Policiers pour l'été

Policiers pour l’été

Les romans policiers ont aujourd’hui bonne
presse tant auprès des lecteurs-trices que des critiques. Peut-être
s’agit-il d’y voir l’une des caractéristiques particulières de ce style
d’écriture littéraire. En effet, le roman policier ne permet-il pas,
mieux que tout autre, de saisir à vif les angoisses, les préoccupations
mais aussi les horizons d’attente de notre époque ? Certain-e-s en ont
même parlé comme du « sous-sol de la société contemporaine », parce que
le « roman légitime » « n’aborde pas des thèmes qui signifient une
transgression du consensus ». Le « roman policier » serait-il alors
aujourd’hui le seul « roman envisageable », « le seul roman de
gauche », comme le soutenait en 2001 l’auteur hispanique Manuel Vazquez
Montalbán? Alors embarquez-vous au port du frisson libérateur, et
passez un été hors d’haleine avec Yasmina Khadra et Arturo
Pérez-Reverte…

Les récits de Yasmina Kadra semblent correspondre
parfaitement au rôle que Manuel Vazquez Montalbán attribue
au roman
policier. Derrière ce nom d’emprunt féminin, en
fait les deux prénoms
de son épouse, se cache Mohamed Moulessehoulun, un officier de
l’armée
algérienne, qui craint alors les représailles d’un
corps qu’il ne
quitte qu’en 2000. En 1997, sort Morituri, le premier volume de
la
trilogie qui met en scène le commissaire Llob, le
« prototype de
l’Algérien révolté »,
« un écorché vif ». Personnage
attachant mais un
peu cynique, il mène l’enquête au cœur de
l’Algérie contemporaine, une
Algérie qui « saigne de partout, [qui] a des plaies
innommables au
ventre, au coeur, à la tête ».

Dans Morituri, puis dans Double
Blanc (1998) et L’Automne des Chimères (1998), le commissaire Llob,
« flic intègre et incorruptible », en guerre contre sa hiérarchie, est
aux prises avec la corruption rampante d’un pays déchiré par une guerre
civile qui le laisse exsangue. Mais c’est sans doute avec La part du
mort, paru en 2004, que le personnage acquiert sa véritable épaisseur.
Ce roman se situe chronologiquement avant la trilogie, avant la mort de
Brahim Llob ; il y évoque les lendemains de la révolution algérienne,
d’où les partisans de la « dernière heure » ont su tirer leur épingle
du jeu, et met en scène les conditions de l’explosion de violence et de
terreur de la guerre civile qui va suivre. De l’au-delà du récit
littéraire, le commissaire Llob et avec lui Yasmina Khadra chercheront
à comprendre ce qui a « détruit l’avenir ».

Autre lieu, autre
tableau, autre ambiance… La jeune mexicaine Teresa Mendoza est sous la
douche lorsqu’elle entend la sonnerie du téléphone ; elle sait alors
que son amant le Guëro Davila, « pilote d’avion à la solde du cartel de
Juarez », a été assassiné. Il ne lui reste que peu de temps pour
échapper à la mort. « Cours sans t’arrêter avait dit le Guëro et la
voix qui répétait les paroles du Guëro. Alors elle se mit à courir. »
C’est par ces quelques mots qu’Arturo Perez Reverte, grand reporter et
romancier castillan, commence La Reine du Sud, un roman noir bien
différent de ceux auxquels il avait habitué ses lecteurs-trices,
tarduit par François Maspero.

On lui connaissait un penchant pour
le roman policier historique (Le Maître d’escrime) et un véritable
talent pour les récits en trompe l’œil, écriture fine, en clair obscur
et en nuance (Le tableau du maître flamand) ; on lui connaissait
surtout ses héros masculins et solitaires rongés par la passion (le
maître d’escrime Don Jaime Astarloa ou l’antiquaire Muñoz). Avec La
Reine du Sud, Arturo Pérez-Reverte change résolument de décors.
Haletant au rythme de la course effrénée de cette héroïne improbable
qu’est Teresa Mendoza, ce roman nous conduit dans les bas-fonds du
trafic de drogue (Mexique, Espagne, Afrique du Nord). Le personnage
attachant Teresa Mendoza est entourée de deux figures qui donnent à
l’ouvrage toute sa profondeur, Patricia O’Farrel, sa compagne
d’infortune en prison, amoureuse d’elle, et Oleg Yassikov, le chef de
clan russe qui l’initie aux « affaires ». Intercalant l’histoire vécue
à la première personne par cette jeune femme naïve, douée pour les
chiffres, qui finit à la tête d’un véritable empire de la drogue, et la
reconstruction du journaliste d’investigation qu’on suppose être
Pérez-Reverte, ce roman dresse un tableau de femme émouvant et sans
concession.


Stéfanie Prezioso

Bonne lecture !



Le quatuor algérien

Yasmina Khadra Paris, Folio, 2008 (la trilogie + La part du mort)



La Reine du Sud

Arturo Pérez-Reverte, Paris, Seuil, 2004



Le Maître d’escrime,

Arturo Pérez-Reverte, Paris, Seuil, 2004.



Le tableau du maître flamand

Arturo Pérez-Reverte, Paris, LGF, 1994.