Scénarios du pire et alternative écosocialiste
Scénarios du pire et alternative écosocialiste
Quelle est la situation de la
planète quelques mois avant la Conférence des Nations
Unies à Copenhague sur le Changement Climatique ? Quelle
alternative globale ?
Premier constat : tout saccélère bien plus
vite que prévu. Laccumulation de gaz carbonique, la
montée de la température, la fonte des glaciers polaires
et des « neiges éternelles », la
désertification des terres, les sécheresses, les
inondations : tout se précipite, et les bilans des
scientifiques, à peine lencre des documents
séchée, se révèlent trop optimistes. On
penche maintenant, de plus en plus, pour les fourchettes les plus
élevées, pour lavenir prochain. On ne parle plus
ou de moins en moins de ce qui va se passer à la
fin du siècle, ou dans un demi-siècle, mais dans les dix,
vingt, trente prochaines années. Il nest plus seulement
question de la planète que nous laisserons à nos enfants
et petits-enfants, mais de lavenir de cette
génération-ci.
La catastrophe imminente
Un exemple, assez inquiétant : si la glace du Groenland
fondait, le niveau de la mer pourrait monter de six
mètres : cela veut dire linondation, non seulement
de Dacca et autres villes maritimes asiatiques, mais aussi de
New York, Amsterdam et Londres. Or, selon Richard Alley,
glaciologue de la Penn State University, la fusion de la calotte du
Groenland, quon avait lhabitude de calculer en centaines
dannées, pourrait se produire en quelques
décennies (1).
Cette accélération sexplique,
entre autres, par des effets de rétroaction (feed-back).
Quelques exemples : I. la fonte des glaciers de
lArctique déjà bien entamée
en réduisant lalbédo, cest à dire le
degré de réflexion du rayonnement solaire (il est maximal
pour les surfaces blanches) ne peut quaugmenter la
quantité de chaleur qui est absorbée par le sol ; des
scientifiques ont calculé que la réduction de 10 %
de lalbédo de la planète aurait un effet
équivalent à la multiplication par cinq du volume de CO2
dans latmosphère (2). II. la montée de la
température de la mer transforme des surfaces immenses des
océans en déserts sans plancton ni poissons, ce qui
réduit leur capacité à absorber le CO2. Ce
phénomène sest accéléré,
selon une étude récente des océanographes du
National Atmospheric and Oceanic Administration, quinze fois plus vite
que prévu dans les modèles existants (3).
Dautres possibilités de
rétroaction existent, encore plus dangereuses. Jusquici
peu étudiées, elles ne sont pas incluses dans les
modèles du GIEC (Groupe dexperts Intergouvernemental sur
lEvolution du Climat), mais risquent de provoquer un saut
qualitatif dans leffet de serre :
I. Les 400 milliards de tonnes
de carbone, pour le moment emprisonnées dans le
pergélisol (permafrost), cette toundra congelée qui
sétend du Canada à la Sibérie. Si les
glaciers commencent à fondre, pourquoi le pergélisol ne
fondrait-il pas lui aussi ? En se décomposant, ce carbone
se transforme en méthane, dont leffet de serre est bien
plus puissant que le CO2.
II. Des quantités
astronomiques de méthane se trouvent aussi dans les profondeurs
des océans : au moins un trillion de tonnes, sous forme
de clathrates de méthane. Si les océans se
réchauffent, il est possible que ce méthane soit
libéré dans latmosphère, provoquant un saut
dans le changement climatique. (
) Selon
lingénieur chimiste Gregory Ryskin, une éruption
majeure du méthane océanique pourrait
générer une force explosive dix mille fois plus
importante que celle de lensemble du stock darmes
nucléaires de la planète (4). Mark Lynas, qui cite
cette source, en tire la conclusion quune planète avec
six degrés de plus serait bien pire que lEnfer
décrit par Dante dans la Divine Comédie
Or, selon
le dernier rapport du GIEC, la montée de la température
pourrait dépasser six degrés, considérés
jusquici comme le maximum prévisible.
