La crise, le nouveau parti anticapitaliste en France et l’écosocialisme...

La crise, le nouveau parti anticapitaliste en France et l’écosocialisme…

Nous publions ici une intervention
faite au meeting NPA 66, à Perpignan, le 18 octobre 2008 par
Raoul-Marc Jennar, chercheur et militant altermondialiste, qui
s’est engagé dans la construction du Nouveau parti
anticapitaliste (NPA) en France.

C’est la crise! Mais, si on y réfléchit un instant,
c’est tout le temps la crise! Avons-nous connu depuis 30 ans des
périodes où ce n’était pas la crise? Et
même avant. Je suis né au début de ce qu’on a
appelé les «Trente glorieuses». Mais elles
étaient glorieuses pour qui? Pour les mineurs dont on fermait
les charbonnages? Pour les ouvriers de la sidérurgie dont on
fermait les usines? Pour tous les autres qui ont dû attendre le
plus grand mouvement social de l’après guerre, Mai 68,
pour recevoir enfin quelques miettes des profits engrangés par
le patronat?

Et même quand, soi-disant, ce n’est pas la crise. Quand les
taux de croissance montent. Quand les entreprises font des profits.
C’est quand même la crise pour celles et ceux qui subissent
les fusions-acquisitions, les restructurations, les
délocalisations, les dérégulations, les
suppressions d’emplois dans des boîtes qui font pourtant
des bénéfices. Et enfin, pour des millions de gens qui,
quand ils ont payé leurs charges, n’ont que 50 euros par
mois pour se nourrir, n’est-ce pas, et depuis longtemps, la crise
tous les jours?

Le capitalisme c’est la crise

La vérité, c’est que le capitalisme, c’est la
crise. C’est un système qui génère les
crises. Il y a des crises financières, des crises
économiques, des crises sociales, des crises alimentaires, des
crises sanitaires, des crises écologiques. Et chaque fois, au
nom de ces crises, le capitalisme impose ses solutions, des solutions
qui maintiennent les inégalités, des solutions qui
entretiennent l’exploitation, des solutions qui protègent
l’accumulation des profits par un petit nombre. Et quand la crise
ne suffit pas, il fait la guerre. Rappelez-vous ce que disait
Jaurès: «Le capitalisme porte en lui la guerre comme la
nuée porte l’orage», là où le
capitalisme ne peut exploiter en toute liberté, il provoque la
guerre. Bien des guerres en Afrique qu’on nous présente
comme des guerres civiles ou tribales sont en fait des guerres
provoquées par le capitalisme. La guerre en Irak est une guerre
du capitalisme.

En 1991, lors de l’effondrement de l’empire
soviétique, le discours dominant a consacré
l’échec du communisme. Nul ne peut nier que le capitalisme
d’Etat, bureaucratique et policier, a échoué
à réaliser l’idéal communiste. Mais cet
échec nous condamne-t-il à nous résigner au
capitalisme?

L’heure d’un bilan

N’est-ce pas le moment de dire haut et fort aux capitalistes:
quel est votre bilan? Quels sont, pour le plus grand nombre, les
résultats du capitalisme?

Quand près de trois milliards d’humains n’ont pas
accès au savoir, aux nouvelles technologies et aux nouveaux
savoir-faire qui pourraient améliorer leur niveau de vie, quand
deux milliards de personnes n’ont pas accès aux
médicaments essentiels, quand un milliard et demi de gens vivent
avec quatre-vingt dix centimes d’euro par jour, quand un milliard
de personnes souffrent de la famine, quand un milliard d’adultes,
dont deux tiers sont des femmes, sont analphabètes, quand plus
de 150 millions d’enfants n’ont pas accès à
l’école primaire, dont la moitié sont des filles,
quand 44% de la jeunesse du monde en âge de travailler sont au
chômage, quand, dans une Europe si riche, il y a 50 millions de
pauvres et 18 millions de chômeurs-euses, n’est-on pas en
droit de demander: capitalistes où est votre succès?

