Contre lamiante, passionaria brésilienne
Contre lamiante, passionaria brésilienne
Rencontre avec Fernanda Giannasi, figure de proue brésilienne de la lutte contre lamiante et pour lindemnisation de ses victimes. Depuis vingt ans dans le collimateur des industriels de lamiante (en particulier Eternit, une entreprise suisse), elle parle de son parcours acharné et de sa façon dorganiser la résistance au Brésil. Fernanda Giannasi était de passage à Genève à la mi-septembre pour représenter une ONG brésilienne auprès de lONU. Portrait.
Quelle trajectoire ta amenée à la lutte pour lindemnisation des victimes de lamiante?
Mes grands-parents étaient Italiens, ils sont arrivés au Brésil au début du 20e siècle, ils ont travaillé dans des champs de canne à sucre, de soja. Ma famille vivait dans des conditions précaires. Javais six ans lors du coup dEtat au Brésil; de nombreux amis de la famille et des voisins ont été détenus, torturés. Je me souviens de plusieurs faits qui mont vraiment marqué, certains ne sont pas encore résolus, je ne peux les oublier. Tout ce que jai vu, vécu a augmenté mon dégoût de linjustice et ma révoltée pour toujours.
Jai suivi des études dingénieure civile parce que jétais douée en mathématiques. A vingt-cinq ans jai réussi le concours dadmission pour le ministère du travail. A cette époque sest créée la Centrale Unique des Travailleurs (CUT). On sortait des tiroirs de nombreuses archives secrètes, cétait une période de grand enthousiasme, la CUT était socialement très importante. Pendant les années quatre-vingt je me suis beaucoup axée sur la santé des travailleuses et des travailleurs, jai énormément collaboré avec les syndicats, suis devenue conseillère syndicale en santé du travail. Je me battais pour le droit à linformation des travailleurs pour la sécurité au travail et à la promotion des conventions collectives. Toutes ces activités mont profondément touché. Ma sensibilité sest doublée dune certaine conscience politique. Je suis vraiment devenue une activiste syndicale.
En 1992, jai participé au sommet de Rio et jai rencontré des gens qui luttaient pour leur cause mais sans être rattachés à un syndicat. Mon créneau a changé. Je voulais élargir mon champ daction trop restreint dans les syndicats. Les gens malades, qui ne travaillent pas ou plus nétaient pas pris en compte dans les syndicats. Je voulais pouvoir aider le plus de personnes possible, sans devoir me limiter aux seuls travailleurs. Cest ainsi que jai commencé la lutte contre lamiante avec lassociation ABREA (Association Brésilienne des Exposés à lAmiante) que lon a fondé en 1995.
Pour quelles raisons le Brésil est-il le pays le plus avancé sur la question de la défense des victimes de lamiante? Quel a été ton rôle?
Pour moi ça a été un apprentissage. Nous avons essayé damender une loi, mais ny sommes pas arrivés et avons donc commencé la lutte plus localement; des mouvements comme le Mouvement des paysans Sans-Terre (MST) et les Sans-Toit nous ont rejoint. Cest par en-bas que nous avons construit la résistance. Je me suis rendue à beaucoup denterrements pour exprimer ma solidarité avec les familles des victimes, nous avons énormément discuté. Ces personnes mont fait confiance parce que je ne suis pas une intellectuelle sophistiquée, je parle simplement et je me suis montrée très prudente pour ne pas leur faire peur. Nous avions vraiment des rapports de confiance. Dans ma vie jai eu plus de chance queux mais je tenais à les aider, en toute honnêteté. De nombreuses réunions ont été organisées, des fêtes, des rencontres entre victimes et familles de victimes. Ensemble nous avons partagé tant de choses; les victimes me donnent de lénergie, par leur témoignages, pour continuer ma lutte.
Comment se fait-il que tu apparaisses autant dans les médias?
Je me suis montrée très disponible et jai donné la même attention aux petits journaux de quartier, aux journalistes bénévoles ou dassociations quaux grands tirages de la presse écrite. Encore une fois jai mis laccent sur le local.
Comment expliques-tu que les femmes jouent un rôle clé dans la lutte pour lindemnisation des victimes alors que la plupart des personnes atteintes sont des hommes?
Au Brésil, les femmes de classe moyenne sont plutôt pugnaces, elles ont la possibilité détudier à luniversité, davoir une domestique pour garder les enfants, ce qui nest pas le cas des femmes issues dun milieu plus modeste. Je pense que les femmes qui en ont lopportunité transposent leur rôle au niveau global. Jai remarqué que les hommes se préoccupent de leur santé quand ils sont déjà malades et que ce sont généralement les femmes qui téléphonent pour sinformer quant aux risques, en pensant aux enfants. Jai aussi observé quil y a énormément de femmes qui sont médecin du travail. Au niveau international, nous sommes assez bien coordonnées et surtout très complémentaires, atout non négligeable tant ce combat est éprouvant et excessivement long.
Propos recueillis par Catalina POZO