Tous ces processus commencent de façon très graduelle,
mais à partir dun certain moment, ils peuvent se
développer par sauts qualitatifs. La menace la plus
inquiétante est donc celle dun runaway climate change,
dune poussée rapide et incontrôlable du
réchauffement. Il existe peu de scénarios du pire, du cas
où laugmentation de la température
dépasserait les 2-3 degrés : les scientifiques
évitent de dresser des tableaux catastrophiques (
) [En
réalité], les jeux ne sont pas encore faits, et il est
encore temps dagir pour inverser le cours des
événements. Mais il nous faut le pessimisme de la raison,
avant de laisser toute sa place à loptimisme de la
volonté.
Les solutions des élites dirigeantes
Qui est responsable de cette situation inédite dans
lhistoire de lhumanité ? Ce sont les
êtres humains, nous répondent les scientifiques.
Cest juste, mais un peu court : les êtres humains
habitent la terre depuis des millénaires, or la concentration de
CO2 a commencé à devenir un danger depuis quelques
décennies seulement. En tant que marxistes, nous
répondons ceci : la responsabilité en incombe au
système capitaliste, à sa logique absurde et myope
dexpansion et daccumulation à linfini,
à son productivisme irrationnel, obsédé par la
recherche du profit. En effet, tout lappareil productif
capitaliste est fondé sur lutilisation des
énergies fossiles pétrole, charbon
émettrices de gaz à effet de serre ; le même vaut
pour le système de transports routiers, surtout au cours des
dernières décennies, et pour la voiture individuelle.
Quelles sont donc les alternatives proposées
par les « responsables », les élites
capitalistes dirigeantes ? Cest peu de dire
quelles ne sont pas à la hauteur du défi. On peut
les ranger en trois grands groupes :
A. La politique de
lautruche : prétendre que la terre est plate et
que le changement climatique nest pas lié aux
activités humaines : ce serait par exemple le
résultat des tâches du soleil, ou autres explications
farfelues. Cétait, il ny a pas longtemps, la
position de ladministration Bush. Elle a été
défendue par un certain nombre décroissant
de scientifiques, certains lourdement subventionnés par
lindustrie pétrolière (5). On a
tenté de réduire au silence lopinion de
scientifiques « gênants » comme James
Hansen, le responsable climatique de la NASA. Cette
cécité climatique est une bataille darrière
garde, en perte de vitesse.
B. Les partisans du
« business as usual » : certes, le
problème existe, mais il peut être résolu par le
volontariat des entreprises et par des mesures techniques, sans
quil soit nécessaire de prendre des décisions
contraignantes chiffrées. Cette posture peut se combiner avec
une sorte d« opportunisme »
affairiste : puisque le réchauffement global est
inévitable, essayons den tirer le meilleur profit. Penons
lexemple de la fonte de la banquise arctique en
été. (
) Que font les gouvernements limitrophes de
la région, USA, Russie et Canada ? Ils se disputent,
à coups dexpéditions militaires patriotiques, le
tracé des zones respectives de souveraineté, en vue de la
future exploitation du pétrole qui gît actuellement sous
les glaces
Un autre exemple intéressant concerne la
Commission Européenne : un rapport
confidentiel (6) attirait lattention sur le danger
dune inondation de certains pays, tels que la Hollande, comme
résultat probable de lélévation du niveau
de la mer. Il considérait lhypothèse dun
déménagement massif de la population concernée qui
créerait des opportunités extraordinaires pour
lindustrie du bâtiment
Quelles sont les mesures techniques pouvant faire
front à la menace ? On trouve ici une grande
diversité de propositions. Certains relèvent de la
« géo-ingénierie » la plus
délirante : semer des fertilisants sur les océans
pour favoriser lessor du plancton ; diffuser dans la
stratosphère des myriades de fragments de miroirs, pour
réfléchir la chaleur solaire
Limagination
technocratique est assez fertile. Une autre voie, plus classique,
consiste à proposer lénergie nucléaire, qui
est censée ne pas produire démissions, comme
alternative. Sauf que, pour remplacer lensemble des
énergies fossiles, il faudrait construire des centaines de
centrales nucléaires, avec un nombre inévitable
daccidents un, deux, trois, plusieurs
Tchernobyls ? et une masse astronomique de
déchets radioactifs certains avec une durée de
vie de milliers dannées dont personne ne sait que
faire. Sans parler du risque majeur de prolifération militaire
des armes atomiques.
