En finir avec la dépendance de l’aide
En finir avec la dépendance de laide
Le CETIM vient de publier deux petits
ouvrages sur laide publique au développement (APD) dont
nous avions fait la promotion dans un précédent
numéro. La qualité de ces publications nous amène
à y revenir.
«Le pouvoir du marché et le pouvoir de laide
partagent la même adresse (
) largent de
laide et la plupart de ses destinations sont dune
importance mineure comparés aux grands enjeux de la balance
commerciale militaire, mais laide est dune importance
majeure pour les élites mondiales ». Cette
assertion de David Sogge (2002) résume assez bien la ligne
directrice qui guide les auteurs de ces ouvrages. Cest
essentiellement à la Banque mondiale, à
lOCDE et au sein de lUnion Européenne que sont
définis la destination, les montants et les
conditionnalités de lAPD dans le cadre dune vision
héritée de la colonisation. La Déclaration de
Paris, adoptée en 2005 lors dun Sommet mondial
organisé par lOCDE, est le dernier né des textes
dorientation de lAPD. Il constitue une régression
par rapport aux pratiques des « décennies du
développement » (1960 1970) ou même
de celles qui, en 1986, permettaient aux non-alignés
dimposer leur point de vue lors de ladoption de la
Déclaration sur le droit du développement. Quels sont les
principes normatifs de lAPD ? quels sont les liens entre
le niveau bilatéral et le niveau multilatéral ?
à quels pays est-elle destinée ? quels types de
programmes sont financés par lAPD ? qui en profite
et de quelle façon ? Quelles en sont les
conséquences économiques et sociales pour les pays qui la
reçoivent ? quelle est la politique suivie par la Suisse
en la matière ? Les deux ouvrages publiés par le
CETIM y répondent de façon critique et
détaillée.
Des « peanuts » au service de limpérialisme
Ce qui est nommé de façon perverse
« aide » publique au développement,
nest que peanuts en regard des montants en jeu dans les flux
financiers et commerciaux internationaux. Ces quatre dernières
années, les échanges avec les économies
émergentes, Chine et Inde, ont rapporté aux pays pauvres
bien plus que toute lAPD des pays occidentaux en 25 ans. En
2007, les pays donateurs utilisent à peine, en moyenne,
0.28 % de leur revenu national brut à lAPD contre
les 0.7 % prôné par lONU il y a trente ans.
En outre ils gonflent artificiellement ces chiffres puisque 17 %
des montants totaux comprennent des annulations ou remises de dettes,
les frais déducation des étudiants
étrangers ou encore laccueil des réfugiés.
Cependant cet instrument a une importance qualitative pour les
élites mondiales et des conséquences dramatiques pour les
populations du sud. Il a permis dencourager le mode de
développement des puissances occidentales pendant la guerre
froide et par là de contenir linfluence de la Chine et de
lURSS. Après la chute du mur de Berlin, laide
internationale a été utilisée afin de
« pénétrer » les marchés
en favorisant la libre circulation des capitaux et les flottements des
monnaies par les conditionnalités imposées à
loctroi de laide. Lévolution des dix
dernières années montre que la part de lAPD visant
à renforcer le développement du secteur financier et du
commerce sest stabilisée alors que la part de celle
axée sur la « gouvernance du secteur public et
état de droit » a augmenté de 10 à
45 %.
Yash Tandon parle ici dune nouvelle
étape placée sous le signe de l« aide
idéologique », la plus dommageable
puisquelle renforce de façon considérable la
dépendance des pays qui la reçoivent. Elle prend
essentiellement la forme dun transfert de connaissances et
dassistance technique qui permet aux pays donateurs
dinterférer directement « dans le cur
et lesprit » des élites politiques ainsi que
sur leurs institutions. Les exemples des conséquences
néfastes de lAPD sont nombreux : le gouvernement
de Zambie a dû couper dans ses dépenses de santé et
déducation, dévaluer sa monnaie et vendre ses
entreprises étatiques à de grandes sociétés
étrangères ; lAPD constitue 49,5 % du PIB
du Burundi et 120 % de celui du Libéria en 2007 ; la
dette extérieure publique des 145 pays dits « en
développement » qui sélevait à
1350 milliards de dollars en 2007 accapare en moyenne 20 à
30 % de leurs budgets.
Pour une réforme urgente de lAPD
La question dune réforme radicale de lAPD est
urgente, compte tenu des conséquences attendues de la crise
financière internationale sur les pays du sud (explosion de leur
dette extérieure et 53 millions de personnes
supplémentaires vivant dans la grande pauvreté). Les
auteurs plaident pour une APD au service de projet
socio-économique et non gonflée artificiellement par des
dettes annulées ou autres frais qui nont rien à
voir avec le développement. Une APD dont seule lONU, dans
un cadre contraignant, aurait pour responsabilité
délaborer une vision globale. Cependant, cela nest
pas suffisant. Il est urgent que les pays du sud mettent sur pied
des institutions et un mode de développement alternatifs
fondés sur des formes de coopération régionale
afin de rétablir les termes de léchange.
Isabelle Lucas
LAPD et la Suisse
« Investissez dans un enfant des rues » tel est
le slogan de la dernière campagne marketing de lONG
daide à lenfance meurtrie : Terre des
hommes. Il fait écho à la présentation que fait la
DDC de la coopération au développement associée
à un investissement pour la Suisse : elle
« bénéficie aussi à
léconomie suisse », elle permet
d« accroître la sécurité chez
nous » et elle permet déviter les
« problèmes » qui
« coûtent plus cher encore ». Le SECO,
la DDC et les ONG se partagent laction de laide dans une
tradition de bonne collaboration. LAPD suisse se monte en
moyenne à 0,34 % du PIB, environ 2,1 milliard de Frs, et
est destinée principalement aux « pays les moins
avancés ». LAPD sert à ouvrir les
brèches dans les économies doutre-mer pour le
commerce et les investissements helvétiques.
Lexcédent commercial de la Suisse avec les pays en
développement sest élevé à 9,1
milliards de frs en 2006. Si lon inclut lInde et la
Chine, il faut ajouter encore 10 milliards dexcédent. IL