Victoire de Barack Obama: priorité au mouvement social
Victoire de Barack Obama: priorité au mouvement social
Lélection de Barack Obama à la présidence
des Etats-Unis a révélé un puissant paradoxe. En
effet, sa candidature a reçu un soutien sans
précédent des secteurs décisifs de la classe
dominante, ce que reflète notamment son budget de campagne de
640 millions de dollars, largement supérieur aux 360 millions
reçus par le candidat républicain John McCain. En
même temps, elle a suscité une mobilisation
électorale sans précédent des milieux populaires
les plus défavorisés (parmi eux, en particulier, les
Afroaméricains, les Latinos, les jeunes et les femmes), qui lui
a assuré la victoire.
Pour le candidat vert Ralph Nader, ce soutien massif de Wall Street
à Obama révèle mieux que bien des discours leurs
affinités politiques. Ce dernier na-t-il pas soutenu
lengagement de fonds publics à hauteur de 700 milliards
de dollars pour le sauvetage des banques? En tant que sénateur
de lIllinois, na-t-il pas défendu les choix
énergétiques les plus dangereux pour
lenvironnement (nucléaire, centrales au charbon, forages
pétroliers en haute mer, etc.)?
Pour faire face à la crise, na-t-il pas sollicité
dabord les conseils de Paul Volker, président de la
Réserve Fédérale durant les années Reagan,
de Lawrence Summers, ancien chef économiste de la Banque
mondiale et secrétaire du Trésor sous Clinton, de Jamie
Dimon, président de la banque J. P. Morgan? En matière de
politique étrangère, na-t-il pas coopté
Dennis Ross dans son brain trust (cet ancien conseiller de Bill Clinton
pour le Moyen-Orient est très proche dIsraël et
très lié aussi aux néoconservateurs)?
Et pourtant, Obama a su mobiliser massivement les
électeurs-trices des milieux les plus défavorisés
avec des promesses de changement. Il incarne aussi la spectaculaire
transgression dune barrière raciale séculaire.
Raison dun tel paradoxe? La crise. Elle progresse de jour en
jour et menace les bases même du «compromis social
américain», fondé sur une captation croissante de
la richesse par le capital, mais aussi, du moins jusquici, sur
le maintien dun consumérisme populaire porté par
lenvolée du crédit et limportation massive
de produits bas de gamme made in China. Avec la récession qui
sinstalle et prend des allures de dépression, les jours
de ce modèle sont comptés. Les chiffres du chômage
semballent: 10 millions aujourdhui (17 millions si
lon compte le sous-emploi), soit 25% de plus quau
début de lannée, et 40% de plus quen mars
2007. Un propriétaire de logement sur six doit plus à sa
banque que la valeur totale de son bien. Les fonds de pension ont vu
partir 2000 milliards en fumée en quelques mois. Et ce
nest quun début, dans un pays qui compte
déjà près de 50 millions de pauvres
Pour celles et ceux den bas, le vote Obama a donc
représenté très clairement un geste de
défiance, de protestation et de rejet à
légard des politiques de toutes les administrations
républicains et démocrates confondus
depuis lintronisation de Ronald Reagan en 1981. Une sorte de
plébiscite pour un changement radical dorientation, faute
de moyens concrets pour combattre sur le terrain la
«révolution conservatrice» engagée depuis
près de trente ans par les milieux dominants. Pourtant, si ces
secteurs populaires narrivent pas à développer des
mobilisations denvergure, à renforcer leurs organisations
et à investir pleinement le champ de lalternative
politique, leur désillusion risque vite dêtre
à la mesure de leurs espoirs, avec les dangers de retour de
bâton que cela suppose. En effet, même si les
républicains ont été clairement battus, le vote en
faveur du ticket McCain-Palin exprime aussi la force relative
dun contre-courant ultra-réactionnaire, alimenté
par lintégrisme religieux, les valeurs familiales les
plus rétrogrades (contre lavortement et le mariage gay),
le racisme anti-immigrés (35000 interpellations de sans-papiers
et 600 crimes racistes recensés en 2007) et
limpérialisme va-t-en guerre à la sauce
anti-islamique, etc.
Le 20 janvier, Barack Obama sera président des Etats-Unis, mais
le pouvoir restera entre les mains dune bourgeoisie à
loffensive, qui dispose de puissantes institutions. La Maison
Blanche, certes, avec ses départements-clés du
Trésor, de la Défense, de la Sécurité
nationale, des Affaires étrangères, de lEnergie;
les grandes compagnies privées, en particulier celles
liées à la défense et à
laérospatiale, à lénergie, aux
grands laboratoires de recherche, avec les principales associations
patronales qui les lient entre elles; enfin, les comités les
plus importants des deux chambres, en symbiose avec les secteurs
clés de léconomie privée. Comme le
déclarait récemment Warren Buffet, lhomme le plus
riche du monde (en 2008, sa fortune est évaluée à
62 milliards de dollars), et partisan inconditionnel dObama:
«Il y a une lutte de classe, daccord, mais cest ma
classe, celle des riches, qui fait la guerre et nous sommes en train de
la gagner» (New York Times, 26 novembre 2006). Dans un tel
contexte, il ny a quun moyen de lui donner tort:
transformer le vote pour Obama en capacité daction
indépendante du mouvement social, afin que les 150 millions de
travailleurs-euses états-uniens, les femmes et les
minorités ethniques en leur sein, commencent à peser de
tout leur poids pour défendre leurs propres solutions à
la crise.