Mentionnons aussi le dernier remède miracle,
parrainé par les USA et le Brésil, mais qui
intéresse aussi lEurope : remplacer le
pétrole de toute façon destiné à
sépuiser par les biocarburants. Les
céréales ou le maïs, plutôt que de nourrir les
peuples affamés du Tiers Monde, rempliront les réservoirs
des voitures des pays riches. Selon la FAO, les prix des
céréales ont déjà considérablement
augmenté, en partie à cause de la forte demande de
biocarburants, vouant à la faim des millions de personnes des
pays pauvres (7). Ajoutons que, selon un nombre grandissant de
scientifiques, le bilan carbone de la plupart de ces agrocarburants
nest pas vraiment favorable, leur production
générant par les fertilisants, les transports,
etc autant démissions quils sont
censés économiser (par rapport au pétrole). Sans
parler de la déforestation que la production de ces carburants
est en train de provoquer, déjà, au Brésil et en
Indonésie. Ce nest encore quune tentative, assez
vaine, de sauver un système de transport irrationnel
fondé sur la voiture et le camion.
La plus intéressante de ces solutions
miracles est la capture et séquestration du carbone, qui
concerne surtout les centrales électriques. Reste que, pour le
moment, on ne connaît que quelques rares expériences
locales, et beaucoup dexperts mettent en doute
lefficacité de la méthode.
C. Les accords internationaux contraignants. Cest le cas de
Kyoto, porté notamment par les gouvernements européens.
Il représente, à certains égards, une vraie
avancée, par le principe même daccords
internationaux avec des objectifs chiffrés et des
pénalités. Cela dit, son dispositif central, le
« Marché des Droits dEmission »
sest révélé bien décevant :
lEurope, le groupe des pays les plus engagés, na
réussi pendant dix ans quà réduire les
émissions de 2 % ; on voit mal comment elle pourrait
atteindre lobjectif déclaré de 8 % en 2012,
si modeste quil naurait pratiquement aucune incidence sur
leffet de serre (8). Les quotas démission
distribués par les « responsables »
étaient si généreux, que (
) le prix de la
tonne de CO2 sest effondré de 20 euros en 2006 à
moins dun euro en 2007
Lautre dispositif de
Kyoto, les « Mécanismes de Développement
Durable » échange entre droits
démission au Nord et investissements
« propres » au Sud na
quune portée limitée, parce quil est
invérifiable et sert à couvrir toutes sortes de combines
et abus (9).
De Kyoto à Copenhague
Lune des vertus de Kyoto consiste à porter la question du
changement climatique sur le terrain politique. Ainsi,
lex-dirigeant du gouvernement conservateur dAustralie,
John Howard, un ami de Georges Bush et un négateur
obstiné du réchauffement de la planète
vient de perdre les élections au profit de son adversaire
travailliste, qui sest engagé à signer les accords
de Kyoto : cest la première fois dans
lhistoire que la question du changement climatique joue un
rôle important dans une élection.
En décembre 2009 se tiendra à
Copenhague la Conférence des Nations Unies sur le Changement
Climatique. Peut-on attendre un réveil tardif de la part des
oligarchies dominantes ? Rien nest exclu, mais
jusquici, toutes les propositions officielles le rapport
Stern (10) en est un exemple éclairant sont
parfaitement incapables de renverser le cours des choses, parce
quelles senferment obstinément dans la logique de
léconomie de marché capitaliste. Comme le constate
Hervé Kempf, journaliste au Monde : « le
système social qui régit actuellement la
société humaine, le capitalisme, sarc-boute de
manière aveugle contre les changements quil est
indispensable dopérer si lon veut conserver
à lexistence humaine sa dignité et sa
promesse » (11).
