Avatar anti-impérialiste?
Avatar anti-impérialiste?
Ou quand le dernier blockbuster
hollywoodien se révèle porteur dun message fort
sur laltérité et lécologie…
Après le succès de Titanic, James Cameron revient avec un
nouveau film en passe de battre tous les records de
fréquentation : Avatar. Ce qui surprend en premier
à la vision de ce film, cest la différence
didéologie avec ce quon a connu quelques
années auparavant, dans la période du triomphe de Bush.
Si on pense seulement à 300, film de Zack Schnyder, qui fut
à 2007, ce quAvatar est à 2010. Tout deux sont des
blockbusters reposant notamment sur des effets spéciaux pointus.
300 racontait la bataille des Thermopyles. Le film, sans finesse,
faisait figure de véritable propagande, utilisant un
épisode antique pour glorifier la guerre américaine en
Irak. Le récit montrait, sans rire, 300 forts et courageux
blancs (les Spartes), adeptes de la virilité et de
leugénisme, vaincre les meutes darabes (les
Perses, référence directe à lIran),
dépeints comme lâches, monstrueux et servant un faux dieu.
Dans Avatar, on assiste à linverse : critique de
limpérialisme et appel au respect des peuples et de la
nature. Mais comment un film issu de la pointe même du commerce
culturel capitaliste peut-il soudainement se faire le chantre de
lanti-impérialisme ? Cest bien là un
des aspects si spéciaux du cinéma. Sadressant aux
émotions et aux valeurs collectives populaires, il finit parfois
par séloigner de lidéologie dominante pour
atteindre un horizon idéal et désirable.
Nature VS profit
Avatar est un film de science-fiction. Des troupes américaines,
désormais privatisées, se basent sur une planète
dans le but de saccaparer un minerai énergétique.
Problème celui-ci se trouve sous la ville de la population
indigène, les Navi. Avant dattaquer,
larmée tente la manière diplomatique en envoyant
des émissaires avatars, en tout point semblables aux Navi
mais controlés télépathiquement par des humains.
Un de ces avatars, guidé par un soldat, réussit à
se rapprocher du peuple Navi au point de sy faire
accepter comme membre à part entière. Venu dans
lidée dinfiltrer pour mieux trahir, le soldat
finit par sidentifier à son nouveau peuple et par prendre
la tête de la résistance face à ses anciens chefs.
Avatar montre le conflit entre deux visions du
monde: dun côté un impérialisme capitaliste,
de lautre un peuple dont la philosophie est lharmonie
avec la nature. Et entre les deux, le film indique directement pour qui
il faut trancher. Les humains sont dépeints pour la plupart
comme grossiers, égoïstes, dépourvus de toute
valeur, le réalisateur jouant comme souvent avec le
cliché du G.I. Joe. Si les humains sont venus sur cette
planète et comptent la conquérir, cest uniquement
par recherche du profit. A aucun moment, la question du respect de
lautre nest abordée. Il sagit bien
dune vision critique de la politique militaire américaine
actuelle, qui pour sapproprier le pétrole, envahit des
pays au Moyen-Orient au mépris des peuples locaux et de leurs
croyances. Invasion qui répond presque exclusivement à
des intérêts financiers privés.
De leur côté, les Navi sont
présentés comme une civilisation vivant en parfait accord
avec la nature. Leur ville se trouve au sein dun arbre
gigantesque. Ils pratiquent cueillette et chasse. Lorsquils
tuent un animal, ils le font de manière à ce quil
ne souffre pas, et le remercie lui et la nature pour son don. Ils
considèrent que lensemble de la nature forme un tout et
que chacun y a autant sa place. Cameron a même
décidé daller jusquà
matérialiser le lien organique entre les Navi et les
animaux quils dressent. Lorsquils se mettent sur une
monture terrestre ou aérienne, les Navi prennent la
pointe de leur chevelure et
l« insèrent » dans la chevelure
de lanimal, pouvant grâce à cette connexion
communiquer avec lui par la pensée et sentir ensemble. Les
Navi sont montrés sous un jour idyllique au milieu
dune nature inconnue et merveilleuse, qui malheureusement
pâti dun bestiaire et dun graphisme à vrai
dire assez ringard. Néanmoins le spectateur ressent une certaine
mélancolie face à ce paradis imaginaire. Mais ne
sagirait-il pas plutôt dun paradis perdu ?
Revivre la rencontre avec les Indiens
De nombreux indices nous mettent sur une piste. Les Navi se
bâtent avec des flèches, portent des peintures sur leurs
visages et sont vêtus de pagnes
ce sont des Indiens
dAmérique. Quoi détonnant quand on pense
que pour les Etats-Unis, les Indiens représentent symboliquement
la nature, ou plutôt la possibilité dune harmonie
entre lhomme et la nature? Le-la citoyen-ne américain
actuel souffre dune double perte: premièrement celle du
lien à la terre et à la nature que
lindustrialisation forcenée du système agraire a
réduits à néant. Et deuxièmement le moment
historique raté de la rencontre dune autre civilisation,
les Indiens. Et si lon songe à ce qui se passa de fait
lors de la conquête de lAmérique, on peut penser
que les Européens eurent, en partie du moins, le désir de
rejoindre la civilisation indienne, désir que ne partageait
évidemment pas lélite bienpensante et avide de
profit. Ainsi Howard Zinn, dans Une histoire populaire des Etats-Unis
donne cette citation dun dénommé
Crèvecur : « Il doit y avoir dans
leur organisation sociale quelque chose de bien séduisant et de
bien supérieur à tout ce quon pouvait mettre en
avant chez nous. En effet, si un millier dEuropéens sont
aujourdhui indiens, on ne trouve pas dexemple dun
indigène ayant choisit de devenir
européen. » Avatar serait une nouvelle rencontre
des Indiens, où, cette fois, il sagit de ne pas faillir.
Pour résister à limpérialisme humain, les
Navi devront sunir et combattre.
Pierre Raboud