«La culture n’est pas une marchandise!»
«La culture nest pas une marchandise!»
Parmi les différents objets soumis au vote des citoyennes et
citoyens vaudois le 30 novembre, figure lemblématique
projet de nouveau musée cantonal des Beaux-Arts. Lors de son
assemblée générale du 29 septembre,
solidaritéS Vaud a décidé de laisser la
liberté de vote sur ce point. Nous publions ci-dessous le point
de vue des opposants de gauche au projet (à paraître dans
la rubrique «Opinion» de 24 heures), comme nous
répercuterons, à la demande, dautres positions.
On peut aimer ou détester le projet Yin Yang à Bellerive,
le comparer à un coquillage ou à un bunker; on peut aimer
ou détester le Palais de Rumine, juger quil a bien ou mal
vieilli. Ces appréciations, qui relèvent des goûts
et des couleurs, ne devraient cependant pas nous distraire de
lenjeu décisif du débat sur le nouveau
musée cantonal des Beaux-Arts à Bellerive, qui tient
à la conception quon peut se faire de la culture.
Luvre dart nest pas un objet comme les
autres, et sa valeur réelle ne se mesure pas à son prix
de vente; cest un rapport complexe, qui peut prendre la tournure
dune intimidation ou dune libération, dune
opération spéculative ou dun enrichissement
spirituel, du luxe ostentatoire ou de léchange
participatif.
A cet égard, lemplacement du musée est important.
Contre le reflux des activités urbaines à la
périphérie, contre le pharaonisme lacustre bling-bling,
nous plaidons pour un «Grand Rumine»
réhabilité, plus spacieux encore que Bellerive, foyer de
culture au cur de la vie urbaine, aisément accessible
à la population et aux écoliers, centre
déchanges dans le réseau des musées,
galeries dart, hôtels et restaurants.
Mais ce qui est déterminant, bien que moins spectaculaire,
cest le statut juridique du musée, qui demeurerait sous
la responsabilité de la collectivité publique dans le cas
du Grand Rumine, ou qui tomberait sous celle dune fondation dans
le cas dun transfert à Bellerive, puisquil
nécessiterait alors un financement privé
prépondérant. Les autorités cantonales se sont
déjà engagées dans cette voie, associant des
partenaires privés (fondation dite «de droit
public», au même titre que la BCV par exemple!).
Cest un pas vers la privatisation alors même que
la Charte du conseil international des musées de lUNESCO
(ICOM) met en garde contre les interférences avec le
marché de lart. Avec le projet de Bellerive, ce
«partenariat public-privé» commence bien mal,
puisque les sponsors, les donateurs et les dépositaires
potentiels croient pouvoir dicter leurs conditions. Précisons
quà linstar de la fameuse collection Favrod qui
devait constituer lessentiel des collections du Musée de
lElysée, nous navons affaire quà des
offres de dépôt, toujours rétractables dans le cas
de la Fondation Planque, ainsi quà des promesses
conditionnelles de donation.
Bref, à la suite des services naguère publics et qui
basculent dans le marketing, le musée cantonal, quon
prenait pour un ultime sanctuaire, est maintenant menacé. Qui
paie commande! La confusion des intérêts est malsaine.
Passé un certain seuil de dépendance, les grandes options
artistiques, notamment le choix des expositions et des acquisitions,
vont obéir à des critères pseudo-culturels de
rentabilité, de vogue passagère et daudimat.
Mais nous nen sommes pas encore là. Le 30 novembre
prochain, un NON signifie soustraire la culture aux diktats des milieux
économiques «intéressés», aux
collectionneurs qui saviseraient de prendre Bonnard ou Picasso
en otage, et aux virtuoses du chantage à la rentabilité.
Michel Thévoz, ancien directeur
de la Collection de lArt brut