Pour affronter les enjeux du changement climatique,
et de la crise écologique générale, il faut un
changement radical et structurel qui touche aux fondements du
système capitaliste : une transformation non seulement
des rapports de production (la propriété privée),
mais aussi des forces productives (les moyens techniques et les
savoir-faire humains servant à produire). Cela implique une
véritable révolution du système
énergétique, du système des transports et des
modes de consommation actuels, fondés sur le gaspillage et la
consommation ostentatoire, induits par la publicité. Il
sagit dun changement du paradigme de civilisation, et de
la transition vers une nouvelle société, où la
production sera démocratiquement planifiée par la
population ; cest-à-dire, où les grandes
décisions sur les priorités de la production et de la
consommation ne seront plus décidées par une
poignée dexploiteurs, par les forces aveugles du
marché ou par une oligarchie de bureaucrates et dexperts,
mais par les travailleurs et les consommateurs, femmes et hommes,
après un débat démocratique et contradictoire
entre différentes propositions. Cest ce que nous
désignons par le terme écosocialisme.
Lalternative écosocialiste
Quest-ce donc que lécosocialisme ? Il
sagit dun courant de pensée et daction
écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du socialisme
tout en le débarrassant de ses scories productivistes.
Pour les écosocialistes, la logique du marché et du
profit de même que celle de lautoritarisme
bureaucratique de feu le « socialisme
réel » sont incompatibles avec les
exigences de sauvegarde de lenvironnement naturel. Tout en
critiquant lidéologie des courants dominants du mouvement
ouvrier, ils savent que les travailleurs·euses et leurs
organisations sont une force essentielle pour toute transformation
radicale du système et pour létablissement
dune nouvelle société socialiste et
écologique.
Lécosocialisme sest
développé surtout au cours des trente dernières
années. (
) Il est loin dêtre politiquement
homogène, mais la plupart de ses
représentant·e·s partagent certains thèmes
communs. En rupture avec lidéologie productiviste du
progrès dans sa forme capitaliste et/ou bureaucratique
et opposé à lexpansion à
linfini dun mode de production et de consommation
destructeur de la nature, il représente une tentative originale
darticuler les idées fondamentales du marxisme avec les
acquis de la critique écologique.
James OConnor définit comme
écosocialistes les théories et les mouvements qui
aspirent à subordonner la valeur déchange à
la valeur dusage (12) en organisant la production en
fonction des besoins sociaux et des exigences de la protection de
lenvironnement. Leur but serait une société
écologiquement rationnelle fondée sur le contrôle
démocratique, légalité sociale, et la
prédominance de la valeur dusage (13).
Jajouterais que : a) cette société suppose
la propriété collective des moyens de production, une
planification démocratique qui permette à la
société de définir les buts de la production et
les investissements, et une nouvelle structure technologique des forces
productives ; b) lécosocialisme est un
système basé non seulement sur la satisfaction des
besoins humains, démocratiquement déterminés, mais
aussi sur la gestion rationnelle collective des échanges de
matières avec lenvironnement, en respectant les
écosystèmes
.
Lécosocialisme développe une
critique de la thèse de la
« neutralité » des forces productives,
qui a dominé la gauche du 20e siècle, dans ses deux
versants social-démocrate et communiste, en particulier
soviétique. Cette critique pourrait sinspirer des
remarques de Marx sur la Commune de Paris : les
travailleurs·euses ne peuvent pas semparer de
lappareil dEtat capitaliste et le mettre à
fonctionner à leur service. Ils·elles doivent le
« briser » et le remplacer par un autre, de
nature totalement distincte, une forme non étatique et
démocratique de pouvoir politique. La même chose vaut,
mutatis mutandis, pour lappareil productif : par sa
nature, et sa structure, il nest pas neutre, mais au service de
laccumulation du capital et de lexpansion
illimitée du marché. Il est en contradiction avec les
impératifs de sauvegarde de lenvironnement et de
santé de la force de travail. Il faut dont le
« révolutionner », en le transformant
radicalement.
Cela peut signifier, pour certaines branches de la
production les centrales nucléaires par
exemple de les « briser ».
(
) Lensemble du système productif doit être
mis en question du point de vue de sa compatibilité avec les
exigences vitales de préservation des équilibres
écologiques. Cela implique tout dabord une
révolution énergétique : le remplacement
des énergies non renouvelables et responsables de la pollution,
de lempoisonnement de lenvironnement et du
réchauffement de la planète charbon,
pétrole et nucléaire par des énergies
« propres » et renouvelables (eau, vent,
soleil), ainsi que la réduction drastique de la consommation
dénergie (et donc des émissions de CO2).
