La laïcité, une réponse à un vote islamophobe ?

La laïcité, une réponse à un vote islamophobe ?

Retour sur le vote discriminatoire du 30 novembre dernier et sur la question de la laïcité.

Le nouvel article constitutionnel anti-minaret soulève de
nombreuses questions: comment contrer cette disposition discriminatoire
qui viole la Convention européenne des droits de l’homme
(CEDH) dont la Suisse est signataire ? Comment poursuivre la
lutte contre l’islamophobie ? En présentant les
minarets comme « symboles apparents d’une
revendication politico-religieuse du pouvoir qui remet en cause les
droits fondamentaux », les partisans de l’initiative
contre la construction de minarets ont ouvert la boîte de pandore
du débat sur le rapport entre Eglise et Etat. Ils ont
alimenté un fantasme, celui de voir un islam
« essentialiste et politique »
s’imposer en Occident. La Suisse n’avait pas connu de vote
similaire depuis celui portant sur l’interdiction de
l’abattage rituel en 1893. En 1893, c’est une autre
communauté religieuse très minoritaire qui en
était la cible. Hier les juifs, aujourd’hui les musulmans,
antisémitisme et islamophobie peuvent aller de pair ! Les
raisons qui ont amené 57,5 % des électrices et
électeurs a accepté l’initiative anti-minaret sont
multiples : vote de peur avec des relents racistes, expression
d’angoisses sociales, identitaires, sécuritaires qui se
fixent sur un bouc-émissaire ou alors  réponse
à de prétendues menaces religieuses. C’est ce motif
qui trouve aujourd’hui un écho à gauche (Jeunesses
socialistes par exemple), sous la forme de la
« défense de la laïcité ».
Or il n’existe aucun problème véritablement
significatif de ce point de vue, ni en matière d’exercice
de la liberté de croyance ni par rapport à la
séparation entre institutions religieuses et institutions
étatiques. Ce sont les débats sur l’interdiction du
port du voile, de la burka ou sur celle du crucifix qui risquent de
renforcer des réflexes communautaristes et religieux à
l’encontre d’une réflexion et d’une
activité collectives sur le terrain de la solidarité
sociale. L’UDC, comme la droite patronale, ont tout à y
gagner !
 

La  laïcité : une nouvelle religion ?

La Constitution fédérale garantit la liberté de
conscience et de croyance, toute personne ayant le droit de choisir
librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions
philosophiques et de les professer individuellement ou en
communauté (art.15). La réglementation des rapports entre
l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons (art.72).
Cela implique que chaque canton définit la relation qu’il
souhaite entretenir avec les églises historiques (église
catholique romaine et église réformée), ainsi
qu’avec les autres religions. Il existe dès lors 26
systèmes différents qui aménagent les relations
entre Eglise et Etat.

    Le vote sur les minarets a fait ressortir, à
gauche, un discours de principe  en matière de
laïcité. Nous nous revendiquons d’un humanisme
émancipateur, qui critique l’obscurantisme et tout ce qui,
dans les religions, détourne des responsabilités
humaines, des objectifs démocratiques et égalitaires.
Dans de très nombreuses religions, les femmes sont
considérées comme des êtres inférieurs et
sont discriminées. Pour mieux combattre les courants
intégristes existant dans toutes les religions, pour contrer
l’idéologie d’une Europe
judéo-chrétienne qui s’opposerait à la
montée en puissance de l’islam, une approche
anti-cléricale, mettant en avant une laïcité qui
viserait à éradiquer la religion, n’est pas
adéquate. Cette laïcité conquérante risque
bien plus de contribuer à la réaffirmation d’une
identité religieuse. Au fondement de la laïcité se
trouve l’exigence de la liberté d’expression et de
la libre pensée, celui d’un ordre institutionnel qui
garantit la liberté de quitter une religion, de la critiquer,
grâce à l’exercice des droits démocratiques.
Au lieu de souligner le rôle des collectivités publiques
en cette matière, celui de veiller à la coexistence sans
heurt de l’exercice des religions et de toutes les convictions
dans un espace public et démocratique, la laïcité
anti-religieuse, la religion de l’Etat athée, renforce
inévitablement le sentiment d’identité religieuse
dès lors que cette dernière est attaquée.

Les peurs changent de couleurs, les inégalités sociales sont toujours plus marquées !

Après l’instrumentalisation durant des décennies du
« péril rouge », c’est le
péril vert, celui de l’islam, qu’agitent les
dirigeants du monde, mettant en avant un « choc des
civilisations ». Nous assistons à un brouillage de
piste généralisé, visant à effacer les
repères démocratiques et à imposer une vision
manipulée faisant de l’islam l’ennemi 
principal du « monde occidental ». Les
périodes de crise économique, de baisse du pouvoir
d’achat, de montée du chômage, de
précarisation croissante, bref le recul social
généralisé constitue un terreau
particulièrement fertile pour nourrir les germes d’une
telle stigmatisation. Ce sont ces mêmes mécanismes qui
étaient à l’œuvre à la fin des
années 1920 en Europe.

    Le vote du 29 novembre en Suisse et l’onde de
choc qu’il a provoqué sont symptomatiques d’une
ombre sombre qui plane sur l’Europe. Le débat sur
l’identité nationale lancé par Sarkozy en France ou
la percée la Ligue du Nord et les politiques ouvertement
xénophobes du gouvernement Berlusconi en Italie sont du
même tonneau : une Europe en crise, qui avale
l’argument du risque d’« invasion
musulmane » pour se constituer une identité et se
barricader. Il y a réorganisation par les dominants, sur un
plan  idéologique, des préjugés racistes qui
visent tous les migrant·e·s et qui permettent de faire
passer des politiques de régression sociale et d’attaque
aux droits fondamentaux. En Suisse, la droite patronale multiplie les
mauvais coups. Son calendrier dans les mois qui viennent est
chargé : prochaine révision de la loi sur le
chômage qui va toucher de plein fouet les jeunes entre 20 et 30
ans, 11e révision de l’AVS, 6e révision de
l’AI qui vise à réduire les rentes de 5 %.
Il y a urgence à construire une riposte sociale solidaire, avec
toutes celles et ceux qui refusent de payer la crise de ce
système, quelle que soit la couleur de leur passeport ou leur
croyance religieuse.


Justine Détraz et Jean-Michel Dolivo