Faire reculer les apprentis dictateurs au Honduras

Faire reculer les apprentis dictateurs au Honduras

Un enjeu fondamental pour l’amérique latine

Depuis l’annonce du coup d’Etat de l’oligarchie
hondurienne, le 28 juin dernier, la presse internationale
s’efforce d’en restreindre la portée à une
querelle au sein des sphères du pouvoir. S’agit-il
d’ailleurs d’un coup d’Etat –
l’administration Obama n’utilise pas ce terme – ou
d’un conflit institutionnel entre le Président d’une
part, et le Congrès et la Cour Suprême de
l’autre ? Manuel Zelaya Rosales aurait eu
l’intention, nous dit-on, de modifier la constitution pour se
présenter une seconde fois à la magistrature
suprême, ce qu’auraient contesté de façon
certes un peu brutale, les autres organes du pouvoir d’Etat.
Dès lors, il appartiendrait à la
« communauté internationale », les
Etats-Unis en tête, de tenter de résoudre ce conflit de
façon pacifique et concertée.
    Avant l’ère de la United Fruit Co et
des républiques bananières, le sort de
l’Amérique centrale était déjà entre
les mains des grandes puissances, surtout de l’Angleterre et des
Etats-Unis, qui projetaient la construction d’une voie
ferrée – puis le percement d’un canal –
à travers l’isthme de Panama. Pour le Président US
Rutherford B. Hayes, tout canal de ce type serait
« virtuellement une partie de la côte des
Etats-Unis » (1879). Ainsi, l’ancienne Capitainerie
générale du Guatemala de l’empire espagnol, qui
avait donné naissance aux Provinces Unies
d’Amérique Centrale, indépendantes en 1823,
va-t-elle très vite éclater en cinq petits Etats
aisément contrôlables, à la souveraineté
douteuse : le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua
et le Costa Rica. Le Panama s’ajoutera à ce chapelet de
petits pays en 1903, suite à la sécession d’une
province colombienne, soutenue par Washington.
    Dès la fin du 19e siècle,
l’oligarchie régionale a vendu son âme aux planteurs
de bananes yankees. Le Honduras en devient même le premier
exportateur mondial. Cet Etat n’a désormais
« d’existence que dans la mesure où il brade
sa souveraineté auprès des compagnies
étrangères ». Le 20 juillet 1920, le
Vice-président US de l’une des deux majors
bananières, la Cuyamel Co., écrit ainsi à son
avocat hondurien : « Il est indispensable de
cultiver l’imagination de ces peuples asservis, de les subjuguer
à l’idée de notre puissance, et
particulièrement tous ces politiciens et autres galonnés
que nous devons utiliser. (…) [Il faut] faire en sorte que sa
classe privilégiée, dont il importe qu’elle soit
à notre service exclusif, se plie à nos
intérêts ». Et si les potentats locaux ne
sont pas à la hauteur, les marines US se chargent de
« rétablir l’ordre » : il
le feront à six reprises, en 1903, 1907, 1911, 1912, 1924 et
1925.

    Aujourd’hui, les Etats-Unis doivent tenir
compte de rapports de force bien différents à
l’échelle du sous-continent, notamment du prestige des
pays de l’ALBA (Venezuela, Cuba, Bolivie, Nicaragua et Honduras).
C’est la raison pour laquelle Barak Obama ne peut pas traiter les
putschistes honduriens comme Franklin D. Roosevelt le faisait du
dictateur nicaraguayen Somoza : « un fils de pute,
mais notre fils de pute ». Avec l’aide
précieuse du Mexique, de la Colombie et du Pérou, en tant
que partenaires les plus dévoués, mais aussi du
Brésil – principale puissance régionale –, il
s’agit en effet pour eux d’éviter que les victoires
électorales de la gauche latino-américaine, qui se sont
multipliées ces dernières années, n’ouvrent
la voie à une mobilisation des mouvements sociaux de nature
à mettre en danger les intérêts fondamentaux des
grandes sociétés occidentales. « Nous
poursuivons des objectifs beaucoup plus importants que les
bananes », expliquait déjà un diplomate US
du début du siècle dernier. C’est dans ce sens que
Washington ne peut pas soutenir ouvertement le putsch du Gén.
Romeo Vásquez, formé pourtant à l’Ecole des
Amériques de Fort Benning (Georgia). Il ne peut pas non plus
reconnaître sans autres le nouveau pouvoir du président
Roberto Micheletti, comme l’ont fait jusqu’ici Israël
et Taiwan.
    Ceci dit, le coup d’Etat hondurien
bénéficie aujourd’hui de solides appuis aux
Etats-Unis, dont la base aérienne de Soto Cano avait servi de
tête de pont à la Contra nicaraguayenne dans les
années 80. Il n’a d’ailleurs pas pu être
préparé sans la complicité même prudente de
secteurs de l’administration Obama. En effet, si le retour des
dictatures militaires n’est pas privilégié
aujourd’hui par les Etats-Unis, elle n’en demeure pas moins
une option de dernier ressort envisageable, lorsque les élites
locales défaites électoralement ne
bénéficient pas d’une légitimité
suffisante pour reconquérir le pouvoir par la voie des urnes, en
dépit de l’appui massif – politique,
économique et logistique – des multinationales et de
Washington, surtout dans un contexte où le mouvement social ne
cesse de gagner en puissance et en détermination. De ce point de
vue, le Honduras constitue un test important pour les forces
réactionnaires du sous-continent qui pourrait inspirer
d’autres tentatives liberticides, notamment en Bolivie ou au
Paraguay.

 Raison pour laquelle, la gauche anticapitaliste doit soutenir
activement la résistance courageuse du peuple hondurien, aux
côtés des mouvements sociaux d’Amérique
latine et du monde entier.

Jean Batou