnion européenne
(Conseil des ministres) a révisé sa directive sur le
temps de travail. Celle-ci autorisait en règle
générale un maximum de 48 heures hebdomadaires (heures
supplémentaires comprises), calculées sur une
période de référence de 4 mois. Mais avec un
mécanisme dit d«opt-out individuel» (merci,
Tony Blair!), qui permettait aux travailleurs-euses qui le souhaitaient
(sic) de travailler davantage. Pour prétendument limiter cet
«opt-out», un premier maximum à été
fixé… 60 heures hebdomadaires, suivi dun second,
arrêté à 65 heures, pour les travailleurs -euses
qui feraient usage de lopting-out et effectuent un travail de
garde.
En plus, les périodes dattente durant le temps de garde
(le «temps inactif») ne sont plus considérées
comme du temps de travail. Enfin, la période de
référence pour le calcul de la moyenne hebdomadaire est
portée à douze mois, ce qui permet des variations bien
plus grandes de lhoraire de travail.
Ces qui sidère dans ce contexte, cest moins les choix
propatronaux des deux instances européennes que la
réaction de la Confédération européenne des
syndicats. Evidemment, sa stratégie daccompagnement
prétendument «social» du
néolibéralisme est mise ouvertement à mal par ces
décisions. Fallait-il pour autant que son secrétaire
général, le Britannique John Monks, demande aux
autorités européennes «de prendre des mesures
urgentes afin de confirmer (sic) que lUE nest pas
seulement un projet économique, mais a pour principal objectif
(resic) lamélioration des conditions de vie et de travail
de ses populations»? Dénier à ce point-là la
réalité confine au pathétique.