Modification de la LOHM: La guerre des nocturnes est imminente

Modification de la LOHM: La guerre des nocturnes est imminente

Les patrons du commerce de
détail ont concocté un Projet de loi visant à
étendre les heures d’ouverture des magasins. Le projet est
brutal : tous les jours jusqu’à 20 h,
le samedi jusqu’à 19 h et quatre dimanches par
an. *

Le Grand Conseil pourrait voter cette modification de la Loi sur les
heures d’ouverture des magasins (LHOM), les 3-4 décembre
prochains, pour qu’elle puisse entrer en vigueur dès
juillet 2010. Les associations patronales ont en effet
décidé de quitter la table de négociations en
janvier 2009 pour passer en force. Par ailleurs, le Conseil
d’Etat garde d’autres projets dans sa manche, comme la
libéralisation totale des heures d’ouverture au Centre
ville et dans le périmètre de la rade « pour
encourager le tourisme ».

Concentration accélérée du secteur

Sous la pression des grands
distributeurs, la bataille des nocturnes fait rage dans toute la
Suisse, où les votations se multiplient aux niveaux cantonal
(Fribourg, Neuchâtel, Tessin) et fédéral (ouverture
des commerces le dimanche dans les gares et les aéroports,
2005). Cette offensive entend accélérer la concentration
de la distribution.

    Selon une étude du Crédit Suisse
(2009), durant les 30 dernières années, le nombre de
places de travail dans le commerce de détail alimentaire a
diminué de moitié, tandis que les surfaces de vente ont
doublé. A Genève, le commerce de détail compte
20 249 emplois dans 3168 établissements. Mais près
de 8000 salarié·e·s travaillent dans les 13 plus
grandes entreprises, réunies au sein du Trade Club, dont 3700
à Migros.

    Dans ces conditions, un nombre croissant de petits
magasins doivent fermer : une soixantaine par an à
Genève depuis 2001. Ce processus est dévoreur
d’emplois : en France, pour un poste de travail
créé en grande surface, 3 à 5 disparaissent
ailleurs ; en Suisse, les effectifs du secteur ont été
réduits de 12 % depuis 1985, malgré une explosion
de son chiffre d’affaires…

    Selon le Projet de loi, les commerces fermeraient
à 20 h en semaine. Le personnel ne serait ainsi
libéré qu’à
20 h 15–20 h 30 (le temps de compter
la caisse, de ranger, de se changer), avec un retour à la maison
souvent après 21 h. Quant aux petites entreprises, les
dernières heures de la journée, moins rentables (mais
obligatoires dans les centres commerciaux), seraient pour elles un
handicap supplémentaire.

Exploitation accrue du personnel

La valeur ajoutée d’une
heure de travail dans un grand magasin est deux fois supérieure
à celle de la moyenne de la branche. A COOP, de 2003 à
2008, la productivité horaire à ainsi crû de
30 %. En 2008, Manor annonçait une hausse de 3,5 %
de son chiffre d’affaires, COOP un bénéfice record
de 390 millions, et Migros le 3e meilleur résultat de son
histoire (701 millions de bénéfice).

    A Genève, la Convention cadre prévoit
pourtant un salaire minimum brut de 3720 frs pour les entreprises de 3
employé·e·s et plus. De 2002 à 2006, le
salaire réel médian a cependant reculé, au moins
pour 40 % du personnel exécutant les tâches les
plus répétitives. Ce secteur concentre 20 % des
postes de travail à très bas salaires :
35 % des vendeurs·euses subissent de surcroît des
temps partiels – le plus souvent imposés – contre
24 % en 1985. Ce sont des femmes dans 80 % des cas.

Flexibilisation du travail

L’allongement des heures
d’ouverture des magasins ne péjore pas que les conditions
de travail du personnel de la vente. Il a aussi un effet sur les
branches voisines et encourage la progression des formes de travail
atypiques dans de nombreux secteurs (le soir, la nuit, le dimanche,
etc.).

    Dans la distribution, un  contrat de travail de
8 h par semaine implique une disponibilité pendant toutes
les heures d’ouverture (65 h avec le Projet de loi). La
Convention cadre n’impose ni horaire régulier, ni jours de
congé fixes. Les plannings changent régulièrement
et ne doivent être annoncés par l’employeur que deux
semaines à l’avance (souvent moins). Ainsi, les maladies
professionnelles explosent (troubles musculo-squelettiques et troubles
du sommeil liés aux gestes répétitifs et aux
horaires irréguliers).

    En 2002, les syndicats avaient accepté un
allongement des horaires d’ouverture contre la signature de la
convention cantonale cadre, dont l’application laisse cependant
à désirer. Aujourd’hui, le nouveau Projet de loi
n’offre rien en échange. Bien au contraire, COOP
s’est retirée de la Convention cadre en 2006 ; Migros a
dénoncé la Convention régionale en 2008, et Manor
a licencié la représentante d’Unia pour
activités syndicales… Le renouvellement de la Convention
cantonale, qui arrive à échéance en 2010, est donc
bien hypothétique.

Non au consumérisme

L’extension des heures d’ouverture ne crée pas
d’emplois (de 2001 à 2005, le personnel des grandes
surfaces de plus de 250 salarié·e·s a
diminué de 30 % dans le canton). Elle ne favorise pas non
plus le commerce genevois au détriment du commerce frontalier,
qui n’a cessé de perdre des parts de marché depuis
2001 en raison du rééquilibrage des prix. Elle
répond en fait à une logique purement
consumériste : « Notre souhait est bel et bien
d’ancrer de nouvelles pratiques dans la vie des
citoyens » (M. Jeannerat, directeur de la Chambre de
commerce de Genève, Entreprise romande, 27 mars 2009).

    Si la nouvelle mouture de la LHOM était
adoptée les 3-4 décembre, il faudrait donc lancer un
référendum contre elle avec le front le plus large
possible de la gauche politique, syndicale et écologiste. Une
bataille qu’il serait possible de gagner, comme à
Fribourg, où les électeurs-trices viennent de refuser,
fin septembre, un projet de loi pour l’extension des heures
d’ouverture des magasins le samedi.

Jean Batou