Conférence d’Elisabeth Joris: « Le MLF en Suisse, quelle histoire ! »
Conférence dElisabeth Joris: « Le MLF en Suisse, quelle histoire ! »
dêtre à la fois historienne du féminisme et
militante féministe. Elle ne pense pas du tout que ces deux
fonctions soient incompatibles. Toute approche historique est
idéologique, tous les historiens et toutes les historiennes ont
des partis pris et personne ne peut se revendiquer dune
objectivité absolue. A son avis, les témoins participent
aussi de lécriture de lhistoire.
Un simple sac en plastic sous un lit
Cest parce quelle était active au Mouvement des
femmes, le FBB à Zurich, quelle a reçu
dAnne-Marie Käppeli et de Martine
Chaponnière, historiennes et féministes genevoises, tout
un sac darchives du MLF de Genève. Elisabeth était
en train déditer un livre de sources sur lhistoire
des femmes en Suisse du 19e au 20e siècle, un travail qui a
duré bien plus longtemps que prévu. Comme il
sagissait dun simple sac en plastique, elle a longtemps
caché ce sac sous son lit, par peur de le perdre ou de se le
faire voler, avant de pouvoir travailler sur les documents.
Depuis près de 40 ans, elle se consacre
à lhistoire des mouvements féministes suisses et
elle est particulièrement intéressée par le MLF,
qui a marqué une rupture avec les pratiques et les
revendications des organisations féministes
« traditionnelles ».
Il a fonctionné sans structure
établie, sans hiérarchie, et pour dire vrai, de
façon chaotique. Fondamentalement, il a mis en cause
lordre établi, patriarcal et capitaliste. Il a
été essentiellement centré sur les questions du
corps des femmes : sexualité, santé, violences,
contraception, avortement, accouchement, etc. (la défense du
travail ménager fait aussi référence à sa
pénibilité qui détruit le corps des femmes). Il a
utilisé des formes nouvelles : lhumour, la
provocation, linsolence, la crudité, voire la
grossièreté et même
lillégalité. Cet état desprit et
daction a duré une dizaine dannées, puis
sest estompé au profit dassociations
spécialisées, qui peu à peu se sont
professionnalisées et institutionnalisées.
Le mouvement pour la paix, où les
féministes ont été nombreuses, le mouvement pour
les droits civiques des Noirs aux USA et le mouvement
écologique, qui lui ont succédé, se sont
inspirés de ses méthodes.
En Suisse, son esprit a réapparu lors de
lorganisation de la journée de revendication des femmes,
le 14 juin 1991.
Archives privées ou dEtat ?
Comment faire pour que les militantes déposent leurs archives
personnelles aux Archives du MLF, qui viennent dêtre
inaugurées ?
Il faut quelles se reconnaissent comme
actrices de lHistoire, avec un grand H. LHistoire, telle
quon nous la apprise, est celle du pouvoir ! Les
femmes ont toujours été éloignées du
pouvoir. Jusquà très récemment, seules les
archives privées, telles que Les Archives de la vie
privée, initiées entre autres par Anne-Marie
Käppeli, prenaient en compte les documents sur les femmes ou
provenant des femmes. En fait, même les correspondances intimes
font partie de lHistoire. De nouvelles théories
historiques leur reconnaissent toute leur valeur, mais elles peinent
encore à parvenir jusquau grand public.
Dans le débat qui suivit la
conférence, plusieurs participantes donnèrent leur avis
sur ce point. Certaines femmes acceptent volontiers de déposer
leurs souvenirs dans des fonds tels que les Archives du MLF ou les
Archives contestataires, mais hésiteraient fortement à en
faire don aux archives de lEtat. Mais la question de la
pérennité des archives privées se pose. Elisabeth
Joris pense que lEtat devra prendre en charge ou aider ces
archives privées. Cela a été fait partiellement
dans le canton des Grisons, grâce aussi au soutien
régulier de la cheffe du département des finances, une
certaine Evelyne Wiedmer-Schlumpf (!). Quatre volumes sur
lhistoire des femmes du canton des Grisons ont pu être
publiés. Et les recherches peuvent continuer. Ce domaine
essentiel de lhistoire va peu à peu conquérir le
terrain et être reconnu à part entière.
La mémoire des témoins est
évidemment sélective, nous rappelle Elisabeth Joris, lors
du débat. Et la récolte des données est aussi
sélective. La Fondation Gosteli, par exemple, récolte
certes aussi les documents du MLF, mais les juge trop
« idéologiques ». Ce faisant, elle
prend avant tout des archives du milieu
« bourgeois », tout aussi entachées
didéologie ! La multiplicité des approches
est garante dune certaine honnêteté, mais non pas
de la vérité !
Elisabeth Joris nous parle encore des jeunes
historiennes de Zurich et de Bâle, souvent filles de militantes
MLF, qui ont une autre approche des femmes, en partant de leur
vécu présent. Et une participante rappelle que
lhistoire des lesbiennes nest pas assez investie.
Elisabeth Joris cite le centre des archives lesbiennes
(Frauen/Lesben-Archiv) qui a été repris par le
Schweizerische Sozialarchiv à Zurich (www.sozialarchiv.ch) en
2008.
Maryelle Budry
Quelle histoire !
Cest par une fête aux reflets des années 70 que
linventaire du Fonds dArchives du MLF a été
inauguré début novembre à Genève.
« Jaime les filles du MLF »,
« Bella chiao », « Levons-nous
femmes esclaves ! Debout ! » et autres
refrains détournés par les femmes du Mouvement ont
à nouveau été chantés avec vigueur,
après la conférence dElisabeth Joris. Et des
féministes « historiques » comme on
dit maintenant mais cette fois, cétait vraiment
loccasion de le dire regardaient avec attendrissement et
fierté les affiches et documents exposés, et consultaient
la brochure de présentation, rédigée par plusieurs
dentre elles.
Les Archives du MLF constituées de tracts,
brochures, périodiques (LInsoumise, Réelles, Bon
sang, etc), affiches, pétitions, notes manuscrites, articles et
communiqués de presse, émissions radio et films, en
tout, une quinzaine de mètres de documents qui
reflètent la vie des féministes genevoises entre 1970 et
1991 et leurs nombreux engagements, sont maintenant classées et
ouvertes au public, 2 rue de la Tannerie, à Carouge, dans les
locaux dEspace Femmes International, derrière la villa du
Service pour la promotion de légalité. MB