Honduras: un coup d'état qui ne veut pas dire son nom
Honduras: un coup d’état qui ne veut pas dire son nom
A laube du 28 juin, des soldats
honduriens ont arrêté le président Manuel Zelaya,
puis lont embarqué encore en pyjama dans un avion
à destination du Costa Rica. But de ce coup
dEtat : empêcher un processus menant à la
convocation dune assemblée constituante.
Il sagit dun retour aux pages les plus sombres du 20e
siècle, où le Honduras avait subi plusieurs dictatures,
entrecoupées dintermèdes
démocratiques : ainsi, en 1963, larmée
avait renversé le président Ramon Villeda, auteur
dune réforme agraire (pourtant inspirée de
l« Alliance pour le progrès », mise en
place par les USA pour contrer linfluence de la
révolution cubaine).
Aujourdhui, les USA disposent dune
importante base, à Palmerola. Si le Honduras na pas connu
de conflit armé interne, il a cependant été
impliqué dans les guerres dAmérique centrale des
années 80 : de 1980 à 1989, il a abrité les
« contras » en lutte contre le gouvernement
sandiniste du Nicaragua. Les armées hondurienne et salvadorienne
ont aussi coopéré pour lutter contre la guérilla
du FMLN. Des dizaines de militant·e·s de gauche,
syndicalistes et dirigeants paysans ont été
assassinés par des « escadrons de la
mort », et 184 disparitions restent non
élucidées. Récemment encore, un syndicaliste a
été abattu, alors quil venait de sexprimer
à la radio en faveur dune Assemblée constituante.
Un libéral trop à gauche
Elu président en 2006, Manuel Zelaya avait fait adhérer
son pays à lALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples
dAmérique). Cette politique insolite pour un
libéral issu de loligarchie lui a valu
lanimosité des classes dominantes et de
ladministration Bush.
« Jai pensé faire les changements à
lintérieur du système néolibéral
lui-même. Mais les riches ne veulent pas céder un kopek.
(
) Ils veulent tout pour eux. Alors, logiquement pour faire des
changements, il faut incorporer le peuple » (Manuel
Zelaya, cité par El Pais). Une opinion partagée par le
syndicaliste Carlos H. Reyes : « Avant 1970, l’Etat
recevait 25 % du PIB sous forme de revenus fiscaux et
aujourd’hui seulement 14 %. Une Constitution qui
détermine une politique fiscale redistributive des revenus est
un autre sujet de préoccupation pour les patrons. Ils ne veulent
même pas en entendre parler. Ils ne veulent pas perdre le moindre
de leurs privilèges, alors que 80 % de la population vit
dans la pauvreté » (« Coup
dEtat réactionnaire au Honduras »,
www.lcr-lagauche.be).
Désinformation massive
Nous sommes confrontés aujourdhui notamment de la
part du Monde, de Libération et dEl Pais à
une importante campagne de désinformation (Henri Maler,
« Sous-information et désinformation : loin
du Honduras », www.acrimed.org). On nous dit que le
scrutin du 28 juin aurait porté sur la
réélection de Zelaya. Or, la question exacte était
la suivante : « Etes-vous d’accord pour que, lors
des élections générales de novembre 2009, soit
installée une quatrième urne pour décider de la
convocation d’une Assemblée nationale constituante
destinée à élaborer une nouvelle Constitution
politique ? ».
Les putschistes ont fait brouiller plusieurs radios
honduriennes, ainsi que Telesur (chaîne de TV
latino-américaine). Mais ce blocus de linformation
na pas empêché la résistance populaire de se
manifester durant toute la semaine écoulée à
Tegucigalpa et dans le reste du pays. Le 5 juillet, des dizaines de
milliers de Honduriens 40 000 selon la presse
officielle, 250 000 selon Tele-sur manifestaient
à laéroport de Tegucigalpa, pour accueillir Manuel
Zelaya (dont lavion a été finalement
empêché datterrir). Fidèle à sa
tradition répressive, larmée a ouvert le feu,
faisant au moins deux morts et plusieurs dizaines de blessés.
Pourtant, une nouvelle manifestation sest déroulée
le 6 juillet dans la capitale (voir les sites :
www.rebelion.org ; www.aporrea.org ; www.fire.or.cr).
Putschistes isolés, mais déterminés
Sur le plan international, le régime de Roberto Micheletti
(promptement rebaptisé « Goriletti »
par plusieurs sites militants) est isolé. LOrganisation
des Etats américains (OEA) a exclu le Honduras de ses rangs ;
lUnion européenne a retiré ses diplomates ;
lONU se prononce pour le retour du président
légalement élu. Un bilan positif à première
vue, par rapport aux coups dEtat des années 1960 et 1970.
Or, la situation actuelle présente plusieurs inconnues :
1) La discrétion des USA (dont on peut douter
quils aient ignoré les préparatifs du putsch, vu
les contacts prolongés, depuis des décennies, entre
militaires US et honduriens) : sil ne reconnaît pas
le régime actuel, le président Barak Hussein Obama
demande « un dialogue entre toutes les parties pour une
issue pacifique » : en clair, un marchandage qui
impliquerait le retour de Zelaya contre la renonciation au processus
constituant.
2) Jusquoù les putschistes sont-ils
prêts à aller ? Contrairement au Venezuela, en
avril 2002, il ny a pas de fracture au sein de
larmée hondurienne. Les putschistes peuvent donc jouer
sur la répression et sur le temps, jusquaux
élections de novembre 2009. A ce moment-là, la situation
institutionnelle redeviendrait « normale »
avec un nouveau président, donnant un coup de barre
« droite
toute ! », au plus grand bonheur des classes
dominantes.
3) Troisième inconnue,
décisive : la résistance des organisations
populaires du Honduras, auxquelles nous devons apporter notre
solidarité active.
Hans-Peter Renk