Ecosocialisme et décroissance: un débat stimulant...

Ecosocialisme et décroissance: un débat stimulant…

Le dernier congrès de
solidaritéS insistait à juste titre sur
l’importance d’un combat contre le capitalisme fondé
sur un projet social en cohérence avec un projet
environnemental. Ceci dit, nous ne défendons pas d’un
côté la justice sociale et de l’autre la protection
de l’environnement, mais une conception totalement
intégrée des deux. Et ceci non seulement parce
qu’il faudra bien garantir à long terme un environnement
favorable à la vie humaine pour y développer un projet
écosocialiste, mais aussi, et plus fondamentalement, parce que
le dépassement du capitalisme n’impose pas seulement une
redistribution des richesses, mais aussi d’autres modes et
finalités de production, un autre rapport à la
consommation, au temps, à la nature, à la
société, à la culture, en somme à la vie
dans toute sa richesse. Et cette révolution culturelle
sans précédent depuis l’industrialisation du 19e
siècle, il faut aussi commencer à la nourrir
aujourd’hui!



Commençons donc par proscrire l’utilisation du terme
« pouvoir d’achat » qui individualise
le travailleur et le réduit au statut de consommateur
aliéné. En lieu et place, nous défendons
évidemment le « pouvoir vivre », dont
parle Clémentine Autain dans une récente chronique
radiophonique.1 C’est pour cela que, sur le terrain
revendicatif, nous luttons pour un salaire minimum, un revenu minimum
et une retraite solidaire (garantissant véritablement un niveau
de vie acceptable). En même temps, nous continuons – comme
nous l’avons fait systématiquement jusqu’ici –
à mettre en avant des objectifs collectifs: services publics
gratuits et étendus à de nouveaux
domaines, assurances sociales solidaires, impôts fortement
progressifs (confiscatoires à partir d’un certain seuil
pour garantir de fait un revenu maximum – très difficile,
ceci dit, à imposer sous le capitalisme).

Une épidémie mortelle:  l’« affluenza »

En revanche, la thèse de l’économiste et sociologue
états-unien Thorstein Veblen (1857-1929), qui voyait dans la
« rivalité ostentatoire » (imiter le
train de vie des plus riches) le moteur du consumérisme,
très à la mode parmi les
« décroissants de gauche », me
paraît insuffisante. Il faut surtout refuser de le suivre
lorsqu’il l’érige en trait essentiel de la
« nature humaine ». Pour autant, des
études épidémiologiques valident cette perception
en partant du raisonnement opposé: le creusement des
inégalités sociales suscite en effet un sentiment de
frustration qui se traduit par une augmentation des affections
somatiques et psychiques.
    Mais plus fondamentalement, je crois que le
consumérisme s’enracine dans la nécessité
ressentie par une humanité dépossédée par
le capitalisme du contrôle de ses conditions d’existence
(accès aux ressources naturelles, usage de son propre corps,
mise en œuvre de sa capacité de travail, organisation de
son temps, etc.) de compenser la souffrance insupportable qui en
découle. C’est un aspect essentiel du
« fétichisme de la marchandise »
décrit par Marx, qui a été bien rendu
récemment par le néologisme anglo-saxon
« affluenza »
(« épidémie du toujours
plus »), popularisé aux Etats-Unis par un
documentaire de John de Graaf (1997). D’accord donc pour
plafonner fortement les revenus et la consommation des plus
riches !

Quelle décroissance ?

Ceci dit, je continue à penser qu’il faut éviter le
terme de « décroissance » (je
préfère certes le terme « objection de
croissance », même s’il n’est pas non
plus parfait). D’abord parce qu’il n’est que
l’image renversée du terme
« croissance », dont il partage sans
s’en rendre compte le même fétichisme quantitatif,
mesuré dans les termes d’une économie marchande
généralisée (le PIB). Je suis certes pour une
décroissance importante de la consommation
d’énergies non renouvelables et de matières
premières, mais aussi pour une décroissance du temps de
travail contraint, ceci en tenant compte de la nécessité
de satisfaire les besoins fondamentaux des « pays
pauvres » et des couches sociales les plus démunies
des « pays riches ».
    Sur un plan local, je suis donc pour défendre
des revendications fortes contre l’automobile, pour une
diminution drastique du recours aux énergies fossiles, pour la
réduction des gaspillages par une isolation accrue des
bâtiments, etc. Mais je suis en même temps en faveur
d’une forte croissance des efforts consentis pour le logement,
l’aménagement du territoire, l’éducation (de
la petite enfance aux études supérieures), la formation
continue, la santé publique, la recherche scientifique, la
création artistique, etc. Des domaines aujourd’hui
frappés par une
« décroissance » programmée…
Dès 1958, dans L’Ere de l’opulence, John K.
Galbraith avait ainsi remarqué, qu’à l’essor
du marché des biens de consommation durables aux Etats-Unis,
correspondait un déclin rapide des infrastructures collectives.
Avec le capitalisme actuel, ces tendances régressives se sont
encore massivement aggravées.