Une autre civilisation
Cest lensemble du mode de production et de consommation
fondé par exemple sur la voiture individuelle et
dautres produits de ce type qui doit être
transformé, avec la suppression des rapports de production
capitalistes et le début dune transition au socialisme.
Jentends par socialisme, lidée originaire, commune
à Marx et aux socialistes libertaires, qui na pas grand
chose à voir avec les prétendus régimes
« socialistes » qui se sont
écroulés à partir de 1989 : il sagit
de « lutopie concrète »
pour utiliser le concept dErnst Bloch dune
société sans classes et sans domination, où les
principaux moyens de production appartiennent à la
collectivité, et les grandes décisions sur les
investissements, la production et la distribution ne sont pas
abandonnées aux lois aveugles du marché, à une
élite de propriétaires, ou à une clique
bureaucratique, mais prises, après un large débat
démocratique et pluraliste, par lensemble de la
population. Lenjeu planétaire de ce processus de
transformation radicale des rapports des humains entre eux et avec la
nature est un changement de paradigme civilisationnel, qui concerne non
seulement lappareil productif et les habitudes de consommation,
mais aussi lhabitat, la culture, les valeurs, le style de vie.
Quel sera lavenir des forces productives dans
cette transition au socialisme un processus historique qui ne
se compte pas en mois ou en années ?
Deux écoles saffrontent au sein de ce
quon pourrait appeler la gauche écologique :
A. Les optimistes, selon
lesquels, grâce au progrès technologique et aux
énergies douces, le développement des forces productives
socialistes peut connaître une expansion illimitée, visant
à satisfaire « chacun selon ses
besoins ». Cette école ne prend pas en compte les
limites naturelles de la planète et finit par reproduire, sous
létiquette « développement
durable » le modèle socialiste ancien.
B. Les pessimistes qui,
partant de ces limites naturelles, considèrent quil faut
limiter de façon draconienne la croissance démographique
et le niveau de vie des populations. Il faudrait prendre la voie de la
décroissance, au prix du renoncement aux maisons individuelles,
au chauffage, etc. Comme ces mesures sont fort impopulaires, cette
école caresse parfois le rêve dune
« dictature écologique
éclairée ».
Il me semble que ces deux écoles partagent une conception
purement quantitative de la « croissance » ou
du développement des forces productives. Une troisième
position, qui me paraît plus appropriée, défend un
changement qualitatif du développement. Il sagit de
mettre fin au monstrueux gaspillage de ressources par le capitalisme,
fondé sur la production à grande échelle de
produits inutiles ou nuisibles : lindustrie
darmement est un exemple évident. Il sagit
dorienter la production vers la satisfaction des besoins
authentiques, à commencer par ceux quon peut
désigner comme « bibliques » :
leau, la nourriture, le vêtement, le logement
auxquelles il faut ajouter, bien entendu, la santé,
léducation et la culture. (
)
Les pessimistes répondront que les individus
sont mus par des désirs et des aspirations infinies, quil
faut contrôler et refouler. Mais lécosocialisme est
fondé sur un pari, qui était déjà celui de
Marx : la prédominance, dans une société
sans classes, de l« être » sur
« lavoir », cest-à-dire
la réalisation personnelle, par des activités
culturelles, ludiques, érotiques, sportives, artistiques,
politiques, plutôt que le désir daccumulation
à linfini de biens et de produits. Ce dernier est induit
par le fétichisme de la marchandise, inhérent au
système capitaliste, par lidéologie dominante et
par la publicité : rien nindique quil
constitue une « nature humaine
éternelle ».
Cela ne veut pas dire quil ny aura pas
de conflits, entre les exigences de la protection de
lenvironnement et les besoins sociaux, entre les
impératifs écologiques et les nécessités du
développement, notamment dans les pays pauvres. Cest
à la démocratie socialiste, libérée des
impératifs du capital et du
« marché », de résoudre ces
contradictions.
Que faire ?
Oui, nous répondra-t-on, elle est sympathique cette utopie, mais
en attendant, faut-il rester les bras croisés ?