Le capitalisme a bénéficié, avec les
dérégulations massives décidées au niveau
mondial comme au niveau européen, d’une liberté
comme jamais il n’en avait connu depuis le 19e siècle. Et
voilà son bilan. Certains vous diront: «Vous vous trompez.
Regardez en Chine, depuis qu’ils sont passés à
l’économie de marché, 400 millions de Chinois sont
sortis de la pauvreté.» Ils oublient de dire qu’un
milliard de Chinois-es sont restés dans la pauvreté.
Parce que, fondamentalement, c’est cela le capitalisme:
c’est l’organisation de l’inégalité;
c’est l’exploitation de la majorité par un petit
nombre.

Face à cette réalité, on observe deux
comportements. Il y a ceux ou celles qui considèrent que le
capitalisme fait partie de l’ordre naturel des choses et que la
crise d’aujourd’hui n’est qu’un dérapage
de mauvais capitalistes qu’il faut punir pour revenir au bon
capitalisme, que la démocratie libérale et
l’économie de marché, sont le moins mauvais de tous
les systèmes, comme le disait avant-hier soir sur France 2 le
ministre des finances de Belgique.

Rosa Luxembourg ou Ségolène Royal?

Ceux-là, on les trouve à droite, bien entendu, au centre
évidemment, mais également, à gauche. Ce sont en
effet des sociaux-démocrates qui, à partir des
années 80, en France comme dans le reste de l’Europe, ont
accompagné et très souvent initié ce qu’on
appelle la mondialisation, cette transformation du monde en un
marché global où la puissance publique s’efface
devant les acteurs économiques et financiers, où les
humains sont traités comme des marchandises, soumis aux lois
d’une concurrence qui doit être libre et non
faussée. La loi de déréglementation
financière est une loi du PS. L’Acte unique
européen et le traité de Maastricht, proposés par
Jacques Delors, sont l’œuvre des sociaux-démocrates.
La gauche plurielle partage avec onze autres gouvernements
sociaux-démocrates la responsabilité de la
stratégie de Lisbonne et des décisions de Barcelone sans
lesquelles le démantèlement des services publics et du
droit du travail n’aurait pas été possible. Et on a
trouvé à la direction du PS les plus ardents
défenseurs du traité constitutionnel européen
préparé sous la direction de Giscard d’Estaing. Les
mêmes souhaitent aujourd’hui ardemment qu’entre en
vigueur ce copié collé du TCE qu’est le
traité de Lisbonne pourtant rejeté par le seul peuple qui
ait pu s’exprimer, les Irlandais-es.

Face à ces libéraux de droite et de gauche, auxquels
s’ajoutent ceux ou celles qui les suivent pour ne pas perdre les
mandats que leur accorde l’alliance avec le PS, il y a celles ou
ceux qui sont convaincus que le capitalisme n’est pas
l’horizon indépassable de l’humanité. Ceux et
celles qui ne se résignent pas à voir le drapeau de la
révolte tomber des mains de Rosa Luxemburg dans celles de
Ségolène Royal.

On les trouve parmi celles et ceux qui ont fait campagne et ont soutenu
le non de gauche au TCE. On en trouve parmi celles et ceux qui ont
soutenu l’un ou l’autre des cinq candidats à la
gauche du PS lors des présidentielles de l’an
passé. Et on en trouve même, je tiens à le dire
tout de suite, parmi les femmes et les hommes qui ont apporté
leur voix au PS ou aux Verts. Faute de mieux à leurs yeux. Et
au-delà de celles et ceux qui accompagnent ou soutiennent un
parti politique, on en trouve parmi ces dizaines de milliers de gens
qu’on appelle parfois des non-encartés, altermondialistes,
antinucléaires, écologistes, décroissant-e-s,
faucheurs-euses volontaires, militant-e-s des droits humains dont le
grand rassemblement du Larzac, en août 2003, fut pour beaucoup un
moment fondateur.