Syndicalisme et changement social

Par ailleurs, je considère que le syndicalisme au sens noble du
terme, dont les revendications et les modes d’organisation
doivent être radicalement repensés en fonction du
bouleversement en cours de l’organisation du travail
(montée de la précarité sous toutes ses formes)
doit redevenir un élément clé de la lutte pour
sortir du capitalisme, une école de formation à la
solidarité pour les salarié·e·s, de
même qu’un foyer d’expériences, de
réflexions et de débats sur les lignes de forces
d’une autre société. Il dispose d’une riche
expérience historique dans ces domaines, sans parler des
mouvements coopératifs, mutualistes, etc.
    Dans ce sens, il ne faut pas opposer, comme le font
souvent les « décroissants de
gauche », un syndicalisme centré sur des questions
sociales à une lutte pour la défense d’un autre
projet de société. Ils doivent au contraire être
étroitement associés. Sinon, le risque est grand de
réserver cette lutte à une petite couche de
privilégiés, la privant par-là même de toute
chance de succès. A ce propos, la contribution de Daniel Tanuro
à la journée de réflexion de
l’interrégionale wallonne de la Fédération
Générale du Travail de Belgique (FGTB) du 11
décembre 2008 formule des propositions concrètes
intéressantes (voir encart ci-dessous).

L’acteur social du changement

Sans un combat résolu contre la montée des
inégalités sociales face à la crise, il est
probable que les solutions les plus réactionnaires progressent
encore dans l’opinion publique. Il y a une raison essentielle
à cela: le fonctionnement quotidien de l’économie
marchande nourrit le chacun pour soi et tend à opposer entre eux
les plus faibles. Par ailleurs, notre société est
formée de classes aux intérêts divergents et la
destruction du climat n’inquiète pas outre mesure ceux qui
pensent pouvoir se payer un environnement protégé (comme
la faim dans le monde n’a jamais empêché de dormir
ceux qui peuvent largement remplir leur assiette)… De telles menaces
ne les intéressent que dans la mesure où ils peuvent les
instrumentaliser pour obtenir le financement de juteux marchés
publics tout en justifiant, « pour la bonne
cause », l’austérité… des classes
populaires seulement.
Si nous laissons faire les classes dominants, les masses
défavorisées des « pays
riches » (qui vont voir leur sort s’aggraver encore
sensiblement durant la crise en cours) risquent bien de tourner le dos
au combat écologiste pour défendre leur droit à
consommer et à polluer, voire d’être
amenées à soutenir les guerres
impérialistes à venir pour le contrôle des
ressources naturelles (une nouvelle version de la lutte pour
« l’espace vital »).2
    Mais il y a plus : si le sauvetage du climat
et de l’environnement doit être lié plus que jamais
à une exigence de justice sociale sans concession, c’est
aussi que la sortie du capitalisme n’est pas concevable sans une
rupture révolutionnaire. Pour vaincre des résistances
très concentrées et se développer dans un cadre
démocratique participatif, cette rupture n’est pas
concevable sans la mobilisation d’un acteur social collectif
extrêmement puissant. C’est pourquoi,
l’émancipation de l’humanité, comme le
sauvetage de la planète, ne pourront être que
l’œuvre de la grande masse des travailleurs-euses, des
précaires et des pauvres – le prolétariat, au sens
originel du terme –, soit de l’écrasante
majorité des sociétés du Nord comme du Sud.

Jean Batou

1     http://clementineautain.fr/2009/02/19/du-pouvoir-vivre/
2   Voir à ce propos le débat organisé
par Radio-Fribourg,le 10 juin dernier, et en particulier les
interventions de notre camarade Thibault Schneeberger :
www.radiofr.ch/fileadmin/podcasts/FR/infos/2009_06_10_1815_D%C3%A9bat%20sur%20le%20d%C3%A9r%C3%A8
glement%20climatique.mp3

Un programme d’action syndical écologiste…*

1. Favoriser une démarche
spécifique en matière de conscientisation et
d’éducation des militant·e·s. Il est
essentiel de mettre en lumière les causes structurelles du
changement climatique et le lien entre crise climatique et crise
capitaliste.




2. Impliquer la masse des
travail-leurs·-euses dans la lutte contre le changement
climatique par des pratiques démocratiques de contrôle des
salarié-e-s, qui sont les mieux placés pour
dénoncer les multiples gaspillages inhérents à la
production capitaliste.




3. Revendiquer la création
d’une entreprise publique dans le domaine de l’isolation et
de la rénovation énergétique des bâtiments.
Le parc immobilier est mal isolé et le restera longtemps dans la
mesure où la demande solvable pour isoler les maisons existantes
fait défaut.




4. Revendiquer une politique cohérente de développement et de gratuité des transports publics.



5. Miser sur l’action
internationale des travailleurs-euses pour imposer aux entreprises
multinationales des engagements de réduction des
émissions à l’échelle mondiale et des
investissements dans la recherche technologique.




6. Défendre la
formation/reconversion collective des travailleurs des secteurs
menacés dans le cadre de la transition vers une
société sans carbone fossile, avec maintien du salaire et
des droits. La transition vers une société sans carbone
fossile impliquera inévitablement des réductions
d’emplois dans certains secteurs polluants. Ces travailleurs ont
droit à un emploi et leur reconversion ne peut être
laissée aux bons soins des stratégies
néolibérales. Le mouvement syndical pourrait revendiquer
une formation et une reconversion collective sous contrôle des
intéressés, avec maintien des salaires et des droits
jusqu’à l’obtention d’un emploi.




7. Populariser l’idée que
l’énergie est un bien commun de l’humanité,
comme l’eau, et ne peut donc être laissée aux mains
du privé. 




Daniel Tanuro


*Il ne s’agit là que de très brefs extraits. Le document complet est disponible à l’adresse : www.europe-solidaire.org/spip.php?article12340