Certainement pas ! Il faut mener bataille pour chaque
avancée, chaque mesure de réglementation des
émissions de gaz à effets de serre, chaque action de
défense de lenvironnement. (
) Certaines demandes
immédiates sont déjà, ou peuvent rapidement
devenir le lieu dune convergence entre mouvements sociaux et
écologistes, syndicats et défenseurs de
lenvironnement, « rouges » et
« verts ». Elles
« préfigurent » souvent ce que
pourrait être une société
écosocialiste :
Remplacement progressif des
énergies fossiles par des sources dénergie
« propres », notamment le solaire.
Promotion de transports publics
trains, métros, bus, trams bon
marché ou gratuits comme alternative à
létouffement et à la pollution des villes et des
campagnes par la voiture individuelle et le système des
transports routiers.
Lutte contre le système de la
dette et des « ajustements »
ultra-libéraux imposés par le FMI et la Banque Mondiale
aux pays du Sud, aux conséquences sociales et écologiques
dramatiques : chômage massif, destruction des protections
sociales et des cultures vivrières, destruction des ressources
naturelles pour lexportation.
Défense de la santé
publique contre la pollution de lair, de leau (nappes
phréatiques) ou de la nourriture par lavidité des
grandes entreprises capitalistes.
Développement subventionné de lagriculture biologique, à la place de lagro-industrie.
Réduction du temps de travail
comme réponse au chômage et vision de la
société privilégiant le temps libre par rapport
à laccumulation de biens. (14)
La liste des mesures nécessaires existe, mais elle est
difficilement compatible avec le néolibéralisme et la
soumission aux intérêts du capital
Chaque victoire
partielle est importante, à condition de ne pas se limiter aux
acquis, mais de mobiliser immédiatement pour un objectif
supérieur, dans une dynamique de radicalisation croissante.
Chaque gain est précieux, non seulement parce quil
ralentit la course vers labîme, mais parce quil
permet aux individus, femmes et hommes, notamment aux travailleurs et
aux communautés locales, plus particulièrement paysannes
et indigènes, de sorganiser, de lutter et de prendre
conscience des enjeux du combat, de comprendre par leur
expérience collective la faillite du système capitaliste
et la nécessité dun changement de civilisation.
Michael Löwy *
* Nous publions ici une version très légèrement
abrégée du texte paru sur le site de la revue Contretemps
(www.contretemps.eu). Intertitres de solidaritéS.
1 Fred Pearce, The Last Generation, Reading, Eden project books, 2006, pp. 83, 90.
2 Calculs dexperts du Scripps Institution of
Oceanography de San Diego, Californie, cités par Fred Pearce,
The Last Generation, p. 168.
3 Le Monde, 5 févr. 2008, p. 8.
4 Mark Lynas, Six Degrees. Our Future on a Hotter Planet, London, Fourth Estate, 2007, p. 251.
5 On trouve un chapitre éloquent au sujet de
ce déni du changement climatique dans le livre de Georges
Monbiot, Heat: How to Stop the Planet Bruning, Londres, Allen Lane,
2006.
6 «Changement Climatique et
Sécurité Internationale», rapport de Javier Solana
et de la Commission européenne, présenté au
Conseil, le 13 mars 2008.
7 FAO, La situation mondiale de lalimentation
et de lagriculture 2008, p. 98.
ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/i0100f/i0100f06.pdf
8 Cf. Le Monde, 7 déc. 2007, p. 7.
9 Sur les limites de Kyoto et sur la crise du
changement climatique, voir lexcellent dossier
rédigé et organisé par Daniel Tanuro pour la revue
Inprecor (nº 525, mars 2007), sous le titre « Le capitalisme
contre le climat ».
10 Rapport sur léconomie du changement
climatique rédigé par léconomiste Nicholas
Stern pour le gouvernement britannique en 2006. Résumé en
français : www.hm-treasury.gov.uk/d/stern_longsummary_french.pdf.
11 Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Paris, Seuil, 2007, p. 8.
12 La valeur dusage dune marchandise
correspond à son utilité, sa capacité à
satisfaire un besoin, alors que sa valeur déchange est
représentée par son prix relatif.
13 James OConnor, Natural Causes. Essays in
Ecological Marxism, New York, The Guilford Press, 1998, pp. 278, 331.
14 Voir Pierre Rousset, « Convergence de
combats. Lécologique et le social », Rouge,
16 mai 1996, pp. 8-9.