Le rêve d’une gauche qui ne se renie pas

C’est à ces femmes et ces hommes qui ne se
résignent pas au capitalisme que la LCR offre une perspective.
Moi qui ne suis pas membre de la LCR, qui n’appartiens pas
à la culture politique née de 1917, – ma culture
politique, elle, puise dans 1793 et 1871 et chez l’homme
massacré en août 1914, au Café du Croissant
à Paris – qui suis un de ces non-encartés, je tiens
à le souligner ici avec force: la décision de la LCR de
se dissoudre pour se fondre dans un mouvement politique qui la
dépasse, qui embrasse à la fois la question sociale et la
question écologique et qui s’ouvre à toutes celles
et ceux qui partagent ce projet écosocialiste, c’est une
décision sans précédent dans l’histoire du
mouvement ouvrier français.

Nous sommes, j’en suis convaincu, des millions à
rêver d’une gauche qui ne se renierait pas chaque fois
qu’elle arrive au pouvoir, d’une gauche qui affirmerait
sans complexe: «Oui, il y a eu et il y a encore des exploiteurs
et des exploités», d’une gauche qui reconnaît
la réalité de la lutte des classes même si la
composition des classes et les formes de la lutte ont changé.
Nous sommes des millions qui n’acceptons pas le capitalisme comme
une fatalité. Nous sommes des millions à vouloir une
alternative. Cette alternative, si nous le voulons tous et toutes
ensemble, avec le NPA, elle est maintenant possible.

Nous sommes à la tâche. Et nous sommes nombreux. Nous
sommes riches de nos diversités, de nos cultures politiques
respectives, de nos expériences et aussi de la fraîcheur
et de la créativité de celles et de ceux qui n’ont
pas d’expérience, si ce n’est celle de leurs
premiers pas dans la vie et de leurs premières confrontations
avec le capitalisme.

Ecosocialisme démocratique contre capitalisme «vert»

J’ai qualifié le projet que nous portons d’une
expression nouvelle dans le vocabulaire politique:
écosocialisme. Qu’entendons-nous par là?

On part d’un constat: le capitalisme exploite les humains et la
terre. Il est à l’origine de la question sociale et de la
question écologique. Comme l’a si bien observé
François Chesnais, Marx déjà constatait que
«la production capitaliste ne se développe qu’en
épuisant les deux sources d’où jaillit toute
richesse: la terre et le travailleur» (Le Capital). Et Chesnais a
très justement déploré que «la pensée
critique se réclamant du marxisme a été
terriblement déficiente sur le plan des rapports à la
nature.»

Une approche écosocialiste, cela signifie satisfaire les besoins
sociaux de manière écologique. Et la satisfaction
écologique des besoins sociaux ne peut se réaliser ni par
des voies autoritaires, ni par des voies fiscales.

Seule la délibération démocratique peut
présider à la définition des choix. Ce qui
implique de revisiter la démocratie pour en faire ce que,
déjà, Jaurès appelait de ses vœux: un outil
révolutionnaire.

Mais le danger immédiat qui nous guette, c’est le
traitement capitaliste des problèmes écologiques. Un
capitalisme vert est en cours d’élaboration. On en a vu
des prémisses avec le Grenelle de l’Environnement et les
multiples taxes envisagées par le gouvernement. C’est
faire payer par le plus grand nombre le coût des
dégâts écologiques provoqués par les profits
de quelques-uns. Ce sont les solutions avancées par la droite,
mais aussi par les sociaux-libéraux, par les Verts et par tous
ceux qui refusent d’accepter que la course au profit est à
l’origine de la destruction de l’environnement avec ses
conséquences pour la santé, pour la préservation
de la biodiversité, pour le maintien des grands
équilibres et pour la survie même de la planète
dans l’état où les générations
précédentes nous l’ont léguée.

C’est un immense chantier qui s’ouvre devant nous.
C’est notre volonté de saisir à bras- le-corps le
double impact social et écologique du capitalisme. Aucune
solution n’est durable si elle se contente
d’aménager le système. C’est bien là
que se trouve la justification de notre démarche
anticapitaliste. Au regard de ce que nous voulons entreprendre, nous
pouvons faire beaucoup plus que de la politique. Nous pouvons
écrire une page d’histoire.

Raoul Marc Jennar

Intertitres de notre rédaction